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La sélection à la fac voulue par le gouvernement est contraire aux grands défis du 21e siècle - Mathilde Panot, députée de la France Insoumise, Huffington post, 12 janvier 2018

samedi 13 janvier 2018, par Laurence

Dans l’intérêt de la transition écologique, l’urgence n’est pas à limiter l’accès à l’enseignement supérieur mais à le démocratiser.

Le gouvernement a présenté son projet pour l’Enseignement supérieur et la recherche. Dans celui-ci, il acte la fermeture de l’enseignement supérieur à un grand nombre d’étudiantes et d’étudiants. Plutôt que d’adapter les places disponibles au nombre de candidats, il limite le nombre de candidats selon les places disponibles. Or, il n’y a guère de chiffres plus prévisibles que celui des effectifs scolaires d’une année sur l’autre. Nous savons depuis 15 ans, et plus précisément dès la fin de seconde, combien de bacheliers sont inscrits dans nos établissements. Il y a donc une volonté délibérée de casser les voies d’accès à l’enseignement supérieur.

Pourtant, la sélection est déjà là. Tout le monde n’accède pas à l’enseignement supérieur : 57% des 25-34 ans n’ont pas un diplôme du supérieur ! La détention d’un titre scolaire de l’enseignement supérieur demeure minoritaire. Il y a d’abord une sélection par l’argent, à plusieurs niveaux. Certains lycéens ont des cours particuliers, certains peuvent déménager, certains ne sont pas obligés de travailler le week-end et le soir et n’ont pas à choisir entre le sommeil et les révisions. Il y a aussi une sélection par les réseaux. Tous ne connaissent pas les formations disponibles, les concours accessibles, et nombre d’entre eux se censurent faute de proches titulaires des diplômes enviés. Enfin, il y a une sélection par les acquis culturels. Une heure de travail ne se vaut pas, selon que l’on dispose d’un bagage de savoirs déjà constitués dans le milieu familial ou que l’on soit contraint de tout découvrir. Ainsi, parmi les entrants en collège, la moitié de ceux qui vivent dans des familles monoparentales n’atteignent pas le niveau du bac. Et une fois devant l’examen, 20% des enfants de chômeurs n’obtiennent pas le baccalauréat, toutes filières confondues. Face à cette sélection déjà très âpre, l’urgence n’est pas à limiter l’accès à l’enseignement supérieur, mais au contraire à l’étendre et le démocratiser.

Les conséquences d’une telle décision sont connues d’avance : un renforcement des inégalités sociales dans l’enseignement supérieur. Inégalités de classe, car un tiers des enfants de cadres sortent d’une université avec un diplôme bac +5 ou supérieur, alors que seuls 7% des enfants d’ouvriers sont dans le même cas. Inégalités de sexe, car s’il y a plus d’étudiantes que d’étudiants, elles sont concentrées dans les formations les moins valorisées sur le marché du travail. L’élimination des plus fragiles accompagne en réalité le gel total des recrutements dans le personnel du supérieur, aussi bien au niveau des enseignants (le nombre de postes ouverts aux maîtres de conférences est ridicule) que des agents techniques ou administratifs. Elle renchérira la concurrence entre les universités publiques, qui vont essayer d’évincer certains individus. Elle accompagne la tentative du gouvernement français de rester, ni vu ni connu, à un niveau de dépenses universitaires inférieur à la moyenne de l’OCDE !

Ce point de vue est connu et solidement étayé par l’ensemble des études disponibles. Je souhaiterais rajouter un argument au débat : vu depuis la commission Développement durable de l’Assemblée nationale, il s’agit d’une décision absurde et dangereuse. En effet, il est impératif que la France forme un nombre croissant de jeunes aux pratiques professionnelles et aux qualifications les plus modernes. Dans l’agriculture, où les jeunes agriculteurs sont désormais des individus titulaires de très hautes qualifications techniques, fins connaisseurs des sols, des chimies naturelles et des écosystèmes. Dans le bâtiment, où les jeunes travailleurs en postes de responsabilité maîtrisent les questions complexes d’isolation, de transferts de chaleur, de poids et mesures. Dans l’énergie, bien entendu, où les innovations quotidiennes sont à la fois le produit des laboratoires de recherche d’un très haut niveau, et celui de travailleurs et ingénieurs de terrain qui synthétisent leurs observations et leurs initiatives pour pousser toujours plus loin la production énergétique et limiter toujours plus les formes de déperdition. Ces trois exemples peuvent être multipliés à l’infini ; ils montrent qu’il n’y a pas de bifurcation écologique envisageable sans démocratisation de l’enseignement supérieur, sans une formation universitaire massive de la jeunesse, pour lui ouvrir l’accès à des qualifications garanties par l’État. A l’heure de l’urgence écologique, l’élévation des qualifications est une condition nécessaire de la transition.

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