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Quand un frondeur accuse le gouvernement de protéger la fraude fiscale - Bruno Rieth, Marianne, 21 octobre 2014

mardi 21 octobre 2014, par Elisabeth Báthory

Le temps est au beau fixe, ces derniers temps, entre socialistes. On découvrait récemment, à Saint-Ouen, que des militants PS pouvaient en arriver aux poings. Voilà que dans l’hémicycle, un député frondeur est allé jusqu’à douter de la probité de l’exécutif sur le Crédit d’impôt recherche. Des accrochages qui traduisent une tension de plus en plus forte entre tenants de la ligne gouvernementale et les contestataires de l’intérieur.

A lire dans Marianne.

Chaude ambiance chez les socialistes en ce moment. Alors que les militants n’hésitent plus, comme à Saint-Ouen, ainsi que le racontait Marianne, à se lancer des mandales à la figure pour régler leurs désaccords politiques, certains députés, eux, en finissent par soupçonner leurs « camarades » du gouvernement des pires pratiques. La preuve, dans l’hémicycle, vendredi dernier, lors de la discussion sur le projet de loi de finance pour l’année 2015.

« Je voudrais comprendre qui l’on protège dans cette affaire » lance Laurent Baumel, député d’Indre-et-Loire, chef de file de la Gauche populaire et meneurs parmi d’autres des frondeurs, à l’adresse de Christian Eckert, le secrétaire d’Etat au Budget. Les échanges portent, à ce moment-là, sur l’article 6. Baumel soumet à discussion un amendement pour « étendre le champ d’action du Crédit d’impôt recherche (CIR) en permettant à des entreprises d’embaucher des jeunes en formation doctorale » et en profite pour lâcher cette petite bombe. Fâché d’avoir vu un premier amendement portant sur le CIR passé à la trappe, il prend à partie le secrétaire d’Etat : « D’où vient cette impression que nous pouvons avoir, chaque fois qu’il en est question, que l’on touche à un tabou ? Je voudrais comprendre qui l’on protège dans cette affaire ? » Une accusation, à mots couverts, contre le gouvernement qui protègerait les individus abusant des allégements fiscaux du CIR. « Pardonnez-moi, mais lorsque des députés dénoncent des abus, lorsque la rapporteure générale reconnaît que ces abus existent et que la Cour des comptes a raison de les avoir pointés, et lorsque le porte-parole du groupe socialiste explique que la stabilité est plus importante que la lutte contre ces abus, alors oui, je suis fondé à penser que l’on protège des gens ! », précise-t-il plus loin dans la discussion.

Le député frondeur se réfère probablement à un rapport de la Cour des comptes, en date du 11 septembre 2013, qui tirait un bilan plus que mitigé de l’efficacité sur la recherche de ce dispositif fiscal. Pis, les magistrats de la rue Cambon notait que « la direction nationale d’enquêtes fiscales a effectué (...) pour la première fois, trois perquisitions fiscales sur des affaires ayant trait au CIR. Elle s’interroge ainsi sur l’ampleur de la fraude organisée, y compris dans le cadre d’opérations de blanchiment ».

Christian Eckert, remerciant (faussement) son camarade socialiste « pour la franchise » de sa question, se pince le nez, irrité : « Je trouve extrêmement discourtoise la façon dont vous insinuez que, dans cette affaire, nous protégerions quelqu’un ». De peur peut-être de se faire taper sur les doigts par Bruno Le Roux, le président du groupe SRC, Dominique Lefevbre, député du Val d’Oise, se sent obligé de monter au créneau « au nom du groupe SRC » pour défendre son secrétaire d’État mis en cause. « Je m’associe à la réaction du secrétaire d’État quant au caractère scandaleux des mises en cause, surtout lorsqu’elles viennent du sein même de notre groupe », s’insurge-t-il. Plus surprenant, le filloniste Jêrome Chartier vient lui aussi à la rescousse de Christian Eckert, solennel : « Je tiens à dire que je connais M. le secrétaire d’État depuis des années, pour avoir travaillé avec lui dans cet hémicycle, et que je n’ai aucun doute sur sa probité. Des divergences peuvent bien s’exprimer, y compris au sein d’une même famille politique, mais le respect des personnes me semble être la moindre des choses ! Il faut veiller au respect mutuel. (...) Il est trop facile de jeter l’opprobre sur n’importe qui, alors veillons à ne pas nous laisser aller, dans un débat public, à de pareils écarts ! (...) M. Baumel ferait bien de faire attention à ce qu’il dit, voire de retirer ses propos. »

De son côté, le supposé « discourtois » Laurent Baumel peut compter sur le soutien de l’écologiste Éric Alauzet, député du Doubs. Mais aussi du communiste Nicolas Sansu. « Chacun sait que ce que dénonce Laurent Baumel est une réalité. Si le crédit d’impôt recherche peut effectivement favoriser l’installation de certaines entreprises (...), c’est l’un des outils d’évitement de l’impôt pour certains grands groupes », non content de pouvoir claquer le bec à la droite et aux porte-voix de la ligne gouvernementale.

Drôle de séance parlementaire, donc, qui a vu, le temps d’une discussion, les alliances politiques se bousculer quelque peu, avec d’un côté un député socialiste « frondeur », épaulé d’élus écologistes et communistes, mettre en cause directement le gouvernement, soutenu par l’aile libérale du PS et l’UMP.
Les prémices d’une redéfinition à long terme ?