Accueil > Actualités et humeurs > L’autonomie selon Macron : en marche fuyons - affordance.info Le blog d’un (...)

L’autonomie selon Macron : en marche fuyons - affordance.info Le blog d’un maître de conférences en sciences de l’information, 3 juillet 2017

mardi 4 juillet 2017, par Laurence

Le président Macron vient d’écrire au président de la CPU (conférence des présidents d’université) suite à la missive que ladite CPU avait adressé au président nouvellement élu (pour lui demander du pognon par pitié mais sans que ça se voit trop qu’on demande).

Et donc quand deux punks à chiens entretiennent une correspondance sur l’avenir de l’ESR (enseignement supérieur et recherche), le résultat c’est ça :

Alors pour faire simple et pour ceux de mes lecteurs n’étant pas très familiers des logiques feutrées de l’ESR, disons qu’en gros la CPU réunit des gens (présidents d’université) qui n’ont de cesse de réclamer à l’état davantage de moyens humains et financiers tant l’état leur en doit et tant ils constatent chaque jour à quel point leurs universités sont sous-dotées, mais - et c’est là toute l’astuce - qui sous peine de passer pour de dangereuses vermines communistes, ne peuvent évidemment pas passer leur temps à réclamer des postes et du pognon et sont donc contraints de jouer le jeu d’un libéralo-misérabilisme bon teint en espérant qu’une obole plus ou moins symbolique viendra couronner leur acceptation des règles de gestion liées à l’autonomie et dont chacun d’entre eux perçoit parfaitement à quel point lesdites règles de ladite autonomie sont en train d’éparpiller façon puzzle l’idée même d’un droit à l’enseignement supérieur pour l’ensemble d’une classe d’âge.

Ceci étant dit, venons-en aux trois propositions phares du président Macron concernant l’enseignement supérieur et la recherche. Il s’agit donc :

- de renforcer l’autonomie des universités
- de leur donner la liberté de définir leurs formations
- et de leur donner la liberté de recruter leurs enseignants

Grâce à quoi la France sera une start-up nation et l’université une entreprise comme une autre, après tout, c’est bien d’économie de la connaissance dont il est question non ?

Sauf que, et cela n’aura probablement pas échappé à votre sagacité :

- l’autonomie des universités est déjà enclenchée depuis la loi LRU portée en son temps par Valérie Pécresse et est sublimée depuis par l’ensemble des gouvernement successifs.
- les universités ont de toute éternité la liberté de définir leurs formations (et j’ai envie de dire, c’est quand même un peu tant mieux vu que c’est quand même un peu leur raison d’être ...)
- les universités ont toujours eu, aussi, la liberté de recruter qui elles voulaient comme enseignant-chercheur.

Donc première hypothèse, le type qui a rédigé la lettre de Macron est un stagiaire qui s’est trompé de bureau. Possible.

Deuxième hypothèse : Macron se fout carrément de la gueule du président de la CPU. Improbable.

Troisième hypothèse : en fait ces trois propositions veulent dire autre chose que ce qui est écrit. Voilààààààà.
Donc en fait voilà ce qu’il faut comprendre dans les trois propositions Macron :

1. renforcer l’autonomie des universités ?

Là il s’agit en fait de pousser l’autonomie à la limite. Sachant qu’on est déjà à la limite de la rupture pour tout plein d’universités dites "moyennes" (en taille et en nombre d’étudiants). Et pousser l’autonomie à la limite ça veut dire au moins deux choses : primo acter que les sous que l’état doit aux universités (plusieurs millions rien que pour la mienne, Nantes, et qui est loin d’être la moins bien lotie) ne seront jamais versés, et qu’en plus de cela l’état va encore se désengager davantage. Ça va donc piquer. Mais alors vraiment piquer très fort. Parce qu’en plus ou indépendamment de tout ça, s’il y a bien un chiffre sur lequel tout le monde s’accorde, des plus obscurs et incompétents cabinets d’audit aux acteurs les plus renseignés et les plus impliqués dans tout ce bouzin, s’il y a bien une certitude qui traverse toutes les strates, du terrain aux "instances", c’est la certitude que la démographie étudiante va continuer d’exploser. Et là ... vu comment c’est déjà tendu comme un string, la ficelle dudit string va se transformer en fil à couper je sais pas trop quoi mais je sais juste que va y’avoir des dégâts collatéraux dont on n’a même pas idée du potentiel social explosif qu’ils contiennent.

