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Le blues des chercheurs français - David Larousserie, Le Monde, 14 octobre 2019

mardi 15 octobre 2019, par Elie

Enquête.

Le gouvernement s’apprête à proposer une programmation pluriannuelle de la recherche publique. Si la mesure répond à une demande ancienne, elle est loin de régler tous les problèmes entravant l’activité des scientifiques.

« On est à l’os ! Des jeunes arrêtent leur carrière, des seniors partent à l’étranger. On recrute, mais pas dans les pays les plus en pointe. » Cette confidence d’un président d’organisme de recherche français sur la situation financière et humaine dans ses propres laboratoires en dit long sur le malaise chez les chercheurs. Il suffit de tendre l’oreille pour que les témoignages affluent, de toutes les disciplines.

Ecoutons-les : « A mon époque, si j’avais dû demander sans cesse des financements, je ne sais pas si j’aurais continué… », nous confiait récemment Serge Haroche, ancien administrateur du Collège de France et Prix Nobel de physique 2012. « Je suis déjà désabusée, sept ans seulement après avoir été recrutée au CNRS. Je ne reconnais plus mon métier dans lequel je dois tout faire, de la recherche, de l’encadrement de jeunes, des tâches administratives, de la recherche de financement, des rapports, de la gestion d’équipe… A ce rythme, je ne tiendrai pas », confesse une biologiste. « J’ai failli y passer cet été, à cause d’une infection à la vésicule attribuée au stress. J’avais pas mal de symptômes depuis longtemps que j’aurais dû écouter… mais je n’avais pas le temps », témoigne un astrophysicien, professeur dans une université.

En 2015, un sondage réalisé par l’association Science en marche auprès de 2 000 directeurs d’unités de divers organismes confirmait un malaise général : 70 % d’entre eux estimaient ne pas avoir assez de moyens pour travailler. Le baromètre Educpros, qui interroge des personnels de l’enseignement supérieur, pointait la baisse du taux de satisfaits dans leur travail, passé de 82 % en 2014 à 75 % en 2017.

Depuis des années, les syndicats, les instances représentatives comme le « parlement de la recherche », le Comité national de la recherche scientifique (CoNRS) ou des associations comme Science en marche (en 2014) ou RogueESR (en 2016) alertent sur la situation dans les laboratoires. Cette année, les sommités de la recherche française et de l’Etat, présidents d’organismes ou d’universités, parlementaires, ministre et même premier ministre ont semblé prendre la mesure de la situation. C’est en effet Edouard Philippe qui a reçu le 23 septembre les rapports de trois groupes de travail, destinés à l’éclairer sur une future loi de Programmation pluriannuelle de la recherche, annoncée pour 2020, et censée dissiper les malaises.

Il y a, pour les experts consultés, « urgence à agir », pour corriger le « décrochage rapide » ou la « dégradation dans le secteur public de la recherche ». Certaines de leurs propositions, si elles sont suivies, feront consensus, d’autres sans doute moins. Seront-elles de nature à mettre fin au blues causé par le manque de moyens, de personnel, les faibles rémunérations, et qui parfois se transforme en insatisfaction, en désenchantement, voire en dépression ? Dans l’attente de réponses, tour d’horizon des principaux écueils auxquels se heurtent les chercheurs.

Le manque de moyens

Il existerait un paradoxe français. Depuis trois ans, le budget du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation est en hausse, d’environ 500 millions d’euros par an. Pourtant, les chercheurs ne voient quasiment pas ces hausses ! Le paradoxe n’en est pas un. D’abord, ces hausses, proches de l’inflation, sur un budget de l’ordre de 25 milliards d’euros, ne concernent pas toute la recherche puisqu’une partie est consacrée à l’enseignement supérieur et à la vie étudiante. En 2019, par exemple, sur les 500 millions supplémentaires, 25 millions irrigueront le fonctionnement des organismes.

Surtout, la masse salariale compte pour une large part des dépenses et réduit donc les marges de manœuvre des laboratoires. Au CNRS, plus de 72 % du budget de 3,4 milliards d’euros concerne les dépenses de personnels. Globalement, les experts du premier groupe de travail estiment qu’entre 2011 et 2017, la masse salariale a augmenté de 2,5 % quand le budget de fonctionnement a baissé de 1,73 % et les investissements de 0,8 %. On arrive alors à une situation qualifiée d’« absurde » par les rapports remis au premier ministre, à savoir « créer des laboratoires ou employer des scientifiques sans leur donner les moyens minima de fonctionner ».

« Il y a toujours eu des inégalités entre laboratoires. Qu’il y en ait de mieux dotés que d’autres n’est pas le problème. Le problème est qu’il y a des gens qui n’ont plus rien pour aller en conférence, prendre des étudiants… », constate Patrick Lemaire, président de la Société française de biologie du développement, directeur de recherche au CNRS et cofondateur du mouvement contestataire Science en marche en 2014. « Moi-même, si je n’avais pas décroché récemment un contrat, je n’aurais plus rien. Beaucoup d’équipes se sentent fragilisées. »

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