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Compte rendu de la rencontre entre Valérie Pécresse et les membres du CNU (15 janvier 2009)

vendredi 16 janvier 2009, par Laurence

Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, a réuni ce matin de 10h15 à 11h30 au Ministère (rue Descartes, amphithéâtre Poincaré) les présidents de section CNU et les vice-présidents des collèges A et B de chaque section sur le projet de décret portant modification du décret du 6 juin 1984 sur le statut des enseignants chercheurs.

Je vous adresse un bref compte rendu des propos de la ministre et des échanges qui ont suivi afin qu’ils puissent nourrir notre propre réflexion.

Dans un discours d’environ 45 minutes, la ministre, après avoir adressé ses vœux aux membres du CNU pour « une année qui s’ouvre sous les meilleurs auspices pour l’université », a énuméré et détaillé les « bonnes nouvelles » de 2009 : un budget de fonctionnement en augmentation de 117 millions d’euros (contre 27 millions en 2008 et six millions les années précédentes) ; cent millions d’euros de crédits pour les travaux de mise en sécurité des universités ; des crédits contractuels pour les universités de la vague C ; une dotation spécifique pour les établissements qui passent aux « ressources élargies » ; un plan de revalorisation des carrières des enseignants-chercheurs ; 420 millions de crédits État-Région dans le cadre du projet de rénovation des universités ; le lancement de grands chantiers universitaires en France et à Paris. Ces opportunités budgétaires doivent dans son esprit profiter à l’université en termes de formation, de recherche et d’innovation et améliorer la situation des enseignants-chercheurs : ont été encore mentionnés l’établissement d’un contrat de travail de droit public pour le doctorat ; la hausse de la rémunération des professeurs d’université à hauteur de celle des directeurs de recherche ; un accroissement du taux des promotions de l’ordre du double ; l’augmentation des primes ; la valorisation de la rémunération des maîtres de conférences dès leurs premières années d’enseignement par la prise en compte de toutes leurs activités antérieures dans les grilles indiciaires. La ministre entend « renforcer l’attractivité des fonctions et des carrières des enseignants-chercheurs ».

Mme Pécresse est ensuite entrée dans le vif du sujet. Elle a rappelé que le projet de décret portant modification du statut des enseignants chercheurs et, plus particulièrement, l’introduction d’une modulation des services s’inscrit dans le dispositif de la loi LRU et dans la logique de l’autonomie des universités : « les ressources humaines sont le cœur de l’université » ; « il n’est de richesse que d’hommes »... Elle a cependant voulu écouter et entendre ; elle a perçu des « craintes » et des « inquiétudes ». Le projet confié à la réflexion de la commission Schwartz a été ensuite soumis au Comité technique paritaire des universités, à la CPU et à la CP-CNU ; la ministre a reçu les organisations syndicales et les représentants de la communauté universitaire. Parmi les modifications intervenues par rapport au texte initial ont été énumérées : l’équivalence entre travaux dirigés et travaux pratiques ; la reconnaissance de l’égalité entre formation initiale, formation continue et formation à distance ; l’évaluation conjointe des activités d’enseignement et de recherche ; la création d’une instance de recours. Le projet n’a pas été encore transmis au Conseil d’État mais il est désormais (a-t-il été précisé dans le cours de la discussion) en état de l’être.

