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L’analyse du comité SLU de Tours

dimanche 13 janvier 2008, par Laurence

[|ENCORE UN TEXTE SUR LA LOI LRU !|]

Ce document vous est gracieusement proposé par le comité local SLU-Tours
(Sauvons l’Université) mobilisé
contre la loi « Libertés et Responsabilités des Universités » (LRU).

Nos prochains rendez-vous : projections du film Universités : le grand soir
 : le jeudi 10 janvier, 17h-20h, Amphi C,
Tanneurs et le mardi 15 janvier, 12h-14h, Amphi A, Tanneurs.

1. Du présidentialisme à l’hyperprésidentialisme

On n’a pas de mal à comprendre pourquoi les présidents d’université se sont
à ce point investis dans la promotion
de la loi LRU, et pourquoi ils ont ensuite tenté par tous les moyens de
faire taire la contestation des étudiants et des
personnels. La loi LRU est en fait leur loi : la Conférence des Présidents
d’Universités (CPU) prétendant parler au nom
de la communauté universitaire a été l’interlocuteur privilégié du
ministère. Jouant le rôle d’un véritable lobby, elle a
fourni au ministère le canevas d’une loi qui, en fait d’autonomie, consacre
surtout l’avènement d’un « 
hyperprésidentialisme ». L’article 6 de la loi précise que « le président
est élu [...] parmi les enseignants-chercheurs,
chercheurs, professeurs ou maîtres de conférences, associés ou invités, ou
tous autres personnels assimilés » (et
non plus : parmi les enseignants-chercheurs permanents, en exercice dans
l’université). Il va sans dire que, selon
l’acception qu’on voudra bien donner au terme de « personnels assimilés »,
un président d’université pourra ne pas
être issu de la communauté universitaire.

- Un pouvoir étendu : le président a désormais autorité « sur l’ensemble
des personnels » (art. 6) ; certes la durée de
son mandat est réduite (de 5 à 4 ans), mais le mandat est désormais
renouvelable une fois.

- Des prérogatives nouvelles considérables en matière de gestion des
personnels : voir plus loin les points 2, 3 et 4
concernant les rapports entre les personnels et le président.

- Des garde-fous qui disparaissent : le CEVU et le CS ne participent plus à
l’élection du président ; le président
nomme l’essentiel des membres extérieurs du CA et peut contrôler ainsi
entre 26% et 35% d’un CA qui est resserré
et voit la représentation des personnels BIATOSS et des étudiants réduite ;
le changement de mode de scrutin pour
les enseignants-chercheurs accorde désormais une scandaleuse prime
majoritaire à la liste arrivée en tête (ainsi à
l’Université de Marne-la-Vallée qui a déjà procédé aux élections de ses
conseils dans le cadre de ces nouveaux
statuts, la liste qui obtient 46,1 % des voix dans le collège « Autres
enseignants » ne remporte qu’un seul siège sur
les 5) ; et surtout il n’est pas responsable devant le CA puisqu’il peut
continuer à exercer, même si son rapport
d’activité annuel n’est pas approuvé par le CA.

Les prérogatives présidentielles étaient déjà importantes ; la loi LRU les
renforce considérablement ; elle remet en
question la collégialité qui constitue le socle de l’institution
universitaire et elle ouvre la voie à toutes les dérives
clientélistes.

2. Les personnels BIATOSS : une loi pour rien ?

Michel Lussault, ce n’est pas un scoop, est un fervent défenseur de la loi
LRU. Il l’a dit à plusieurs reprises au cours
des dernières séances du Conseil d’Administration et de la Commission
Paritaire d’Établissement. Il a aussi défendu
cette loi devant les personnels réunis à son initiative. Et à chaque fois,
il a eu besoin de les rassurer en affirmant que
cette loi ne changera pas leurs conditions de vie et de travail au sein de
l’établissement. Pourquoi ce besoin
systématique de rassurer ? Pourquoi cette loi a-t-elle été votée rapidement
l’été dernier si rien ne va changer ?

Chronique d’un changement annoncé.
Article 19 (qui transforme l’article L 954-2 du Code de l’éducation) : « Le
président est responsable de l’attribution
des primes ».
Pourquoi encore le préciser ? Parce que l’Inspection Générale des Finances
a vivement critiqué récemment la
répartition égale des primes à Tours et demande la mise en place de la
modulation des primes en fonction du mérite
et de la « manière de servir ».
Se profile donc dès 2008 l’individualisation des primes, source de
clientélisme et facteur de division entre
personnels.

