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Rentrée scolaire, la réussite au compte-gouttes - Maryline Baumard, Le Monde, 1er septembre 2010

mercredi 1er septembre 2010

On s’était habitué à l’idée que l’école avait sa part de responsabilité dans l’échec scolaire des élèves. Que la réduction de cet échec était une des finalités d’une école démocratique. Il va pourtant falloir penser autrement si l’on en croit Brice Hortefeux. Lorsque le ministre de l’intérieur déclare au Monde (daté 22 -23 août), au détour d’un entretien sur la sécurité, "je trouve qu’on a trop parlé de l’échec de l’école plutôt que de celui de l’élève qui ne travaille pas assez", il apporte un éclairage à trois ans de politique éducative. Disant à haute voix ce que d’autres pensent tout bas. Si l’élève est responsable de son mauvais niveau scolaire, à quoi bon consacrer toujours plus de ce précieux argent public pour offrir de meilleures conditions de réussite aux 12 millions d’élèves, quand il suffirait qu’ils passent un peu plus de temps devant leurs manuels ?

Voilà qui permet de relire la suite des coupes claires dans le budget, et l’abandon de pans entiers du système, le tout agrémenté d’initiatives ponctuelles, permettant de sauver la collégienne méritante qu’un maintien dans sa zone d’éducation prioritaire (ZEP) oubliée aurait conduit à un diplôme peu monnayable. La sauver, elle qui veut travailler, est plus aisé que d’améliorer tout le système. Cela coûte tellement moins cher. Cela donne bonne conscience, lorsqu’on sait que le tri scolaire se fait moins sur le mérite que sur les conditions socio-économiques. Et cela ramène au temps où la réussite de quelques fils de paysans suffisait à faire croire que celle de tous était possible.

Que se passe-t-il depuis 2007 ? La face positive de l’école selon Nicolas Sarkozy, c’est que tous les élèves du primaire au bac peuvent bénéficier de deux heures hebdomadaires d’accompagnement personnalisé assuré par des enseignants. La mesure entre en vigueur cette année en classe de seconde. C’est un des points forts de la réforme du lycée. Revers de la médaille, tout le système a été pressuré. Aux 50 000 postes disparus, répondent heures supplémentaires des enseignants et prestations de vacataires. La maternelle a quasiment fermé ses portes aux moins de 3 ans, l’école élémentaire offre 24 heures de classe aux élèves, contre 26 heures avant, le lycée aussi a rogné ses heures de cours.

En lisière de cette école mise à mal, fleurit une kyrielle de micro-initiatives qui donnent l’illusion du mouvement, de la nouveauté. L’idée que l’école change. En réalité, ce sont des palliatifs ponctuels qui font croire aux changements de fond, alors que le travail s’effectue sur les marges. Une politique du compte-gouttes et de l’exception. Une école qui offre à la méritante petite élève un billet pour l’ailleurs, faute de lui garantir à sa porte celle de la réussite. Cette école-là n’est pas une école de la réussite pour chacun mais pour quelques-uns. Pour les héritiers, pas de problème. Pour ceux qui ne sont pas nés au bon endroit, ils n’ont plus qu’à tenter de se glisser dans l’exception.

Avec de très bonnes notes en primaire, des conditions de vie difficiles, notre élève méritante peut se voir proposer un internat d’excellence. M. Chatel ouvre 2 900 lits sur douze sites. Si elle ne trouve pas une place dans ces structures pour élèves méritants, la dérogation à la carte scolaire devrait lui permettre de trouver un collège où elle pourra travailler. Peut-être un des 124 établissements où, nouveauté de la rentrée, le principal va pouvoir choisir ses enseignants ? Puis, si elle est restée en ZEP, sa mention "très bien" au diplôme national du brevet l’autorisera à choisir son lycée. A empocher une bourse au mérite aussi. Si elle veut progresser en langue, sûre qu’elle pourra s’inscrire aux stages d’anglais qu’offre l’éducation nationale à 40 000 jeunes durant les vacances scolaires. Ainsi pourra-t-elle tenter d’entrer dans une de ces grandes écoles où l’on forme l’élite du pays.

Changer d’école, plutôt qu’améliorer l’école. Pendant que notre méritante banlieusarde quitte son école d’origine, l’école se dégrade. Entre 2000 et 2006, le nombre de jeunes qui ne lisent ni ne comptent suffisamment bien pour préparer un CAP a été multiplié par deux. Ils sont souvent en ZEP, là où se concentrent les élèves les plus fragiles. La Cour des comptes a déploré que la possibilité de choisir son établissement ait "ghettoïsé" une partie de ces collèges qui accueillent un jeune sur cinq.

Depuis des mois, un rapport sur les ZEP attend sur le bureau de M. Chatel, mais, rien. Sur la carte scolaire, c’est aussi silence radio. Depuis que Xavier Darcos a ouvert la boîte de Pandore du choix de son établissement, rien. La Rue de Grenelle se refuse à communiquer un bilan sur ce sujet qui permet à quelques-uns de déroger à la règle de la proximité, et laisse aux autres les effets de ce déséquilibre.

Au total, si l’on compte large, ce sont quelques milliers de jeunes qui sont concernés par cette politique de la réussite. Quelques milliers sur 12 millions. Si l’on veut rester optimiste, il n’y a plus qu’à espérer que ce travail sur les marges s’étende. Ce serait la preuve que l’éducation nationale se convertit à l’expérimentation. Qu’elle parie de faire bouger le terrain par petites touches successives. Mais pour cela, il faudrait alors que la tache d’huile s’étale beaucoup et vite. Sinon la France pourrait bien se réveiller prochainement avec une place peu digne d’elle dans les classements internationaux.


Voir en ligne : http://www.lemonde.fr/idees/article...