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"Le trompe-l’oeil des quotas de boursiers", par Thibault Gajdos, Chronique, Le Monde Economie, 01/02/2010

lundi 1er février 2010

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L’enseignement supérieur français est inégalitaire. La dernière édition des Repères et références statistiques publiée par le ministère de l’éducation nationale permet d’en prendre la mesure. En 2008, les enfants de cadres représentaient 45,3 % des élèves des écoles d’ingénieur (non universitaires), alors que la part des cadres dans la population de 15 ans et plus était de 8,7%, selon l’Insee. En revanche, on ne trouvait dans ces écoles que 11,2 % d’enfants d’employés et d’ouvriers, alors que ces catégories socioprofessionnelles constituent 29,6 % de la population. La situation des écoles de commerce est similaire. Celle des universités guère meilleure.

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Cette situation s’explique en grande partie par les inégalités de réussite scolaire. Les choix d’orientation, qui relèvent de l’information et des croyances des élèves et des parents, jouent également un rôle important. Ainsi, Sylvie Lemaire observe que, parmi les récipiendaires d’une mention au baccalauréat, les enfants de cadres sont deux fois et demi plus nombreux à s’inscrire en classe préparatoire aux grandes écoles que les enfants d’ouvriers ou d’employés (Note d’information n° 08-16, mars 2008, ministère de l’éducation nationale). La réduction des inégalités d’accès aux universités et aux grandes écoles exige donc davantage qu’une réforme profonde du système scolaire.

Le président de la République, Nicolas Sarkozy, propose la mise en oeuvre d’une politique de discrimination positive. Il demande aux universités et aux grandes écoles d’accueillir 30 % de boursiers. Il faut mesurer la pertinence de l’objectif fixé à l’aune des bénéfices attendus. En 2008-2009, 40 % des étudiants boursiers appartenaient à un ménage dont la personne de référence disposait d’un revenu annuel supérieur à 22 000 euros (Statistiques des boursiers de l’enseignement supérieur, TS 7079, www.pleiade.education.fr). A titre de comparaison, en 2006, 60 % des salariés des secteurs privé et semi-public ont perçu un salaire inférieur à 20 685 euros (Insee). Autant dire que les boursiers sont, très largement, des enfants de la classe moyenne.

L’explication est simple. Il existe sept échelons de bourse, allant de l’exonération des droits d’inscription et de Sécurité sociale (échelon 0) à un versement de 4 019 euros par an (échelon 6). Le niveau de la bourse est déterminé en fonction des ressources des parents, du nombre d’enfants, et de la distance entre l’établissement et le domicile familial. Une famille vivant à Nice, disposant d’un revenu brut global annuel de 53 400 euros, et dont les deux enfants suivent des études supérieures à Paris, pourra bénéficier des bourses à l’échelon 0.

M. Sarkozy fait donc un constat qui est juste - les inégalités d’accès aux filières les plus prestigieuses de l’enseignement supérieur sont difficilement acceptables -, mais propose une solution en trompe-l’oeil. Au lieu de réduire les inégalités, la mise en place de quotas de boursiers risque de les accroître. Les étudiants les plus pauvres vont se trouver en concurrence avec les étudiants des classes moyennes pour obtenir les places dédiées aux boursiers. Les inégalités scolaires joueront à plein. Non seulement les enfants issus des milieux modestes seront évincés, mais leurs sentiments d’échec et d’exclusion en seront renforcés. Il serait préférable de fixer des objectifs moins spectaculaires, mais plus justes. Il en va de la discrimination positive comme de la bombe atomique de Boris Vian : ce qui compte, ce n’est pas le bruit qu’elle fait, c’est l’endroit où elle tombe.

Thibault Gajdos est chargé de recherche au CNRS.