2. leur donner la liberté de définir leurs formations ?

Bon ben bien sûr comme je le disais, on n’a attendu ni l’autonomie ni la Valérie pour définir nos formations hein. En fait depuis que les universités existent elles définissent leurs formations. Tout cela est bien sûr assez heureusement réglementé pour éviter de faire n’importe quoi et de répondre à n’importe quelle injonction du patronat mais bon le principe général c’est que les universités ont la liberté de définir leurs formations, le tout en garantissant aux étudiants un truc qui semble de plus en plus désuet, c’est à dire un cadre national pour leur diplôme. Et encore je dis désuet mais pas pour les formations privées qui débarquent à genou en nous suppliant de délivrer le titre de Master qu’elle n’ont désormais officiellement pas le droit de délivrer et qu’au prix où leurs étudiants paient l’année de formation ben ça la fout un peu mal. Et vous savez pas la meilleure ? Et bé nous on accepte. Et oui. On est vraiment trop cons.

Mais alors pourquoi qu’il dit ça le président de la CCI France Start-Up nation ? Et bien parce qu’en fait il ne veut pas donner aux universités la liberté de définir leurs formations mais - attention subtilité du fils de la ruse de la vengeance de l’entourloupe - mais disais-je il veut donner aux universités la possibilité ... de faire payer leurs formations !!! Hé bé oui. L’idée, la grande idée de la grande loi sur l’autonomie c’est, pour les dangereux marxistes dans mon genre, la vente à la découpe des universités et de leurs formations. Pour les libéraux qui sont aux commandes et à la manoeuvre il s’agit de "capitaliser sur la marque université" et "d’optimiser les fertilisations croisées rendues possibles par la modularisation des formations au regard des demandes d’employabilité d’un territoire" (1). Mais au final c’est la même chose : qu’il ne reste plus qu’une grosse dizaine d’universités "bancable" générant du ROI comme je me beurre la tartine le matin et assurant la promotion de la marque université dans la start-up nation France. WTF.

3. donner aux universités la liberté de recruter leurs enseignants ?

Donc là en fait il faut lire : leur donner la liberté de payer leurs enseignants-chercheurs bancables autant qu’elles le voudront pour faire venir des enseignants-chercheurs bancables. Bah oui, on attire pas les mouches avec du vinaigre et on entend depuis tellement longtemps que les salaires de misère des enseignants-chercheurs français ne permettent pas d’attirer les meilleurs chercheurs étrangers ... Il fallait donc déverrouiller tout ça, voilà qui devrait bientôt l’être. Non pas pour mieux payer ces feignasses d’enseignants-chercheurs hein, on est pas en URSS non plus. Non là il s’agit juste de pouvoir recruter n’importe quelle star et/ou pointure en lui faisant miroiter un salaire de joueur de NBA. Ce qui accessoirement permettra de justifier l’envol des frais d’inscription, la vie est bien faite. Naturellement on pourra aussi, et ainsi, recruter hors de tout cadre statutaire, mais là encore rien de grave ni d’inédit, la magie de la loi LRU ayant déjà permis que l’on recrute des maître de conférences sur des contrats à durée déterminée (CDD). Licencier plus pour embaucher mieux, tout cela est parfaitement cohérent. Et accessoirement à gerber.

A quoi sert la ministre ?

Alors voilà. Moi si j’étais Frédérique Vidal (c’est la ministre de l’ESR, enfin il paraît vu que pour l’instant à part beurrer des tartines de macronisme on n’a pas trop de visibilité sur sa vision mais c’est pas super grave non plus vu que le double aveugle est une procédure que l’on maîtrise bien à l’université), moi si j’étais Frédérique Vidal donc, je m’empresserai de me barrer à toutes jambes parce que les prochaines rentrées universitaires à ce rythme là vont être au-delà du très très chaud niveau température sociale et qu’elle va pouvoir mesurer toute l’étendue du sous-entendu "fusible" dans l’intitulé de son poste de "ministre d’état et d’application de la LRU et advienne que pourra".

Pour lire la suite