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Enseignement supérieur : investissons pour l’égalité des chances - Libération, 6 novembre 2015

samedi 7 novembre 2015, par Chris

- Par l’association Sciences en Marche -

Certains veulent résoudre le sous-financement des universités en augmentant de façon considérable les frais d’inscription pour les étudiants. Mais plutôt que de casser le principe d’une université gratuite ou presque, il faudrait s’assurer d’une répartition équitable du financement public dans les différentes filières.

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En 2014-2015, la dotation de l’État aux universités françaises était de 10,6 milliards d’euros pour 1,5 million d’étudiants : ce qui représente, en moyenne, 7000€ par étudiant et par an. Ce budget était, de l’avis de tous, notoirement insuffisant. En cette rentrée 2015, 45 000 étudiants supplémentaires sont venus grossir les rangs des universités. Pour permettre à celles-ci de fonctionner dans des conditions identiques, l’État aurait du a minima augmenter sa dotation de 315 millions d’euros. Au lieu de cela, il a consenti une hausse de 65 millions d’euros qui ne compensera donc même pas la croissance du nombre d’étudiants. Face à ce constat, certains proposent de résoudre l’équation en augmentant les frais d’inscription. L’argument principal des défenseurs de cette solution est que cette contribution peut être « raisonnable » (1000 euros) et proportionnelle au revenu des parents, comme l’a proposé Nathalie Kosciusko-Morizet il y a quelques semaines. Cette idée, que certains pourraient trouver séduisante, se heurte pourtant à plusieurs écueils.

En cassant le principe d’une université gratuite ou presque, on ouvre la porte à des augmentations autrement plus conséquentes. L’Angleterre nous fournit un exemple flagrant de cette inflation et de ses conséquences. Les frais de scolarité annuels y étaient fixés à 1000 livres en 1997. Ils ont atteint 3000 livres en 2005 dans la plupart des universités. Ils ont triplé à l’arrivée du gouvernement de David Cameron pour atteindre plus de 9000 livres (12300€), alors que la dotation gouvernementale aux universités baissait fortement… Pour permettre aux étudiants de financer leurs études, des prêts étudiants ont été mis en place, dont le remboursement est conditionné au niveau de leurs revenus une fois entrés dans le monde professionnel. Mais selon le Guardian, 30% de ces prêts ne seront pas remboursés, la rémunération des étudiants n’atteignant pas le seuil de remboursement. Aux Etats-Unis, où les frais de scolarité ont suivi une progression similaire à celle de l’Angleterre pour atteindre jusqu’à 40 000 dollars (35 000 euros) dans certaines universités, la dette étudiante est aujourd’hui de plus de 1000 milliards de dollars, et le taux de défaut des prêts étudiants est passé de 5% en 2008 à 10% en 2011, constituant une véritable bombe à retardement pour l’économie du pays. En réponse, plusieurs candidats démocrates aux primaires présidentielles, dont Mme Clinton, proposent maintenant de rendre les universités publiques gratuites. En Allemagne, les tentatives d’augmenter les frais d’inscription ont rencontré une résistance citoyenne telle que la totalité des Landers a décidé de revenir à une université totalement gratuite.

Mais il faut également se poser la question bien française de l’engagement de l’Etat dans les différentes filières post-bac. Actuellement la dépense intérieure d’éducation [1]est de 14 850 euros par an pour chaque élève des classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) contre 10 850 pour un étudiant à l’université. Dans les écoles d’ingénieurs publiques dépendant du Ministère de l’enseignement supérieur (ce qui est le cas de la majorité d’entre elles), la dépense de l’Etat par étudiant atteint 15 000 euros par an. La hausse « raisonnable » de frais d’inscription à l’université proposée par certains est donc un non-sens : elle revient à faire payer aux étudiants le désengagement de l’Etat dans les universités, et cette contribution serait loin d’être suffisante pour rattraper l’écart avec la filière des grandes écoles. A ceux qui opposeront à cela que la filière des grandes écoles est sélective et donc qu’il est normal qu’elle soit mieux financée, rappelons que cette sélection est avant tout sociale : c’est en effet dans les grandes écoles, là ou l’Etat investit le plus, que l’on retrouve la plus grande proportion d’étudiants issus des classes supérieures.

Plutôt que de réfléchir à faire payer davantage de frais de scolarité aux étudiants à l’université, il faudrait s’assurer d’une répartition équitable du financement public dans les différentes filières. Pour porter la dépense par étudiant en licence à un niveau comparable à celle des CPGE, l’Etat devrait investir près de 3,5 milliards d’euros supplémentaires par an. Outre l’assurance d’améliorer la formation de plus d’un million de jeunes, financer l’université à son juste niveau est aussi un moyen de diversifier les origines sociales dans les plus hautes sphères de l’Etat et des grandes entreprises.

Cet investissement d’avenir par excellence, les gouvernements successifs l’ont refusé aux universités. Ils ont par contre choisi de sanctuariser le Crédit Impôt Recherche (CIR), dont le coût estimé dans le projet de loi de finance 2016, 5,6 milliards d’euros, est en hausse de 200 millions d’euros par rapport à 2015. Pourtant plus d’1,5 milliards d’euros sont utilisés comme une niche fiscale par les plus grands groupes comme l’ont dénoncé de nombreux rapports, dont celui de Sciences en Marche et plus récemment les notes personnelles de la rapportrice de la commission d’enquête sénatoriale [2] sur la réalité du détournement du CIR.


[1Qui comprend la dotation aux établissements plus toutes les dépenses de type aide sociale, crédits d’impôts pour les parents d’étudiants, etc.

[2Note de SLU : La sénatrice du groupe CRC Brigitte Gonthier-Maurin (à lire ici)