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Des cadavres plein les placards : le grand ménage à Sciences-Po Aix - Guénaël Lemouee, La provence, 16 février 2015

mardi 17 février 2015, par Günter Wallraff

Deux mois après sa prise de fonction, l’administrateur provisoire fait le point sur la reprise en main de l’IEP d’Aix

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Didier Laussel en a vu d’autres. Tant mieux pour lui tant la situation qu’il découvre depuis le 6 décembre, date à laquelle la ministre de l’Éducation l’a nommé administrateur provisoire de l’IEP d’Aix, dépasse toutes ses attentes... Ce proche (et ancien conseiller spécial) d’Yvon Berland, le président d’Aix-Marseille université, est un vieil habitué de la machine universitaire et de ses arcanes. L’homme est absolument courtois, clair et posé. Mais on le sent un rien étonné par ce qu’il a déjà trouvé dans les tiroirs de l’IEP.

L’audit de l’institut par la Cour des comptes est en passe d’être bouclé (le travail d’enquête in situ est terminé depuis la semaine dernière) et publié. Le Pr. Laussel reconnaît déjà qu’il ressort de ses "discussions avec les magistrats de la Cour des comptes et des constats que j’ai pu faire moi-même ici, que les problèmes de dysfonctionnements internes dépassent l’unique problème des masters"...

Tous les parcours externalisés ont-ils été dénoncés ?

Didier Laussel  : Un certain nombre de conventions avaient déjà été résiliées par Christian Duval (l’ancien directeur démissionnaire, Ndlr) et j’ai résilié les autres. Cette année, il n’y a plus d’étudiants inscrits dans ces parcours au titre des masters délivrés par l’IEP. Pour être précis, ceci ne vaut pas pour les parcours avec l’École de gendarmerie ou celle des sapeurs-pompiers, des écoles prestigieuses, pour lesquelles les relations vont être maintenues. On essaye d’aménager les choses pour cette année. On ne pourra pas leur délivrer un master Mis ("management des informations stratégiques", Ndlr) qui s’était trop éloigné de la maquette initiale et que l’université ne veut plus délivrer. Du coup, on décernera simplement à ces élèves gendarmes ou officiers pompiers des certificats purement internes à l’IEP. Pour l’année prochaine, on va retravailler sur des parcours réels, existants et habilités.

En résumé, combien de conventions ont-elles été dénoncées ?
Didier Laussel  : Il y en avait tellement que je ne pourrais même pas vous donner un chiffre exact... On en découvre encore régulièrement. En tous les cas, au moins une dizaine, sinon plus, même si toutes n’avaient pas encore été mises en oeuvre. Certaines conventions, que nous avons découvertes récemment, avaient été signées au mois de juillet 2014, avec le groupe Le Moniteur par exemple.

Chose encore plus étonnante, ces conventions ne s’articulaient même plus autour du master Mis mais de masters fictifs. En fait, on a découvert de nouvelles choses, qui n’étaient pas du tout dans le rapport d’audit (mené par Aix-Marseille université en octobre et novembre 2014 et pourtant déjà très sévère, Ndlr).

Où en sont les suites judiciaires lancées par vos ex-partenaires ?
Didier Laussel
 : Les actions en justice se comptent aujourd’hui sur les doigts d’une main, mais il n’y a guère de doute qu’elles vont se multiplier. Le Groupe IGS (qui était le partenaire principal des masters Mis externalisés, avec des centaines d’étudiants déjà en cours de cursus, Ndlr) nous a assignés au tribunal administratif, l’Institut supérieur d’intelligence sociale nous a également assignés en référé et il y a effectivement tout une série d’actions en justice ou de menaces d’actions. Avec IGS, on s’est rencontré et il y a un désir commun de parvenir à une transaction globale dans cette affaire. Nous ne nous sommes pas encore entendus parce qu’ils veulent une compensation financière que nous ne souhaitons pas.

Mais c’est vrai, il y a une grande menace pour les finances de l’IEP, ce sont les compensations financières que réclament nos ex-partenaires.

Le Groupe IGS, par exemple, réclame 15 millions d’euros. Ce qui s’ajoute aux recettes en moins (celles qui émanaient des partenariats privés dénoncés, Ndlr).


"Partenariat" avorté en Afrique

L’un des partenariats les plus exotiques signé par l’IEP concernait l’Université professionnelle d’Afrique, au Congo-Brazaville. Le 8 octobre dernier dans La Provence, Christian Duval en niait toute réalité, dénonçant "un détournement illicite" de la marque Sciences po Aix. Chose étrange, Christian Duval signait pourtant le 17 octobre une officielle lettre de rupture dudit partenariat qui n’existait pas.

Recontacté, le Pr. Duval, toujours professeur salarié de l’IEP mais pour l’heure sans cours à donner, a un peu infléchi son propos aujourd’hui, ne niant plus l’existence du partenariat mais évoquant une convention qui en était restée au stade du "pré-accord". Ce que confirme d’ailleurs aussi l’actuel administrateur.


IGS entend rester partenaire jusqu’en 2018

Alors que dans la plupart des courriers envoyés en octobre aux partenaires, l’IEP annonce abruptement la "résiliation" immédiate des conventions (ces partenaires-là ont plutôt attaqué en référé suspensif), la missive réservée au Groupe IGS était un rien plus prudente, évoquant "la volonté de résilier la convention à partir du 1er septembre 2015." Marc Bellanger, avocat d’IGS, en tire donc la conclusion que, de fait, les partenariats liant le groupe à l’IEP"ne sont pas résiliés". Mieux, ces contrats, lancés en 2009, prévoiraient une tacite reconduction pour trois ans, à éventuellement dénoncer un an avant l’échéance. Soit en septembre 2014 pour la prochaine période triennale, assure l’avocat. Et le courrier de l’IEP est parti en octobre. IGS serait donc "contractuellement lié à l’IEP jusqu’en septembre 2018". Le groupe a saisi le tribunal administratif de Marseille "pour lui demander de poursuivre les relations contractuelles".


Une crise ouverte depuis septembre

La crise à l’IEP de la rue Gaston-de-Saporta est partie d’un tonitruant (dans le milieu feutré de l’enseignement supérieur) coup de gueule des six autres directeurs de ce qu’on appelle le "concours commun" (un concours unique qualificatif pour sept IEP en régions, dont Aix). En septembre 2014, les six partenaires d’Aix y dénonçaient une inflation de partenariats avec des centres de formation privés. Lesquels délivraient des masters de sciences politiques, option "management des informations stratégiques" labélisés Sciences po Aix. Sans que les organes réguliers d’enseignement et de recherche de l’IEP aixois aient grand-chose à voir avec ces formations externalisées, pointaient à la fois les six directeurs et plusieurs voix éminentes au sein même de l’IEP. Menacé d’être proprement viré du concours commun, Sciences po Aix a fait totale machine arrière, dénonçant tous ses partenariats externes (ou presque, lire l’interview ci-dessus).

Trop tard pour Christian Duval, emporté par la tempête universitaire et poussé à la démission le 19 novembre. Un appel à candidature pour son remplacement est désormais ouvert et ce, jusqu’au 16 mai. Le conseil d’administration de l’institut devrait ensuite proposer un candidat au ministère de l’Éducation nationale le 6 juin prochain, pour une entrée en fonction en juillet.

Guénaël Lemouee