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Déprogrammer l’école - Libéblogs, "Pris de cours", 20 octobre 2010

mercredi 20 octobre 2010

Ça n’est pas que j’y croyais tellement. En fait, je suis à peine surpris. Je viens de lire le programme du Parti Socialiste sur l’éducation. Plus affligeant, j’ai pas trouvé. Je préfère encore l’agressivité anti-profs de Sarkozy, les déclarations bidons de Luc Chatel et les coups de semonce des recteurs de tout bord, dont la docilité n’a d’équivalent que chez certains préfets consciencieux.

Je suis en colère contre les mesures dévastatrices que l’on prend actuellement pour « redresser la barre », notamment en terme d’éducation. Et plus encore du manque d’ambition des alternatives proposées par nos technocrates de gauche.

La réalité du collège, c’est 28 gosses de 11 à 15 ans dans une classe, face à un adulte, parfois non formé. Celle du lycée, c’est une hypocrisie du « cours à la carte » au nom de la « découverte », mesure qui ne sert à rien d’autre qu’à justifier la fermeture de certaines filières, tout en occupant quelques heures, histoire de faire illusion. Saviez-vous que dans certains établissements les proviseurs trafiquent les fiches de vœux de nos ados qui, croyant avoir le choix, ne sont que les pantins du populisme le plus véreux ?

L’enseignement n’est clairement plus une priorité. À leur manière mes collégiens le savent : c’est devenu la garderie. Mon manque d’expérience y est sans doute pour quelque chose. Pourtant je ne peux que constater qu’une ambiance détestable va toujours de pair avec des conditions de travail difficiles.

Comme beaucoup de professeurs font grève, mes élèves m’attendent parfois plusieurs heures. Je préviens quand je fais grève et quand je ne la fais pas. Ce jour-là je retrouve mes sixièmes dans un état d’énervement difficilement canalisable ; je colle à tour de bras, je déplace machin, je punis truc, rien n’y fait. Je quitte la salle avec le sentiment d’échec qui me prend toujours quand on accomplit en une heure ce qui n’aurait pas dû prendre plus d’un quart d’heure.

Plus tard dans la journée je retrouve la moitié de cette même classe, craignant le pire. Ambiance formidable. C’est pourtant la dernière heure, la pire. Tout le monde est au travail, j’ai le temps d’aller voir chacun ou presque, on respire mieux (en temps normal j’ai autant de tables que d’élèves, pas une de plus, dont quatre places ingérables, sur les côtés, trop proches du mur où est le tableau, ce qui est un facteur d’agitation insoluble), la prise de parole est plus fluide, les esprits apaisés. La communication est rétablie. Les cervelles font entendre leur petite musique prometteuse. On voudrait que ce soit comme ça tous les jours.

Serait-ce trop naïf d’établir une corrélation entre les conditions de travail en classe, la qualité de l’enseignement et les résultats des élèves ? À moins que ces résultats ne soient pas une donnée prise en compte. Dans ce cas il est plus raisonnable de dévaluer l’ensemble, depuis la formation des profs jusqu’à celle des élèves, et de convertir l’ensemble en avantages économiques pour le gouvernement.

Les collégiens m’ont déjà bluffé par leur capacité à passer l’éponge. Vous les croisez trois fois dans la journée, ils vous disent bonjour trois fois. Vous leur avez collé deux heures de retenue, ils vous saluent quand même à la sortie, aussi joviaux que si on avait pris un café ensemble.

Personnellement je n’oublie rien. J’accumule les frustrations professionnelles, auxquelles j’ajoute celles qui, d’une façon inentendable pour nos décideurs, émanent des élèves.

D’un côté je joue mon rôle. De l’autre, j’écoute les infos qui circulent, de prof à prof, de bouche à oreille, du public au privé. À la bêtise des réformes de l’Éducation Nationale s’ajoute tout un tas d’absurdités dont l’aboutissement tragique me semble inévitable. Personne n’est seul, tout se sait, ou finira par se savoir. Et l’écœurement prendra peut-être la forme dont je rêve : un grand mouvement national contre la résignation criminelle.


Voir en ligne : http://secondaire.blogs.liberation....