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"Tout est fait pour dissuader les bons étudiants d’entrer à l’université", chat avec François Vatin, professeur de sociologie, co-auteur de "Refonder l’université", Le Monde, 23 novembre 2010

mercredi 24 novembre 2010

Dans un chat sur Le Monde.fr, François Vatin, professeur de sociologie, co-auteur de "Refonder l’université", préconise la mise en place d’une année de propédeutique pour les bacheliers qui entrent à l’université sans disposer des prérequis.

Azerty : En mai 2009, votre texte dans Le Monde démarrait ainsi : "Il est désormais évident que l’université française n’est plus seulement en crise. Elle est, pour nombre de ses composantes, à peu près à l’agonie." Que diriez-vous à quelqu’un qui trouverait cela extrêmement exagéré ?

Il suffit d’interroger les collègues pour prendre conscience du faible nombre d’étudiants que l’on trouve notamment dans beaucoup de masters recherche, en sciences dures comme en sciences humaines. On peut aussi noter la concurrence de plus en plus vive qui est faite par les établissements privés, dès la sortie du baccalauréat.

Universitas : D’après vous, quelles sont aujourd’hui les trois mesures d’urgence à prendre pour "refonder" l’université ?

Mettre en place un système d’orientation équilibré à la sortie du baccalauréat entre différents cursus, universitaires et non universitaires. Installer un dispositif de remédiation ("année zéro") pour les bacheliers entrant à l’université et ne disposant pas des prérequis pour suivre des études universitaires. Organiser une sélection à l’entrée en master pour pouvoir structurer un vrai cycle de master sur deux ans (en supprimant la sélection entre le master 1 et le master 2).

Arnaud-71 : Cette "année zéro" n’a-t-elle pas un caractère discriminatoire ? Cela irait à l’encontre de notre histoire qui permet à tous d’aller à l’université.

Le dispositif d’"année zéro" vise précisément à ce que l’université reste ouverte à tous. Bien organisé, il permettrait d’amener au final plus d’étudiants jusqu’à la licence et à un rythme plus rapide. Le système actuel est hypocrite, il se traduit par une sélection impitoyable dans le cours du cursus, qui conduit les bacheliers non préparés aux études universitaires à sortir sans diplôme ou à mettre de fait quatre ans, voire plus, pour obtenir une licence.

Manola : La clé de la refondation de l’université n’est-elle pas la fin de la concurrence déloyale que le système des classes préparatoires et des grandes écoles livre à l’université ? Le problème, c’est que le pouvoir de décision concernant l’avenir du supérieur est entre les mains de ceux qui sont issus des grandes écoles et qui bloquent toute évolution. En tant que normalien, qu’en pensez-vous ?

Je ne suis pas normalien. J’ai fait mes études intégralement à l’université, en sciences économiques, à Aix-en-Provence. Pour le reste, je partage largement votre analyse. Mais il faut préciser que cette concurrence n’est plus aujourd’hui le seul fait des classes préparatoires et des "grandes écoles". Il faut compter aussi, dès la sortie du baccalauréat, les IUT (qui ne font que formellement partie de l’université), les STS (les sections de techniciens supérieurs, qui relèvent du secondaire, comme les classes préparatoires), et les nombreuses formations privées.

Ce sont celles-ci dont le poids a augmenté le plus considérablement dans les poursuites d’études après le baccalauréat, au cours de ces dernières années. D’après une enquête officielle du ministère, en 2008, ces formations accueillaient 14% des bacheliers, contre 24% pour les licences universitaires (hors médecine-pharmacie). En 1996, ces chiffres étaient respectivement de 7% pour les formations supérieures privées, contre 36% pour les licences universitaires.

Villeneuve : Le nivellement par le bas des exigences au bac n’est-il pas en train de savonner la planche des premiers cycles ?

Bien évidemment, si le niveau des bacheliers était meilleur, la situation serait meilleure pour toutes les formations supérieures. La question que je pose est indépendante de celle du niveau moyen des bacheliers, elle est de savoir comment les bacheliers sont orientés dans les diverses filières d’enseignement supérieur, et pourquoi on confie à l’université - et à elle seule - le rôle d’accueillir ceux qui n’ont pas trouvé de place ailleurs.

Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas encore de bons étudiants qui entrent à l’université, mais tout est fait pour les en dissuader. Sauf, bien sûr, dans les disciplines qui disposent encore du monopole professionnel (médecine-pharmacie mais aussi droit, même si, dans cette discipline, ce monopole est aujourd’hui fragilisé).

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