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Universitaires : "personne ne peut se contenter de l’actuel statut", point de vue de quatre présidents d’université dans "Le Monde" du 29 janvier 2009

vendredi 30 janvier 2009, par Elie

Pour lire l’article sur le site du Monde.

Dans un point de vue publié par Le Monde, Alain Beretz, président de l’université de Strasbourg ; Yvon Berland, président de l’université de Méditerranée, Axel Kahn, président de l’université Paris-Descartes et Jean-Charles Pomerol, président de l’université Pierre-et-Marie-Curie (UPMC), estiment qu’il faut améliorer le projet de décret sur l’activité des enseignants-chercheurs.

Les enseignants-chercheurs ont une triple mission dont chaque aspect peut se décliner de manière différenciée selon les disciplines : enrichir les savoirs (la recherche), les transmettre (l’enseignement) et participer à la gouvernance de l’enseignement, des laboratoires, et des établissements (le pilotage).

Ces trois activités sont essentielles à la vie d’un établissement d’enseignement supérieur et doivent être, au niveau collectif, assurées conjointement. Entre elles, nulle hiérarchie n’est possible, car la défaillance d’une seule suffit à ruiner la qualité d’un projet universitaire.

En revanche, il est à la fois irréaliste et faux de prétendre que chacun peut les mener, de façon équilibrée, toute sa vie, au même niveau. Dans les faits, la part consacrée à chaque mission varie tout au long de la carrière. Souvent, les plus jeunes gagnent à s’investir plus dans la recherche alors que les autres missions prennent de l’importance plus tard. Parfois, un projet pédagogique prioritaire et enthousiasmant nécessite une disponibilité presque totale. Les talents et les préférences individuelles interviennent aussi dans la répartition des activités des enseignants-chercheurs.

Or, le décret de 1984 fixant les obligations de service ne reconnaît nullement la multiplicité des tâches à l’université et les fige dans un carcan à ce point absurde que ses règles étaient largement bafouées. Il instituait un nombre d’heures d’enseignement annuel de 192 heures de travaux dirigés, le reste du temps de travail annuel qui est de 1607 heures, comme partout dans la fonction publique, étant consacré à l’ensemble des autres activités.

En bref, les enseignants-chercheurs sont supposés consacrer au moins la moitié de leur temps à la recherche. La réalité est parfois fort différente. En effet, si certains sont conduits à se consacrer davantage à des travaux de recherche compétitifs qu’à l’enseignement, d’autres ont une production scientifique plus faible mais s’investissent souvent dans des entreprises pédagogiques innovantes et (ou) contribuent au pilotage de l’université ou de leur faculté. L’évaluation nationale de l’activité des enseignants-chercheurs par le CNU (Conseil national des universités) ne portant en fait que sur la qualité scientifique, seuls les premiers étaient promouvables et évoluaient dans leur carrière, les autres ayant le sentiment d’être laissés pour compte. C’est absurde et injuste. C’est pourquoi, la communauté universitaire demande depuis des années que le décret de 1984 soit modifié.

TROIS VOIES POSSIBLES : L’ANCIENNETÉ, L’ARBITRAIRE… OU L’ÉVALUATION ÉQUITABLE ET DANS LA TRANSPARENCE

Un projet de décret introduisant des modifications dans ce sens a été rendu public. C’est ce projet qui suscite aujourd’hui une large contestation. Le nouveau texte propose de sortir de l’arbitraire et du non-dit en autorisant la modulation en fonction d’une évaluation de l’ensemble des activités d’un enseignant-chercheur. Là où le bât blesse, c’est que, malheureusement, dans une première présentation, il était implicitement suggéré que le quota d’heures d’enseignement pourrait être augmenté pour ceux qui font peu de recherche.

Cette présentation qui pouvait donner à penser qu’un mauvais chercheur est un bon enseignant, alors que c’est rarement le cas, avait le grand inconvénient de présenter l’enseignement comme une punition et de faire peu de cas de sa qualité, donc indirectement de mépriser les étudiants. C’est sans doute ce qui, au départ, a justifié la réaction indignée de nombreux collègues. Il existe sans doute des abus individuels. Une minorité d’enseignants-chercheurs, sans activité de recherche, obtient des rémunérations complémentaires d’activités exercées à la place de leur service statutaire non effectué. Les cas sont cependant rares et ne peuvent servir à eux seuls de prétexte à une loi jetant la suspicion sur tous.

