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Les 60 % d’échecs à la fac masquent une réalité plus complexe - Camille Stromboni, "Le Monde", 31 août 2017

vendredi 1er septembre 2017, par Adolphe THIERS

Le chiffre « choc » de l’échec à l’université, brandi par le gouvernement pour asseoir la réforme qu’il prépare, intègre des étudiants fantômes, présents par intermittence ou orientés par défaut.

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Comment accepter, en regardant un amphithéâtre de 500 étudiants, d’imaginer que près des deux tiers quitteront la fac sans diplôme ? « 60 % d’échecs au bout de quatre ans à l’université !  », assène le gouvernement à chaque prise de parole sur l’enseignement supérieur. Ce chiffre a de quoi « vous glacer le sang », des mots du premier ministre, Edouard Philippe, effaré par cette «  terrible  » sélection « par l’échec  ».

La ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, ne manque jamais, elle, d’insister sur un second « taux insupportable  » de 60 % d’échecs, qui intervient cette fois, dès la première année d’études, puisque seulement quatre étudiants sur dix passent ce cap difficile.

Ces chiffres inacceptables permettent d’appuyer l’urgence de la réforme de l’entrée à l’université promise pour 2018 par la ministre, qui relance les négociations avec la communauté universitaire jeudi 31 août. Pour en finir avec le tirage au sort, pratiqué jusqu’ici pour départager les trop nombreux candidats dans certaines licences surchargées, le gouvernement veut instaurer des « prérequis », en cours de définition. Le président de la République a confirmé le sens de cette « révolution » pour l’éducation, dans un entretien au Point, jeudi 31 août : « Nous ferons en sorte que l’on arrête de faire croire à tout le monde que l’université est la solution pour tout le monde », a tranché Emmanuel Macron.

Toute une gamme de profils

Mais alors qu’une réforme d’ampleur s’annonce, de quel échec parle-t-on vraiment ? Si aucun syndicat ne conteste la nécessité de réformer le premier cycle universitaire, ces 60 %, issus des enquêtes annuelles du ministère, apparaissent largement gonflés par rapport à une réalité bien plus complexe dans les amphis. Derrière l’image de ces masses d’étudiants venus décrocher un diplôme mais qui finissent broyés par la machine universitaire, se cachent des profils de jeunes inscrits à l’université pour bien d’autres raisons.

« Ces indicateurs doivent être remis en question, prévient François Sarfati, chercheur au Centre d’études de l’emploi et du travail. On ne peut parler d’échec ou de décrochage pour des jeunes qui n’ont jamais accroché à l’université. » « En mettant en avant seulement ces chiffres pour justifier l’action publique, le gouvernement fabrique une dramaturgie sur les jeunes à l’université, observe-t-il. Attention à ce que cela ne mène pas à des réponses en deçà des enjeux : on comprend bien qu’il serait moins cher d’introduire seulement des prérequis à l’entrée de la fac que de repenser l’ensemble du système, très inégalitaire, avec par exemple deux fois plus de moyens investis actuellement pour un étudiant de classe prépa que de licence.  »

A l’université Paul-Valéry – Montpellier-III, l’observation des résultats des étudiants aux partiels est pour le moins troublante : sur les 5 700 inscrits en première année, 25 % ont une moyenne entre 0 et 2/20 sur l’année, 40 % entre 0 et 5/20. Peut-on considérer que ce sont de véritables étudiants, n’a cessé d’interroger Anne Fraïsse, ancienne présidente de l’établissement ? Elle y voyait surtout le résultat de la crise sociale actuelle.

Parmi les 60 % figurent en effet ces étudiants invisibles, inscrits administrativement mais qui ne mettront jamais véritablement un pied à l’université. Jean-François Lhuissier, vice-président chargé de la formation au sein du regroupement Normandie Université, les évalue à 10 % des inscrits. « Ils ont besoin de bénéficier du statut d’étudiant, de la Sécurité sociale, et parfois de la bourse », décrit le maître de conférences en mécanique. La présence aux partiels constitue l’une des conditions pour percevoir cette aide financière.

