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Vitry : polémique entre le ministre et les enseignants - Yann Bouchez et Luc Cédelle, Le Monde, 7 février 2010

dimanche 7 février 2010

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Grève ou droit de retrait ? Les enseignants du lycée Adolphe-Chérioux de Vitry-sur-Seine (Val-de-Marne) ont cessé le travail depuis mercredi 3 février, au lendemain de la grave agression dont a été victime un lycéen, mardi, dans l’enceinte de l’établissement. Un coup de couteau dans la cuisse de la victime, une balle tirée en l’air, qui ont entraîné la mise en examen de trois mineurs pour violences avec armes en réunion.

Pour l’équipe éducative, le droit de retrait, qu’elle compte faire à nouveau prévaloir lundi 8 février, s’impose. Pour le ministère de l’éducation, c’est une grève, qui donnera lieu à des retenues de salaire pour "service non fait".

MENACE PERMANENTE

Interrogée, vendredi par Le Monde, Josette Théophile, directrice des relations humaines au ministère de l’éducation, estime être devant la "reconduction d’un arrêt de travail collectif" et souligne que "le service non fait n’est pas rémunéré". "Nous comprenons, dit-elle, l’émotion des personnels devant des faits graves qui appellent des mesures. Mais l’émotion, ça ne peut pas durer une semaine. Quel est le sens de priver les élèves de cours et de déserter l’établissement ? Cela ne règle rien."

"C’est de l’encadrement humain que l’on réclame, pour la surveillance et la prévention, explique Claudie Ceccarelli, documentaliste, en poste depuis dix-huit ans. Il faut que l’on puisse anticiper les problèmes." Le ministre Luc Chatel répond que, "même un surveillant derrière chaque élève, cela n’aurait pas empêché l’agression".

Une controverse est ainsi ravivée, alors que l’établissement vit au rythme des assemblées générales et des délégations envoyées au rectorat. Car ni les enseignants ni les élèves ne partagent le diagnostic du ministre, dans un établissement qui compte onze surveillants pour 1 500 élèves. Avec ses 40 hectares, ses grandes étendues de pelouse et ses bâtiments éloignés les uns des autres, le domaine de Chérioux ressemble à un campus américain. Avec ses avantages et ses inconvénients. Et vendredi, on n’y parlait encore que des intrusions. Une menace permanente qui contraint certains enseignants à boucler à double tour leurs salles de cours. "Ceux qui sont venus régler leurs comptes dans le parc auraient pu entrer dans une classe", lance Sabine Contrepois, 52 ans, professeur de lettres-histoire en section professionnelle.

"Cette insécurité concerne tout le monde, dit Benjamin Guiovanna, 16 ans. Ici, tu peux te faire agresser par quelqu’un venu de l’extérieur." "Moi je n’ai pas peur, mais certains m’ont dit qu’ils avaient peur de revenir", raconte Gaëtan Job, blouson de cuir et tee-shirt sur lequel est imprimé le slogan : "Lycéens en danger". Comme si l’ombre d’Akim, adolescent tué d’un coup de couteau, le 22 janvier dans un lycée voisin du Kremlin-Bicêtre, planait sur les lieux.

Aujourd’hui, même avec les six médiateurs et les trois surveillants proposés par William Marois, le recteur de Créteil, ils estiment que le compte n’y est pas. Les enseignants veulent aussi l’installation d’une clôture autour du lycée. Une demande retardée car le parc appartient au conseil général alors que le lycée est géré par la région.

A l’approche des régionales, M. Chatel a mis en cause la région et le département, qui se sont empressés d’annoncer des travaux de clôture "avant l’été" et de souligner que "la lutte contre l’insécurité relève du pouvoir régalien de l’Etat". Quelques jours plus tôt, le ministre avait annoncé l’accélération de la mise en place de son plan sécurité censé sanctuariser les établissements.


Yann Bouchez et Luc Cédelle