Mme Pécresse a enfin exprimé ce qui constituait à ses yeux la « philosophie » du projet. Il s’agit de mettre en place une gestion personnalisée des ressources humaines au sein des universités, dans la transparence et l’équité. Trois « principes intangibles » président à la loi : « l’égale dignité et l’égale valeur » des deux missions d’enseignement et de recherche ; la prise en compte de la diversité des disciplines, des missions et des universités ; et l’indépendance des enseignants-chercheurs. Il y aura équivalence entre la prime d’encadrement pédagogique et la prime d’excellence scientifique ; « l’enseignement ne constitue en aucun cas une variable d’ajustement » ; et les investissements de chacun seront pris en compte dans leur diversité (pédagogie, tutorat, mobilité, valorisation de la recherche, formation continue, administration, coopération internationale) ainsi que les équilibres successifs de ces activités au cours d’une carrière universitaire. Le nouveau projet maintient le principe d’un « enseignement de référence », par rapport auquel sont calculées les heures complémentaires et les décharges. Une phrase contestée du projet (article 4, 2ème alinéa), qui créait un lien entre diminution des activités d’enseignement et augmentation des activités de recherche, sera modifiée au profit d’une évaluation de l’ensemble des activités de l’enseignant-chercheur. Il n’y aura ni augmentation des services d’enseignement ni « logique comptable ». La répartition des services est déjà arrêtée au niveau local par la loi de 1984. Elle se fera désormais en fonction d’une « référence nationale » : l’enseignant-chercheur élaborera lui-même un rapport sur ses activités et ses projets ; la section compétente du CNU évaluera les activités d’enseignement et de recherche de chaque enseignant-chercheur environ tous les quatre ans ; les éléments de l’évaluation seront transmis aux universités. Ce nouveau système permettra, assure la ministre, plus de transparence et d’équité ; il complètera les évaluations opérées par l’AERES dans le cadre du contrat quadriennal ; les décisions des CA seront publiques et motivées ; une procédure d’appel national sera instituée pour les enseignants chercheurs classés deux années de suite en catégorie A qui n’auraient pas reçu de promotion. Des dispositions transitoires seront enfin mises en place.

Mme Pécresse a enfin abordé la question de la réforme des compétences du CNU. Celui-ci, composé de deux tiers de membres élus et d’un tiers de membres nommés, constitue à la fois une instance de référence disciplinaire, une instance de qualification et une instance d’évaluation. Le CNU devra être irréprochable et obéir à des règles strictes de déontologie. Des moyens nouveaux seront mis en œuvre : les présidents de sections bénéficieront de décharges ; chaque section ou groupe de sections pourra s’appuyer sur un secrétariat permanent au sein du ministère ; des locaux convenables seront mis à la disposition des sections ; le remboursement des frais de déplacement sera amélioré ; l’indemnité des membres du CNU sera multipliée par trois ou par quatre.

Dans une brève péroraison, Mme Pécresse a souhaité que l’université connaisse une adaptation sereine aux exigences nouvelles ; elle a rappelé son attachement à l’autonomie des universités, au statut national des enseignants-chercheurs et aux notions et aux valeurs d’indépendance, de liberté, d’évaluation et de transparence.

La ministre n’a pas été applaudie.

Une discussion d’environ 45 minutes s’est ensuite engagée avec la salle. On en retiendra ici les échanges les plus significatifs.

Marc Pénier, président de la 25ème section (Mathématiques), a fait état de la pétition signée par 105 (70%) des présidents et vice-présidents du CNU (dont la totalité des historiens représentants de la 21ème et de la 22ème section) et conçue en ces termes : « Les signataires ci-dessous, président(e) ou vice-président(e) de section du Conseil National des Universités (CNU), demandent le retrait du projet actuel de modification du décret n° 84-431 du 6 juin 1984 sur les statuts des enseignants-chercheurs. Ce texte confère aux exécutifs locaux des établissements d’enseignement supérieur des pouvoirs exorbitants qui fragilisent les équilibres de la recherche et de l’enseignement au mépris de l’intérêt scientifique et de celui des étudiants. Ils réclament que soit restitué au Conseil National des Universités son rôle d’instance collégiale de gestion des carrières des enseignants-chercheurs. »

Pierre-Charles Pradier (Paris 1), vice-président B de la 5ème section (Sciences économiques), vice-président de la CP-CNU, a donné lecture, au nom du SNESup d’un texte dénonçant « la casse du statut national des enseignants-chercheurs et la mise en péril des libertés scientifiques » ainsi que « le dessaisissement du CNU de toute la gestion des carrières des enseignants-chercheurs pour un traitement exclusivement local au risque de dérives clientélistes, de déséquilibres entre les disciplines et entre les établissements et de mise en péril des disciplines minoritaires » et rappelant « le profond attachement des enseignants-chercheurs aux instances collégiales d’évaluation et de gestion des carrières, composées par des pairs de rang A et B, sur des bases disciplinaires, et majoritairement élus, garantie de représentation et de fonctionnement transp
arent, indépendant et démocratique ».

