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A Paris, les manifestants ont défilé contre “un système d’éducation à plusieurs vitesses” - Faïza Zerouala, Mediapart, 1er février 2018

vendredi 2 février 2018, par Mademoiselle de Scudéry

Plusieurs syndicats lycéens, étudiants et enseignants se sont mobilisés jeudi 1er février pour demander, pour la première fois, le retrait du projet de loi d’accès à l’enseignement et protester contre la future réforme du baccalauréat. Quelques milliers de personnes ont défilé à Paris.

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C’était mal parti. Un peu avant 14 heures, devant l’université de Jussieu à Paris, la foule est éparse. Quelques groupes d’étudiants sont réunis, avec sur leur manteau des autocollants des différentes organisations auxquelles ils appartiennent. Un jeune homme essaie de galvaniser les troupes au mégaphone et crie quelques slogans mollement repris en chœur. Son « Fac ouverte aux enfants d’ouvriers, fac fermée aux intérêts privés » aura un peu plus de succès.

Cette journée était un premier test pour la mobilisation contre la loi orientation et réussite des étudiants portée par Frédérique Vidal, la ministre de l’enseignement supérieur. Ce texte introduit une sélection – déguisée – à l’université. L’appel à manifester a été lancé par le Snesup-FSU (premier syndicat chez les enseignants du supérieur), l’Unef (organisation étudiante), l’UNL et le SGL (syndicats de lycéens), les syndicats FO, la CGT, Sud et la FCPE. À Paris, 2 400 personnes ont défilé, selon la police, là où les organisateurs en annoncent 10 000. Le ministère de l’éducation nationale a communiqué en fin de journée les taux de participation au mouvement de grève des enseignants du second degré : 1,05 % en moyenne. Mais dans les rangs parisiens, tout le monde restait optimiste sur la possibilité de transformer l’essai en réel mouvement.

Peu à peu, le cortège s’est garni. Mais ce n’est pas la mobilisation des grands jours. Le soleil a fini par faire son apparition, réchauffant un peu l’atmosphère, bon enfant. Sur le trajet, un stand de La France insoumise a été dressé. Les syndicats et organisations étudiantes ont dressé leurs banderoles et leurs ballons habituels. Les pancartes arborées par les manifestants sont d’infinies variations sur un même thème : un rejet de la sélection. « Macron, rends le pognon, on ne veut pas de ta sélection », « J’ai mon bac, je choisis ma fac #non à la sélection » ou encore « Non à la sélection, oui à l’éducation ! ».

Quelques minutes avant le départ du cortège, Lilâ Le Bas, la présidente de l’Unef – désormais seconde organisation étudiante derrière la Fage qui, elle, n’a pas appelé à manifester –, veut convaincre que cette première journée sera « positive ». Plusieurs assemblées générales à travers la France, dit-elle, ont fait le plein. Les universités de Rennes-2 et de Toulouse-Le Mirail ont été bloquées.

«  La loi n’est pas votée, nous avons toujours une marge de manœuvre contre ces mesures rétrogrades. Les présidents d’université vont pouvoir refuser des bacheliers sur la base de leur C.V., lettres de motivation et en fonction des attendus. Ce n’est pas de l’orientation mais de la sélection !  » rappelle-t-elle. Elle fulmine car, selon elle, la ministre de l’enseignement supérieur a présenté la réforme comme un simple ajustement technique qui viserait à réparer les défauts d’APB, la précédente plateforme d’orientation. Tout l’été 2017, et jusqu’à fin septembre, des bacheliers se sont retrouvés coincés, sans affectation. Sans compter les universités qui ont eu recours au tirage au sort, même si la pratique est restée marginale.

Sur le constat, Lilâ Le Bas est d’accord avec le gouvernement, le système était arrivé à bout de souffle. En revanche, elle diverge sur les solutions apportées. « On veut conserver un accès libre à l’université. On ne veut pas que l’avenir d’un jeune soit figé à 17 ans selon la filière qu’il aura choisie. Avec cette réforme, les bacs pro et technologiques n’auront pas la possibilité d’intégrer la licence de leur choix. Alors qu’on le sait, le diplôme reste la meilleure protection contre le chômage. »

Parmi les manifestants, quelques lycéens et beaucoup d’étudiants. Les premiers sont peu au fait des modalités précises de la réforme de l’université, et encore moins de celles du baccalauréat et du lycée. Certains s’emportent contre une hausse des frais d’inscription en faculté, alors que ce n’est pas – encore ? – au programme. Romain Pudal, sociologue et membre de l’ASES, l’Association des sociologues enseignant-e-s du supérieur, explique que l’enjeu est de démonter «  la propagande gouvernementale  » afin que les jeunes « comprennent que cette loi va avoir de lourdes conséquences sur eux ». « Il n’y a en réalité aucun moyen de prévu pour l’orientation  », assure-t-il.

Pour cet enseignant, le gouvernement a dessiné une réforme pour « des étudiants qui n’existent pas  », à savoir ce bachelier littéraire qui souhaiterait ardemment intégrer une filière scientifique. Voilà pourquoi il est vital que les premiers concernés se mettent en branle. Son collègue Matthieu Hély abonde dans le même sens. Il espère une jonction entre les mobilisations du supérieur et du secondaire car «  il y a une cohérence entre les deux réformes qui les touchent  ».

Delphine et Ugo, 22 et 21 ans, étudiants en lettres ne sont plus concernés par cette réforme qui vise selon la première à «  bloquer les perspectives de certains  ». Mais ils sont venus pour témoigner « leur solidarité envers les générations qui arrivent  ». Selon Ugo, le plus grand danger de ce nouveau système porte sur l’affectation hors secteur. Certains futurs étudiants vont formuler des vœux pour des formations en dehors de leur académie. Mais s’ils le font, sur la plateforme Parcoursup, un message en rouge s’affiche sur l’écran qui indique « vous êtes hors secteur  ».

