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Les trompettes de Parcoursup - Mediapart, Le blog de Ingénieur différent, 18 avril 2018

vendredi 20 avril 2018, par Mariannick

« Le 22 mai prochain, sera le jour du crash test.. et peut être celui de la Parcoursupocalypse »

À lire ici (pour profiter de tous les liens extrêmement documentés).

Parcoursup est un service proposé par l’état qui permettra prochainement d’affecter futurs bacheliers dans les filières d’enseignement supérieur de leur choix.

L’état chaque année fait face à la déclinaison d’un ancien et classique problème de mathématiques appliquées : les mariages stables.

L’enjeu est de taille, maximiser le nombre de couple candidat/formation stable dans le temps tout en maximisant la satisfaction générale ou à défaut minimiser l’insatisfaction générale.

Nos données d’entrées sont simples : 887 681 candidats et 13200 formations.

1. Un problème de ressources

Remarquons dans un premier point un certain déséquilibre. Le nombre de places disponible dans l’enseignement supérieur est inférieur au nombre de prétendants. Ce déséquilibre est encore plus flagrant cette année à cause du mini choc démographique des années 2000. Ce sont ces bébés 2000 qui frappent aujourd’hui à la porte de l’enseignement supérieur.

Le problème n’est donc plus seulement de répartir au mieux huit œufs dans une boite de huit, mais de placer huit œufs dans une boite de six. Il faut être très clair, même le meilleur algorithme d’affectation au monde est incapable résoudre ce problème. Il y aura des œufs cassés. L’enseignement supérieur est face à un manque de ressources structurelles qui l’empêche de pourvoir honorer ses promesses.

2. Le meilleur algorithme

C’est un problème de mathématiques caractérisé par une forte explosion combinatoire à la frontière entre la théorie des systèmes complexes et la théorie des jeux. Ce problème des mariages stables fut résolut en 1962 par David Gale et Lloyd Shapley par un algorithme qui porte désormais leurs noms.

Chose importante à retenir, l’algorithme de Gale Shapley est reconnu actuellement comme le meilleur algorithme d’affectation. La puissance de l’algorithme de Gale Shapley réside dans le classement. Le candidat classe ses vœux dans l’ordre de préférence désiré sans aucune stratégie.

Entre 2009 et 2017, le service Admission Post Bac chargé d’affecter les bacheliers implémentait cet algorithme. La plateforme APB réalisait plutôt bien la tâche qu’on lui avait attribué avec un vœu proposé à 80,6% des candidats dès le premier tour en 2016.

APB a un ancêtre toujours vivant : SCEI, le Service des Concours des Écoles d’Ingénieurs mis en place au début des années 2000 à l’initiative du Professeur Bernard Koehret de l’Institut National Polytechnique de Toulouse. Impressionné par l’efficacité de cet outil, l’état a commandé une version pour l’admission dans l’enseignement supérieur avec quelques aménagements, APB était né. Le gouvernement actuel considère peut être que APB est une « usine à gaz » mettant en place un scandaleux « tirage au sort », mais nos grandes écoles d’ingénieurs continuent d’utiliser la version originelle pour affecter les candidats suite à aux concours d’entrées. Les grandes écoles d’ingénieurs savent que lorsque cet outil est bien utilisé il réalise un excellent travail.

3. Avènement de Parcoursup... et ses conséquences

Voici quelques- unes des nouvelles règles de la plateforme Parcoursup

  • Le candidat ne classe plus ses vœux mais écrira des lettres de motivations et un CV
  • Les institutions seront dotées d’outils de classement des candidats.
  • Les résultats seront donnés en bloc et le choix des candidats se feront « au fil de l’eau »

Après la campagne d’affectation 2017 et pour des raisons que les éléments de langages du gouvernement vous fournira, les autorités ministérielles ont décidé de modifier l’algorithme d’affectation.

La première règle a fait ces derniers mois la fortune des coachs en orientation quand bien même les lettres de motivations et les CV n’auront qu’un impact limité dans le classement réalisé par les institutions. D’autant plus que ces documents ne seront pas lu pour cause de manque flagrant de ressources dans la plupart des institutions d’enseignement supérieur. Les rares fois ou ces documents auront un impact, elles avantageront les candidats issus de catégories sociales favorisées. Un fils de DRH possède les ressources familiales pour écrire une lettre de motivation et un CV qui se démarquera positivement de la masse des post-adolescents qu’il a pour concurrents.

Les conséquences des deux règles suivantes sont tout autant inquiétantes. L’algorithme Parcoursup perd le cœur du réacteur de l’algorithme de Gale Shapley, le classement des vœux par le candidat.

Il est fort probable qu’un candidat en tête d’un classement réalisé par une institution d’enseignement supérieur le soit également dans les classements de toutes les autres institutions dans lesquelles il aura déposé des vœux. En effet, si vous avez des bonnes notes dans toutes les matières, vous êtes dans le peloton de tête quel que soit la pondération choisie.

Le jour ou les candidats recevront leurs réponses, une petite élite scolaire "trustera" donc la quasi totalité des places dans toutes les filières. Les autres attendront leur tour. Seules des simulations numériques peuvent prédire la taille des nombreuses et géantes files d’attente qui se formeront. Au vu du calendrier décidé par le gouvernement, 7 jours du 22 mai au 25 juin, 3 jours du 26 juin au 20 août et 1 jour à partir du 21 août ce risque d’explosion des files d’attente est connu au niveau gouvernemental. Cela va grandement contribuer à l’anxiété des 887 681 candidats à quelques semaines du bac.

