Accueil > Revue de presse > Des poupées russes universitaires en Alsace - Philippe Jacqué, blog Le (...)

Des poupées russes universitaires en Alsace - Philippe Jacqué, blog Le Monde.fr, 18 mars 2011

vendredi 18 mars 2011

Cela ressemble à des poupées russes à la mode universitaire… Mardi 15 mars, le conseil d’administration de l’Université de Haute Alsace (Mulhouse) a voté, à 23 voix pour, 1 contre, une demande de “rattachement” à l’université de Strasbourg (UdS). A défaut de fusion, les universitaires mulhousiens veulent recourir à cette méthode habituellement réservée à l’adossement de grandes écoles ou de composantes à des universités. L’UHA serait une université dans une université…

Si Mulhouse a pas mal d’atouts, comme une forte “culture de la professionnalisation et de l’innovation”, elle a aussi beaucoup de faiblesses, comme le reconnaît son président, Alain Brillard… Avec ses 7000 étudiants et 580 enseignants (et beaucoup moins d’enseignants-chercheurs), elle est en taille “sous-critique” : formations à faibles effectifs, offre de formation à restructurer, nombre d’enseignants-chercheurs de rang A insuffisant… Si elle a des projets, elle n’est aujourd’hui pas assez armée pour les porter fortement, car elle est également très isolée dans le Grand Est.

Après la fusion des trois universités strasbourgeoises, en 2009, les quatre universités lorraines ont décidé de fonder l’université unique de Lorraine, les universités de technologie de Belfort-Montbéliard et Troyes se marient, tandis que les universités de Bourgogne et Franche-Comté préparent une université fédérale. Du côté allemand ou suisse, les universités de Fribourg et Bâle jouent dans la cour des “Harvard et cie”.

La pression monte

Depuis quelques années, les hommes politiques alsaciens, et en premier lieu Jean-Marie Bockel, le président de l’agglomération de Mulhouse, appellent à une solution alsacienne, plutôt que transrégionale avec la Bourgogne, par exemple. L’ancien ministre prône la fusion de l’UHA et de l’UdS. En mai 2010, le conseil économique, social et environnemental régional d’Alsace appelait également dans un avis à la fusion. Enfin, début février, le ministère de l’enseignement supérieur a remis un petit peu la pression par l’entremise d’Armande Le Pellec-Muller, la rectrice de l’académie de Strasbourg.

Nous savons que nous devons bouger. Mais vu notre histoire et les spécificités de notre établissement, nous ne souhaitons pas être immergés dans un grand ensemble”, explique Gérard Binder, ancien président de l’UHA et toujours élu dans le conseil d’administration.“Avec le rattachement, nous gardons notre personnalité morale, et notamment nos instances, et notre autonomie financière.

Oui à la fusion, non au changement de nom

Le 18 février, lorsque cette hypothèse a été évoquée dans un conseil d’administration en présence d’Alain Beretz, le président de Strasbourg, et de son vice-président Michel Deneken, le Strasbourgeois n’a pas fermé la porte, même s’il était peu enthousiasmé par cette possibilité. Selon un compte-rendu de la séance que Le Monde s’est procuré, Alain Beretz a été très clair : “Il ne faut pas trouver refuge dans cette solution (…) Etre innovant statutairement n’apporte rien. A terme, la structure unique est la seule viable mais elle ne peut pas être mise en œuvre dans le prochain quinquennal en raison des délais trop courts. Le rattachement demande une volonté plus forte pour mettre en œuvre des coopérations (…) Il faut un rattachement de conviction.

Bref, Strasbourg défend l’idée d’une fusion, à ses conditions. Alain Beretz ne veut pas, par exemple, abandonner le nom d’”université de Strasbourg”, une “marque” universitaire connue à travers le monde. “Aucune université ne porte de nom de région”, a insisté le président d’un établissement membre de la LERU, le groupe des plus grandes universités européennes de recherche - avec Cambridge, Oxford ou la LMU de Munich… En un mot, il rejette le nom d’université d’Alsace, à l’instar du choix fait en Lorraine. Mulhouse deviendrait dans son esprit un “campus de l’université de Strasbourg”. Ce choix est, et c’est un euphémisme, mal vécu par les universitaires mulhousiens.

Mulhouse paie l’addition de l’attentisme

Dans un communiqué suivant le CA du 15 mars, Alain Brillard a présenté la position de son établissement : “La proposition du président de l’université de Strasbourg Alain Beretz et du premier vice-président Michel Deneken, exprimée notamment au cours de la séance du conseil d’administration du 18 février 2011, a été examinée par les instances de l’université de Mulhouse. En résumé, elle consiste à fusionner l’université de Mulhouse au sein de l’université de Strasbourg, sous la forme d’un campus. Par ailleurs, il n’est pas envisagé de modifier les instances de gouvernance que l’université de Strasbourg a mises en place. Ceci a pour conséquence que l’université de Mulhouse ne sera certainement pas représentée dans les organes de gouvernance de l’ensemble fusionné, compte tenu des règles électorales s’appliquant aux universités. Dès lors, la fusion s’apparente plutôt à une “absorption”". Un scénario alternatif de rattachement a donc été proposé.

Réagissant dans L’Alsace à la proposition ferme de rattachement à l’UdS, Michel Deneken estime que la formule du rattachement est obligatoirement “une mesure transitoire vers autre chose. Plus qu’une fédération en tout cas. (…) Nous voudrions, à terme, qu’il n’y ait qu’un seul établissement”, tout en insistant sur le fait qu’“il ne s’agit pas de faire quoi que ce soit de manière autoritaire : on n’a pas intérêt à chambouler le terrain mulhousien.” Selon le prêtre - et oui, Strasbourg est la seule université publique, concordat oblige, à posséder une faculté de théologie catholique -, plusieurs hypothèses sont envisageables : faire de Mulhouse un “pôle de proximité développant davantage les formations au niveau licence” (en clair un collège universitaire) ou “au contraire, un site privilégiant des niches d’excellences” (une solution plus valorisante, mais qui entraînera des suppressions de filières à Mulhouse)…Le conseil d’administration de l’université de Strasbourg doit se prononcer avant le 30 mai.

Cependant, si l’attitude strasbourgeoise est si rigide et dure vis-à-vis de Mulhouse, c’est aussi que cette dernière a, pendant longtemps, tergiversé, repoussant toute décision stratégique. Aujourd’hui, elle paie l’addition de l’attentisme.


Voir en ligne : http://lemonde-educ.blog.lemonde.fr...