Article 19 : « Le président peut recruter des agents contractuels de
catégorie A ».
Certes, cela existe déjà ! Mais alors pourquoi encore une fois le préciser,
si ce n’est pour faire d’un mode de
recrutement déjà pratiqué le seul mode de recrutement à l’avenir pour
toutes les catégories.
Ne pas remplacer un poste sur deux suite aux départs massifs à la retraite
ne peut qu’encourager ce type de
recrutement local sans aucune garantie statutaire. Ce n’est pas un hasard
si tous les contractuels vont dorénavant
cotiser aux ASSEDIC. La future privatisation des universités commence aussi
par la privatisation de ses personnels.

Article 22 : « Le président peut recruter tout étudiant, notamment pour des
activités de tutorat ou de service en
bibliothèque ».
Nous ne sommes pas opposés au tutorat ni au recours à des étudiants en
bibliothèque, à condition que leurs tâches
consistent à l’aide au lecteur ou à l’aide aux fermetures de salles de
lecture. Mais il ne s’agit pas de cela dans cet
article. Un statut de moniteur étudiant est à l’étude afin de permettre
leur recrutement pour élargir les heures
d’ouverture des salles de lecture. Cela veut dire clairement qu’ils
occuperont des postes actuellement pourvus par
des professionnels titulaires dans leur grande majorité.

Aucune création d’emplois statutaires dans le budget 2008, des CDD en
augmentation, des moniteurs plus
nombreux, des primes soumises au bon vouloir de la hiérarchie : non
vraiment, il n’y a pas de quoi être rassuré.


3. Les recrutements des enseignants et enseignants-chercheurs :
clientélisme et précarité

À l’exception des disciplines où existe une agrégation du supérieur, le
recrutement des enseignants-chercheurs est
profondément transformé par la loi LRU. La qualification préalable des
candidats par le CNU est maintenue, mais les
commissions de spécialistes disparaissent au profit de comités de sélection
(article 25) dont les membres sont
proposés par le président et nommés par le conseil d’administration
restreint, après avis du conseil scientifique. Ces
comités seront-ils régulés nationalement, par les décrets d’application, ou
localement, par les statuts adoptés par
les établissements ? :

– Les membres des comités sont choisis en majorité parmi les spécialistes
de la discipline concernée, mais la
notion même de discipline n’est délibérément pas précisée : faut-il
l’entendre au sens actuel du CNU ? De plus,
comme un président ne peut proposer des noms dans toutes les disciplines,
inévitablement, des réseaux pour les
désignations joueront localement. Entendement local et clientélismes
politiques se renforceront, soumettant
l’université à des pressions supplémentaires.

– Le nombre de membres n’est pas précisé, ni la durée de mandature : les
comités pourront donc être réunis ad
hoc. Ils sont composés pour moitié de membres extérieurs à l’établissement
concerné. Leur rang est au moins égal à
celui du poste à pourvoir mais plus rien ne garantit la parité rang A /
rang B qui prévalait pour le recrutement et la
gestion de carrière des MCF. Ne sont pas non plus précisées les questions
de la présidence et du bureau des
comités, ni celle des conditions d’expertise des dossiers des candidats.

– Le président dispose désormais d’un droit de veto relatif aux
affectations (recrutement et mutation) de tous les
personnels (article 6). Aucune procédure de recours légal n’est envisagée
dans le cadre universitaire, ce qui obligera
les plaignants à saisir le Tribunal Administratif.

