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Economie : l’université est toujours plus sectaire face aux hétérodoxes - Laurent Mauduit, Médiapart, 29 avril 2018

lundi 30 avril 2018, par Laurence

Le pluralisme en économie est de plus en plus menacée à l’université. Au moins six candidats malchanceux à la qualification pour devenir professeur ont engagé un recours. L’étude de leur dossier, que Mediapart a pu consulter, suggère qu’ils auraient pu être victimes d’une discrimination au motif que leurs travaux ne s’inscrivent pas dans la doxa dominante.

S’il est vrai que l’économie n’est pas une science exacte mais une branche des sciences sociales, et que sa richesse est d’abord fonction du pluralisme de ses approches, alors cette discipline traverse une période particulièrement sombre. C’est particulièrement vrai à l’université, où règne une intolérance de plus en plus inquiétante.

Les récents résultats de la session de qualification du Conseil national des universités (CNU) de la section économie font apparaître des discriminations sans précédent à l’encontre des candidats dont les travaux puisent leur inspiration dans les courants hétérodoxes. Des discriminations si visibles que six candidats, selon le décompte minimal de Mediapart, ont décidé d’user de leur droit de recours auprès de la ministre de l’enseignement supérieur.

Les menaces pesant sur le pluralisme à l’université ne sont pas nouvelles. Voici de nombreuses années que l’Association française d’économie politique (AFEP), dont la figure de proue est l’économiste André Orléan, sonne l’alarme, pointant le fait que les courants néolibéraux ou « mainstream » sont systématiquement privilégiés dans les recrutements universitaires, et que les courants hétérodoxes sont de plus en plus malmenés.

En 2014, nous alertions sur La mort programmée du pluralisme à l’université, en s’appuyant sur une étude impressionnante de l’AFEP portant sur les 210 personnes qui avaient été admises au grade A, celui de professeur des universités, entre 2000 et 2011. Les chiffres étaient éloquents : sur ce contingent de 210 passages en 10 ans du grade B au grade A, 84,2 % avaient profité à des personnes qui avaient dédié leurs recherches aux courants dominants de la science économique. Et seulement 5,3 % aux historiens de la pensée économique, et 10,5 % aux hétérodoxes.

Cette alerte – et bien d’autres qui ont suivi les années suivantes – n’a visiblement eu aucun effet. La situation s’est même encore dégradée, si l’on en croit l’AFEP, qui s’est appliquée à décrypter les résultats de la dernière session de qualification du CNU. Et ils sont consternants, comme l’observe un communiqué publié en mars par le conseil d’administration de l’association.

Pour comprendre ce texte, il faut connaître le déroulement de la procédure pour devenir professeur des universités en économie. Les candidats à cette fonction, doctorants ou maîtres de conférence, doivent s’inscrire à une procédure de qualification sous l’égide du CNU. Les inscriptions ont lieu chaque année d’octobre à décembre. Les candidats doivent constituer un important dossier, comprenant leur curriculum vitæ, leurs travaux de recherche et leurs publications dans des revues qui sont agréées par le Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Hcéres). Voici la dernière liste en date :

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L’AFEP critique cette liste, qu’elle ne juge pas pertinente, et fait valoir qu’elle ne comprend pas de revues hétérodoxes. Mais les candidats sont bien obligés d’accepter la règle du jeu, même si elle est mal faite.

Une fois les inscriptions closes, le CNU dépouille les dossiers et fait savoir chaque année en février la listes des personnes qui bénéficient de la qualification. Le parcours d’obstacles pour devenir professeur d’université n’est pas alors terminé, mais il n’y a plus qu’une seule étape à franchir : quand une université a un poste de professeur disponible, elle doit organiser un concours auquel ne peuvent participer que ceux qui sont déjà professeurs ou ceux qui ont obtenu la qualification du CNU. Cette qualification est donc une étape décisive dans le chemin qui conduit au poste très convoité de professeur des universités.

Or, ce sont précisément les derniers résultats de cette procédure de qualification, qui a été publiée en février dernier, qui inquiètent à juste titre l’AFEP. Dans le communiqué ci-dessus, l’association fait en particulier valoir que « les nouveaux qualifiés non standard ne représentent […] que 13 % de l’ensemble des qualifiés de rang A ». La formule de « non standard » est un gentil néologisme académique pour dire au choix « non néolibéraux », « non mainstream » ou plus simplement hétérodoxes.

Ce chiffre a de quoi inquiéter. « Ces résultats sont en très net recul par rapport aux résultats de la session 2017, où la moitié des candidats non standard avaient été qualifiés. » En vérité, c’est un double scandale. D’abord pour les candidats, qui sont ainsi discriminés non pas du fait de leur travail mais parce qu’ils s’inscrivent dans un courant de pensée qui n’est pas celui de la doxa dominante. Par ricochet, ce premier scandale en génère un second : s’il y a moins de professeurs hétérodoxes, il y aura moins d’étudiants bénéficiaires de leur savoir. Et de fil en aiguille, c’est ainsi que la doxa dominante menace d’extinction tous les autres courants de pensée.

De la part du CNU, il y a donc beaucoup de sectarisme dans les qualifications retenues en février 2018. La victoire d’Emmanuel Macron a vraisemblablement donné des ailes aux partisans du tout-libéral, jusque dans les enceintes universitaires. Les indices de ce sectarisme se trouvent dans les cas de certains des candidats pour qui l’échec est vraisemblablement une grande injustice.

Ils sont en effet au moins six candidats – et peut-être d’autres dont nous n’avons pas eu connaissance – à ne pas avoir obtenu leur qualification et à exercer le recours hiérarchique que la loi autorise, considérant la décision incompréhensible.

Pour ces six cas, dont nous avons pu consulter les notifications rendues par le CNU, la « motivation de la décision  » est à chaque fois, mot pour mot, la même : « Sur l’avis des rapporteurs, après délibération, la section a jugé le dossier du candidat insuffisant. Celui-ci devra être renforcé par des contributions publiées dans des revues référencées par l’Hcéres. »

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