En première approximation, il est raisonnable de se placer dans le cadre de la loi de Pareto, 20% des candidats monopoliseront alors 80% des places disponibles. Winners take all . Imaginez seulement le niveau de panique des candidats laissés sur le carreau pendant les premiers rounds. Ceux qui auront les moyens économiques et/ou culturels fuiront vers les institutions privées hors Parcoursup.

[bleu]Bon plan : c’est le moment d’acheter des actions d’écoles de commerce post-bac.[/bleu]

Par ces choix à priori seulement techniques, nous passons insidieusement d’une logique de service publique d’affectation aux institutions d’enseignement supérieures à une logique de public au service des institutions d’enseignement supérieures.

Il existe un palliatif risqué pour atténuer la taille des files d’attente : surbooker les filières et croiser les doigts pour que le bon nombre de candidat refuse la proposition. La fameuse loi de Murphy, (chère aux ingénieurs) dont l’énoncé est « Tout ce qui est susceptible de mal tourner, tournera mal  » sera le coup de grâce donné aux astucieux universitaires s’essayant au surbooking.

La disparition de l’ordre de vœux va en effet jeter les équipes pédagogiques dans le brouillard. Les formations vont devoir anticiper précisément le nombre de candidats qui peuvent répondre "oui" à leur proposition sachant que les décisions des candidats sont également conditionnées par les réponses ("oui","non","oui si" et "en attente") des neuf autres vœux.

Si les équipes pédagogiques visent trop bas c’est le risque de sousbooking, si les équipes pédagogiques visent trop haut c’est le risque de surbooking. Comme n’y a aucun retour d’expérience, il n’est même pas possible d’ajuster "gros grains" le nombre de candidats à classer pour limiter ces risques.

Il était possible avec APB de connaitre le rang moyen du vœu obtenu au bout de la procédure dans le classement. Sans classement des vœux par le candidat c’est impossible. Les responsables de l’outil perdent un outil de gouvernance essentiel. Non seulement les files d’attente seront plus longue mais il sera également impossible de déterminer le niveau de satisfaction des candidats vis à vis des vœux finalement obtenu.
[bleu] Pas très startup nation [/bleu].

Dans l’algorithme de Gale Shapley implémenté dans APB, l’idée est de maximiser la satisfaction des candidats en leur donnant le plus haut vœu possible dans leur classement. L’algorithme pouvait décider de réaliser un grand nombre de permutations pour pour accéder à un optimum acceptable. Parcoursup en sera incapable car il n’est pas spécifié pour.

4. Un travail titanesque

Pour finir ce tableau, une petite estimation du temps théorique traitement humain que les sélectionneurs devront passer pour classer les vœux de la fameuse plateforme.

  • travail, soit deux jours de travail d’une grosse PME
  • 7 millions de vœux ont été déposés sur la plateforme

En faisant de l’abattage, imaginons qu’on peut classer un candidat en 3 minutes.

  • 2.3 millions de minutes seront nécessaires pour réaliser ce travail
  • 3 888 heures de travail seront nécessaires pour réaliser ce travail.

Nos héros stakhanovistes peuvent fournir 7 heures de travail par jour.

La plateforme Parcoursup demande donc une quantité colossale de ressources humaines pour réaliser un travail par le passé réalisé plutôt efficacement par un algorithme.

Ce temps de travail n’étant pas financé, ce seront (d’obscurs) algorithmes locaux qui réaliseront ce classement. Les CV et lettres de motivations seront classés par le très efficace algorithme de classement vertical, c’est à dire à la poubelle.

5. Bilan

En résumé la disparition du classement va avoir pour conséquences :

  • La monopolisation des places sur les premiers rounds par les candidats ayant les meilleurs dossiers
  • L’explosion des délais d’attente pour les autres => stress => fuite pour ceux qui le peuvent vers le post bac hors parcoursup (souvent privé)
  • Incapacité de contrôler la satisfaction générale des candidats vis à vis des propositions.
  • Surbooking ou sousbooking non maitrisés des filières
  • Aucun retour d’expérience de cet algorithme
  • Surcroît de travail pour les équipes pédagogiques dans un contexte de ressources déjà restreint
  • Solution de mariage sous optimale, deux candidats peuvent être recrutés à la place que l’autre enviait

Au vu de tous ces éléments il est légitime de s’attendre à au moins à beaucoup de frustration lors de la révélation des premiers résultats d’affectation. Un candidat moyen venant d’un lycée moyen risque d’attendre pas mal de temps pour avoir ne serait ce qu’un de ses vœux (qui ne sera sans doute pas son vœu le plus désiré) et soit contraint de donner une réponse par défaut. Ceux qui le pourront se réfugieront dans le post bac privé.

Le 22 mai prochain, sera le jour du crash test.. et peut être celui du Parcoursupocalypse.

Post-Scriptum : Les systèmes décisionnels sont déjà notre présent et leur importance va croître dans le futur (Que pensez vous de l’intelligence artificielle ?). Des enjeux politiques et économiques se tapiront dans des choix présentés comme purement techniques. Les citoyens devront être armés mathématiquement pour appréhender ces sujets complexes afin de faire vivre un débat démocratique éclairé... d’où l’intérêt que le plus de monde possible fasse des études.