La loi LRU introduit des dispositions de nature à renforcer notablement la
forte proportion de précaires dans toutes
les catégories d’emploi. Jusqu’ici le Code de l’éducation (en son article L
951-2) rendait impossibles les recrutements
en CDI d’enseignants et enseignants-chercheurs dans les universités ; de
très rares exceptions permettaient de
tourner cet interdit. En retirant cette interdiction, on ouvre la porte à
une chute de la proportion de fonctionnaires
dans le supérieur et on donne aussi toute liberté au président d’université
de recruter des contractuels en CDD ou
CDI pour les tâches d’enseignement et de recherche. Aucune qualification
n’est requise, la seule exigence est de
recueillir l’avis des comités de sélection.
L’article 18 prévoit à cette fin l’attribution d’une masse salariale dont
le contrat pluriannuel fixera la proportion
permettant de recruter des contractuels. Dans cette limite, toute latitude
sera laissée à l’établissement sur sa
politique d’emploi : il pourra aussi bien casser sa tirelire pour offrir à
« son » université une sommité
internationalement reconnue en la recrutant hors statut et hors échelle
indiciaire, comme aussi sous-payer des
enseignants qui s’occuperont de l’ordinaire. Soulignons que la masse
salariale est plafonnée dans le budget et
qu’elle peut être amputée au profit de l’investissement et du
fonctionnement, mais non l’inverse (c’est le principe de
la fongibilité asymétrique) : que feront certaines universités qui héritent
de bâtiments vétustes nécessitant de lourds
travaux ? Le Cahier des charges (document rédigé en octobre 2007 par des
inspecteurs des finances et des
inspecteurs de l’éducation, qui vise à prévoir l’application de la loi) met
d’ailleurs en garde les universités : « Le
transfert sur le budget de l’université des crédits de personnel ne doit
pas mettre les universités dans l’impossibilité
d’assurer de façon satisfaisante, pour des raisons d’ordre pratique ou
financier, la paye de leurs agents » (p. 8). Voilà
qui n’est pas fait pour nous rassurer.

Ces réformes sont présentées comme un moyen pour la France de recruter des
chercheurs de niveau international et
de freiner la fuite des cerveaux en proposant des rémunérations bien
supérieures aux grilles de la fonction publique.
Il s’agit au contraire, comme dans le secondaire, de multiplier les
contractuels de statut précaire pour compenser la
politique de non-remplacement des fonctionnaires partant à la retraite. La
loi LRU n’est que le volet universitaire
d’une politique de disparition programmée de la fonction publique.


4. Le statut des enseignants et enseignants-chercheurs : modulation des
services et individualisation des carrières

La loi LRU avance masquée. Dans un premier temps, en effet, elle ne semble
pas remettre en cause les statuts des
enseignants-chercheurs tels qu’ils sont définis par les décrets de 1984 : « 
Le Conseil d’administration définit, dans
le respect des dispositions statutaires applicables et des missions de
formation initiale et continue de
l’établissement, les principes généraux de répartition des obligations de
service des personnels enseignants et de
recherche entre les activités d’enseignement, de recherche et les autres
missions qui peuvent être confiées à ces
personnels » (article 19). Pourtant, le Cahier des charges parle bien, lui,
des « obligations statutaires rénovées » (p.
8). Nos statuts pourraient-ils être rénovés sans être modifiés ?
La modulation des services, à l’inéluctabilité de laquelle plusieurs
rapports (Espéret, Belloc) nous ont préparés ces
dernières années, est bien prévue par la loi LRU. Elle ne s’insère pas dans
le cadre d’une définition nationale des
différentes missions d’un enseignant-chercheur, mais fait l’objet d’une
sorte de contrat entre l’enseignant-chercheur
d’un établissement et le CA de ce dernier : c’est un processus
d’individualisation des carrières qui est à l’œuvre.
Inutile donc d’être trop imaginatif pour prévoir que d’ici 4 ou 5 ans, un
enseignant-chercheur de l’Université de
Tours ne fera pas le même métier que son collègue de Poitiers… et ce sera
aussi vrai (voire davantage) à l’intérieur
d’une même université !
Cette individualisation se traduira bien sûr en termes salariaux. La loi le
dit : « Le président est responsable de
l’attribution des primes aux personnels qui sont affectés à
l’établissement, selon des règles générales définies par le
CA. […] Le CA peut créer des dispositifs d’intéressement permettant
d’améliorer la rémunération des personnels
 » (article 19). Le Cahier des charges l’explique en affirmant qu’il s’agit
de « permettre à l’université d’individualiser
les rémunérations pour récompenser le mérite et l’implication de ses
personnels. [Les auteurs du Cahier
recommandent] : de concentrer les primes des personnels enseignants et de
recherche sur un nombre raisonnable
de bénéficiaires pour en élever le montant moyen et leur conférer ainsi un
caractère incitatif ; de moduler les primes
en fonction de la manière de servir » (Cahier des charges, p. 11 ; en gras
dans le texte). À terme, il s’agit donc bien
de créer différentes catégories d’enseignants-chercheurs qui n’exerceront
pas les mêmes missions et ne seront pas
rétribués de la même façon… et cela sans modifier radicalement les statuts,
sans toucher à la grille indiciaire, mais
par le seul miracle d’une loi qui va transformer les rapports sociaux à
l’intérieur de l’université. Isolé parce que dans
l’incapacité de faire valoir des solidarités avec d’autres collègues,
l’enseignant-chercheur va se retrouver totalement
soumis à une hiérarchie qui, à travers un CA réduit et lui-même contraint
par le président, décidera concrètement
des modalités d’exercice de son métier.

