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Carte scolaire : "Grâce à une communication offensive, la suppression a été remportée dans les esprits", Entretien avec N. Mons, Le Monde, 13 février 2012

lundi 13 février 2012

A lire sur le site du Monde.

Nathalie Mons, sociologue, vient de soutenir son habilitation à diriger des recherches sur la carte scolaire. Quatre ans d’enquête, dans près de quarante départements, pour dresser un état des lieux de la réforme au collège.


Pourquoi l’impact de la réforme est-il si difficile à mesurer ?

Les informations fournies au niveau national par le ministère de l’éducation sont restées très parcellaires, par exemple sur la façon dont les boursiers se sont emparés du dispositif sur la mixité sociale dans les établissements. D’ailleurs, le ministère ne parle plus de cette réforme, dont on pourrait attendre un bilan officiel.

La suppression de la carte scolaire se réduit-elle à une promesse électorale ?

C’est une mesure phare de la campagne présidentielle de 2007, une mesure de rupture : la carte scolaire remonte à de Gaulle qui l’a instaurée dans les années 1960. Et une réforme populaire : dans tous les sondages, les Français disent souhaiter l’assouplissement de la carte scolaire, même s’ils sont une minorité à demander une dérogation.

L’objectif de Nicolas Sarkozy est clairement électoraliste. Mais le ministre de l’éducation nationale, Xavier Darcos, et son entourage ne soutiennent pas la réforme et lui donnent cette forme étrange d’"assouplissement" de la carte scolaire. La carte scolaire ne sera finalement jamais supprimée. Il y a un hiatus entre le discours, très offensif, où l’on dit vouloir lutter contre les ghettos, en sortir les boursiers, et le dispositif réglementaire mis en place, très timidement. Une simple note ministérielle, en 2007, offre à Xavier Darcos l’occasion d’introduire un élément qui permet aux acteurs locaux de vider la réforme de son sens : les dérogations seront accordées "dans la limite des places disponibles".

Que pensez-vous de son impact à l’échelle nationale ?

Comme l’explique le rapport de l’Ecole d’économie de Paris, on ne perçoit pas de bouleversement majeur après cinq ans de réforme au collège. Les demandes de dérogation à l’entrée en 6e ont certes été multipliées par deux, pour atteindre 11 % à la rentrée 2010. Mais un élève demandeur sur dix, c’est peu, et certainement pas révélateur d’un changement social majeur ! Le taux de satisfaction est le même en 2010 qu’avant la réforme, avec 67 % de dérogations acceptées. Seuls 8 % des élèves sont scolarisés hors secteur, et, selon les départements, entre 3 % et 10 % seulement des boursiers qui étaient pourtant la "cible" de la réforme.

La réforme n’a pas atteint son objectif de mixité sociale. Certes, la part des demandes dans les établissements de l’éducation prioritaire - près de 15 % - est supérieure à la moyenne - 11 % -, mais, dans une majorité de départements, les dérogations sont moins accordées en ZEP qu’ailleurs. La réforme semble marquée par un défaut majeur de mise en oeuvre.

Vous avez mis en lumière des changements. Lesquels ?

En 2007-2008, "an I" de la réforme, elle a été appliquée avec un zèle extrême par les inspections d’académie, sous la pression du ministère et de l’Elysée. Le taux de satisfaction grimpe alors à 77 %. En 2008-2009, il atteint 79 % mais, dès l’année suivante, c’est le reflux. Dans les établissements réputés difficiles, des dispositifs attractifs sont mis en place - classes bilangues, de théâtre, de sport - pour enrayer la chute des effectifs. Des dispositifs dérogatoires qui menacent l’esprit de l’école unique.

A quels freins la réforme se heurte-t-elle sur le terrain ?

Les signaux négatifs viennent de partout. La demande des familles n’est pas au rendez-vous. Les conseillers généraux, chargés des collèges, freinent des quatre fers. Les premières enquêtes, celles de l’inspection générale (2008) et de la Cour des comptes (2009) évoquent un risque de ghettoïsation des collèges déjà les plus en difficulté. L’Elysée comprend dès 2008 qu’il ne pourra pas remporter sur le terrain le pari de la suppression. En revanche, grâce à une communication offensive, il l’a peut-être remporté dans les esprits. Nombre de parents pensent que la carte scolaire a bel et bien été supprimée. C’est le rôle performatif des discours politiques : dire, c’est faire.

Propos recueillis par Mattea Battaglia