Un autre élément alimente les protestations actuelles, qui nous semble plus singulier et, pour tout dire, peu recevable : celui d’un refus de l’évaluation des activités enseignantes. Or, comment reconnaître la justesse d’un objectif de revalorisation des autres fonctions que la recherche, désirer qu’elles méritent elles aussi gratification et promotion, et s’offusquer qu’elles fassent l’objet d’évaluation ? En matière de promotion, il n’existe que trois voies possibles : l’ancienneté, l’arbitraire… ou l’évaluation équitable et dans la transparence.

Ce qu’il faut obtenir, c’est une organisation du service de chacun selon ses talents et ses penchants, en fonction des besoins de l’université et des propositions des équipes en charge de l’enseignement et de la recherche. L’évaluation, dont les critères varient selon les disciplines reposera, comme par le passé, avant tout sur l’évaluation d’experts en ce qui concerne la recherche et sur des critères, incluant l’avis des étudiants, dans le domaine de la pédagogie et du pilotage.

D’autres activités que l’enseignement devant des étudiants (qui ne dépassera en aucun cas les 192 heures) devraient être comptées dans le service d’enseignement (accompagnement des étudiants, organisation et encadrement de stages, etc.) en reconnaissant des équivalences dans un cadre discuté au niveau national. De plus, pour éviter l’arbitraire des modulations et assurer une transparence des évaluations, le CNU effectuera une évaluation quadriennale des personnels.

Enfin, il nous faut aborder un troisième ordre de critique à la réforme en cours ; il concerne le rôle du CNU et des établissements dans les promotions des enseignants-chercheurs. Le CNU est l’organisme qui, autrefois, gérait les promotions des universitaires de toute la France, à 90 % sur des critères de recherche car ses membres n’avaient guère d’éléments d’appréciation sur l’action locale en particulier au service des étudiants. Il regroupe d’une part des élus souvent sur listes syndicales, d’autre part des membres nommés représentants de chaque discipline.

Cette composition joue sans doute un rôle important dans l’énergie mise à défendre toutes les prérogatives du CNU dont le rôle a cependant déjà diminué. En effet, depuis quinzeans, la moitié des promotions sont décidées par les établissements, ce qui permet à ceux qui se dévouent le plus aux étudiants d’obtenir des promotions locales. Le nouveau décret propose de faire décider l’ensemble des promotions par les établissements sur la base d’une évaluation de toutes les activités des enseignants-chercheurs. En cas de contestation, un réexamen est prévu par le CNU qui peut décider d’accorder la promotion sur un contingent réservé à cet effet. Soutenir que seule la décision souveraine des pairs de la discipline au niveau national serait pertinente pour décider des priorités au niveau local revient à nier la valeur d’un projet collectif d’établissement, élaboration collective de collègues appartenant à des domaines différents. En quelque sorte, le refus de la dimension "universelle" de l’université.

Les aspects positifs du texte nous apparaissent donc l’emporter sur les risques éventuels du localisme qui semblent bien encadrés par la publicité donnée aux choix des établissements et par leur examen par le CNU. Au-delà des formulations initiales, inappropriées et même choquantes, le projet actuel, remanié en conséquence ouvre grand la porte à la transparence de l’évaluation, il met tous les établissements au même niveau en leur permettant de prendre en compte dans les services l’ensemble des activités des enseignants-chercheurs, en particulier celles au service des étudiants. La conjonction entre ce chantier nécessaire et une réduction de 250 postes a alimenté le spectre d’une utilisation "économique" de la réforme, revenant à compenser par des surcharges de service le manque d’enseignants-chercheurs, ce qui serait en effet inacceptable.

Nous affirmons, en effet, que l’université française n’est pas surencadrée. L’équivalence entre travaux pratiques et travaux dirigés, réforme logique et nécessaire, a elle-même encore accru le déficit d’encadrement, déficit qui ne pourra être résolu uniquement par des redistributions à l’intérieur des universités ou entre elles.

Aussi, en appelons-nous à tous nos collègues de l’université, dont nous comprenons les interrogations et partageons certaines critiques légitimes. Personne ne peut cependant aujourd’hui se fixer comme objectif le maintien du dispositif de 1984, contraignant, contourné en coulisses et préjudiciable à tous ceux et notamment les jeunes enseignants-chercheurs qui s’engagent avec passion et qualité en faveur de leurs étudiants et de leur établissement.