Jacques Moret, président de la 67ème section (Biologie des populations et écologie), président de la CP-CNU, a remercié la ministre pour des « avancées significatives » par rapport au texte initial, intégrées à la demande de la CP-CNU : prise en compte égale des activités d’enseignement et de recherche et abandon de tout « enseignement-punition » ; précisions apportées au dispositif de modulation des services ; interaction du plan national et du plan local ; proposition d’une « Charte nationale », en cours d’élaboration, réglant les relations entre Ministère, CPU et CP-CNU ; ajout de nouveaux moyens matériels.
Frédéric Sudre, président de la 2ème section (Droit public), également au nom de la 1ère section (Droit privé), a demandé à la ministre si les avis du CNU seraient formels, conformes ou obligatoires ; il lui a été répondu que les évaluations du CNU constituent un « avis » et ne s’imposeraient pas aux CA en raison de l’autonomie des universités ; c’est pourquoi sera mise en place une commission d’appel national ; « je ne crois pas possible que la communauté universitaire s’éloigne substantiellement des avis du CNU », a ajouté la ministre ; mais « le CNU n’est pas le CA de l’ensemble des CA ». Frédéric Sudre a également deman
dé quelle serait la nature de la « Charte » ; il lui a été répondu qu’elle ne peut pas être réglementaire et qu’il faut « faire confiance aux engagements du ministre ». Frédéric Sudre a enfin regretté que soient déconnectées les publications du décret sur les statuts et du décret sur les compétences et les moyens des CNU et noté que, même multipliées par trois ou quatre, les indemnités des membres des CNU demeurent très faibles au regard de la charge accrue d’évaluation qui leur sera réclamée.

Michel Jarrety, président de la 9ème section (Langue et littérature française), a exprimé la crainte, partagée par ses collègues, que le projet de décret ne constitue une « machine de guerre » à l’intérieur des universités en raison des risques d’arbitraire local et de l’impression de sanction qui en résulterait ; l’université est un organisme fragile ; le décret créerait de très vives et regrettables tensions internes et contribuerait à dégrader la situation. Mme Pécresse a répondu que la modulation des services n’était qu’une option et que le CA de chaque université avait tout pouvoir d’en décider ou de s’en abstenir.
Daniel Etiemble, président de la 2ème section (Informatique) a souligné les risques d’un classement en raison de la difficulté des comparaisons entre les disciplines ou au sein de chaque discipline.

Gilles Denis, Vice-président de la 72e section (Histoire et
épistémologie des sciences) a regretté que le décret mette la fonction
académique (les universitaires) sous la dépendance de la fonction administrative
(les CA). Mme Pécresse a répondu que les présidents, vice-présidents et
membres enseignants des CA relevaient de l’autorité académique et que
les enseignants-chercheurs étaient dans tous les cas évalués par des pairs.

Dominique Faudot, vice-présidente de la 27ème section (Informatique), a regretté que les assesseurs des sections n’aient pas été invités à cette réunion ; il lui a été répondu que c’était faute de place, mais qu’ils seraient invités la prochaine fois. Dominique Faudot a souligné le poids quantitatif des évaluations demandées dans chaque discipline.

Marc Baratin, président de la 8ème section (Langues et littératures anciennes), a rappelé que l’indemnité reçue par un membre du CNU était actuellement de 300 euros annules pour le traitement d’un à quinze dossiers ; même triplée ou quadruplée, leur rémunération demeurerait dérisoire.

La ministre a enfin fait part à l’assemblée d’un « témoignage personnel » : effectuant la veille un séjour en Grande-Bretagne et exposant le système français d’évaluation nationale, Mme Pécresse s’est heurtée à l’incompréhension totale de nos collègues britanniques où les boards des universités ne sont pas élus, mais cooptés, ce qui constitue pour eux la manifestation même de leur indépendance.

La réunion a été close peu après 11h30.
La ministre a été applaudie par une partie de l’assemblée.

Compte rendu de Philippe Boutry