Orientés par défaut

Les universitaires partagent ce secret de polichinelle des étudiants qui repartent de la salle d’examen après à peine une demi-heure, le temps d’émarger et d’être autorisés à sortir, dans des proportions telles que cela ne peut s’expliquer seulement par une crise de panique passagère. En première année d’AES (administration économique et sociale), cela représente parfois plus d’un quart de l’amphithéâtre, reconnaît M. Lhuissier, pour l’université du Havre.

C’est l’éternelle question sociale que l’on préfère évacuer, avec une jeunesse qui se retrouve, après le baccalauréat, largement exclue des dispositifs de soutien ou tout simplement d’une place dans la société, alors que le chômage la touche de plein fouet. « Certains se rendent à l’université parce que c’est la voie qui apparaît normale après le bac. Ils auraient pourtant besoin surtout d’un accompagnement pour renforcer leurs compétences ou rejoindre le marché du travail. Mais aucun espace n’est prévu pour eux, la première année de fac est la seule à jouer ce rôle de sas », décrit M. Sarfati, qui a mené des enquêtes sur les étudiants cumulant les absences.

Au-delà de ces étudiants fantômes, les enseignants voient arriver, toujours plus nombreux avec les effets du pic démographique, un autre profil : des bacheliers qui rejoignent une première année par défaut, après avoir été refusés dans les filières sélectives qu’ils demandaient (BTS, DUT…). Parmi eux, les titulaires d’un bac professionnel, aux taux de réussite qui font s’étrangler les observateurs : à peine 6 % sortent de l’université avec une licence, au bout de quatre ans.

Eux aussi disparaissent souvent bien vite des amphis. Au mieux en réussissant à se réorienter dans une autre formation dès la rentrée quand d’autres grenouillent une année, parfois en essayant de s’accrocher un temps en attendant de trouver mieux. Souvent dans des filières nouvelles pour eux, comme la sociologie ou la licence d’AES, qui paraissent plus accessibles. Chaque enseignant-chercheur a ses anecdotes sur ces jeunes qui ne sont pas là pour étudier. M. Lhuissier raconte cette palanquée d’étudiants qui ne sortent pas un crayon, ou cette étudiante qui n’a pu apporter son cours avec elle car « il ne rentrait pas dans son sac à main  ».

Une dernière catégorie d’étudiants se retrouve aussi comptabilisée dans les 60 % d’échecs : ceux qui viennent de manière épisodique, dans l’attente de passer un concours – d’infirmier, d’orthophoniste, ou encore dans la police, la douane… D’après l’enquête menée à l’université du Havre pendant les enseignements de « projet professionnel », un étudiant sur cinq se déclarait dans ce cas de figure. Cet enchevêtrement de situations fait dire à Jean-François Lhuissier que « c’est un problème d’échec global du système éducatif  », nécessitant une diversification des parcours pour s’adapter aux besoins de chacun. Mais « cela a un coût  ».

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Reprise des négociations sur la réforme à l’entrée de l’université

Dans le cadre de la négociation autour de la réforme de l’entrée à l’université, promise dès 2018, Frédérique Vidal, ministre de l’enseignement supérieur, devait ouvrir, jeudi 31 août, un second round en constituant une dizaine de groupes de travail réunissant les représentants des étudiants, enseignants et présidents d’université… Ils rendront leurs propositions d’ici la fin octobre.

Parmi les thèmes retenus : les conditions d’accès à l’université avec la définition des « prérequis » qui constitueront les nouveaux critères à l’entrée de la licence pour remplacer le tirage au sort. D’autres groupes plancheront sur l’orientation au lycée, la transformation du cursus de licence, la diversification des parcours en premier cycle, ou encore le plan pour la vie étudiante.