5. Professionnalisation et orientation active : les deux nouvelles mamelles
de l’université

La loi LRU impose aux universités une nouvelle mission car, à côté de
celles que la loi de 1984 reconnaissait déjà (« 
formation, recherche, culture et coopération »), il incombe désormais aux
universités d’assurer « l’orientation et
l’insertion professionnelle » des étudiants. Pour remplir cette nouvelle
mission a été ajouté dans la loi l’article 21 qui
rend obligatoire dans chaque université la création d’un bureau d’aide à
l’insertion professionnelle des étudiants qui
doit s’occuper des stages comme des premiers emplois des étudiants. La
professionnalisation des universités fera
très vite sentir ses effets sur le fonctionnement général des
établissements, en particulier parce que l’insertion
professionnelle des étudiants conditionnera les dotations (lettre de
mission de Nicolas Sarkozy à Valérie Pécresse,
juin 2007 : « vous allouerez les moyens attribués aux établissements
d’enseignement supérieur en fonction de leurs
résultats en matière d’accès de leurs étudiants au diplôme et d’insertion
de leurs diplômés sur le marché du travail
 »). Très vite aussi seront évidentes les conséquences sur les diplômes
généraux : déjà la campagne d’habilitation des
diplômes montre la généralisation de l’obligation de stages dans tous les
cursus… alors même que les ministères
concernés n’ont pas montré leur capacité à réguler les stages dans les
filières professionnelles et que ces stages
participent de plus en plus souvent à la déréglementation du droit du
travail par la substitution aux CDD.
C’est justement parce que les universités doivent présenter des résultats
en terme d’employabilité de leurs étudiants
que la loi LRU rend également obligatoire la nouvelle procédure
d’orientation active déjà testée par certaines
universités l’an passé et qui avait été préparée par le rapport Hetzel
(2006) : il importe en effet que les étudiants
s’engagent dans une filière en prévision d’un métier. En l’absence de
moyens financiers, sa mise en œuvre est
quasiment impossible, mais surtout et plus profondément, elle introduit une
rupture dans l’histoire éducative du
pays en subordonnant l’entrée à l’université au choix d’une profession et
non plus à l’intérêt pour une discipline.
Alors qu’on nous fait comprendre que ce processus assez lourd n’a pas
vocation à sélectionner, la logique à l’œuvre
est bien en réalité celle de la sélection car selon la vulgate officielle
de la responsabilisation et de la
professionnalisation, l’étudiant doit soit réussir dès les premiers mois
soit se réorienter. L’échec en première année
est surévalué et mal interprété. Ainsi, on feint d’ignorer qu’un étudiant
sur dix arrête ses études pour des raisons
économiques. Un taux moyen qui doit être trois ou quatre fois supérieur
pour les bacheliers largement issus des
milieux défavorisés et qui sont aussi ceux que l’on appelle les bacheliers
professionnels. Ainsi, on occulte le fait que
l’entrée à l’université coïncide avec une étape spécifique dans la vie et
que le parcours de l’étudiant ne peut pas
forcément toujours être parfaitement linéaire et sans aspérité : l’étudiant
est sommé de réussir et surtout de ne pas
musarder, de ne pas « essayer pour voir » une filière. Ainsi encore, on
oublie le fait que certaines réorientations sont
considérées abusivement comme des échecs.

Dans un contexte de chômage massif (dont l’université n’est pas
responsable, faut-il le rappeler ?), la mission
d’insertion professionnelle (qui a toujours semblé évidente à la communauté
universitaire) ne doit pas oblitérer la
gratuité du savoir, son inutilité immédiate qui garantit justement la
capacité d’adaptation des individus à une palette
de métiers.

Discutons, débattons de la loi LRU, mobilisons-nous contre elle !