« Le candidat est alors invité à candidater dans l’académie de son domicile  », peut-on lire sur le site d’Europe 1 qui s’est fait l’écho des difficultés posées par le nouveau système. Pour Ugo, c’est une manière de dissuader les étudiants de sortir de leur milieu. Le ministère va fixer des quotas, non encore connus, pour les lycéens hors académie.

« Avec ce système, il y aura une fac d’élite pour les premiers de cordée »

Plusieurs manifestants redoutent que la reproduction sociale ne fasse que s’aggraver. Hélène, 20 ans, étudiante en L1 en philosophie à Paris-I, déplore qu’on crée « un système élitiste  ». Elle explique : « Ceux qui auront les moyens de faire des études pourront aller à l’université, les bacs pro et technologiques iront directement sur le marché du travail. Au lieu de les encourager et de mettre de l’argent dans l’université, on les rejette.  »

Le gouvernement a promis un milliard d’euros aux universités, sur tout le quinquennat. Mais les acteurs de la communauté universitaire jugent que cela sera insuffisant étant donné la logistique nécessaire pour mettre en œuvre la réforme. De plus, la jeune fille raconte qu’en classe de terminale, elle a eu 8 de moyenne en philosophie toute l’année, la faute à une professeure trop sévère envers elle. Elle a décroché 15 au baccalauréat dans cette matière qui la passionne. D’après elle, avec la réforme, elle n’aurait pas pu intégrer cette filière.

Frédéric, son camarade, 19 ans, étudie en licence 2 le théâtre à l’université Paris-III. Il regrette que tout droit à l’erreur disparaisse. « Je peux comprendre qu’on veuille organiser les choses car en effet il y a beaucoup de jeunes qui se cassent la figure en première année mais ils font autre chose, il n’y a pas de parcours tracés. Il faudrait mieux organiser la transition lycée-université plutôt que de sélectionner. » En revanche, il trouve, sur le papier, séduisante l’idée du bac « à la carte » car ce mode de fonctionnement se rapproche plus du fonctionnement de l’université.

Un peu plus loin, Jean-Louis Fournel tient une banderole. Il est le cofondateur de Sauvons l’université, une association qui a ferraillé contre la loi Pécresse d’autonomie, en 2007-2008. Mise en sommeil ces dernières années, la structure revit depuis quelques mois pour essayer de produire une réflexion, organiser des réunions pour débusquer les malfaçons et les dommages collatéraux de cette réforme du supérieur. Pour l’universitaire, la participation à cette mobilisation n’est pas « ridicule ».

Il s’élève pour sa part contre une loi qui vise « à transformer le lycéen et étudiant en auto-entrepreneur de son parcours  ». Il craint qu’à terme, une université pour les riches, et une autre pour les pauvres ne naissent dans le pays. « On peut objecter que c’est déjà comme ça. Mais cette réalité empirique peut être corrigée. Là, elle est amplifiée. » Le professeur explique qu’il faut poursuivre le « travail d’information  », seul moyen de convaincre.

Alors que le cortège approche de son point d’arrivée symbolique, place de la Sorbonne, théâtre de la mobilisation mythique de Mai-68, Elsa, 19 ans, étudiante en L2 Humanités, sciences et lettres à Nanterre, militante à La France insoumise dont elle arbore le badge, partage les inquiétudes de beaucoup des jeunes étudiants présents. Pour elle, « l’éducation et l’accès à l’université vont devenir des luxes alors que ce sont des droits.  » Elle déplore la mise en place des attendus à l’entrée des formations. « Si je prends mon propre cas, avec un père artisan et une mère institutrice, je n’ai jamais pu faire de séjours linguistiques qui m’auraient pourtant bien plu. Du coup, je n’aurais rien eu à inscrire dans Parcoursup. »

Ceint de son écharpe tricolore, le sénateur communiste Pierre Ouzoulias entend démêler l’imbroglio juridique de ce projet de loi « illégal », et par ce biais le faire retirer. En effet, la loi a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale mi-décembre. Elle doit arriver au Sénat, les 7 et 8 février, avant de passer entre les mains d’une commission mixte paritaire, puis d’être à nouveau examinée par les députés. Il ne décolère pas de voir que la ministre signe des arrêtés, dans le désordre, puisque la loi n’est pas entérinée et les décrets ne sont pas encore parus. Ce jour-même, il a déposé des recours auprès du tribunal administratif pour casser la loi.

L’élu s’élève aussi contre le fait que le baccalauréat soit vidé de sa substance et renvoyé à un rôle fictif. Désormais, avec la réforme du ministre Jean-Michel Blanquer, les notes engrangées par l’élève auront plus de poids que l’examen lui-même. «  Autant dire qu’un 14 obtenu dans un lycée huppé n’aura pas la même valeur qu’un 14 décroché dans un lycée de Seine-Saint-Denis. On crée de la ségrégation sociale. »

Le sénateur suppute qu’il ne s’agit-là que d’une première étape. Le dessein du gouvernement et d’Emmanuel Macron est de prendre « un virage libéral  » à l’anglo-saxonne, croit-il. « Il y aura une fac d’élite pour les premiers de cordée, qui vont devenir des marques internationales et figurer dans le classement de Shanghaï. Comme ça, il y aura vraiment un système d’éducation à plusieurs vitesses. » Face à la Sorbonne, un jeune brandit une pancarte qui expose : « Loi du marché : si la fac augmente ses prix, les pavés resteront gratuits ». La marche est encore haute avant de pouvoir rejouer Mai-68 mais d’ores et déjà une autre journée de mobilisation est prévue le 6 février.

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