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Comment Valérie Pécresse s’est mis à dos les universités - Jade Lindgaard, Médiapart, 6 mars 2009

samedi 7 mars 2009, par Laurence

[Joint par téléphone, Axel Kahn, président de Paris V, a refusé de répondre à mes questions. Jean-Charles Pomerol, président de l’UPMC (université Pierre-et-Marie-Curie), n’a pas donné suite aux demandes d’entretien. Bernard Belloc, conseiller de Nicolas Sarkozy pour la recherche, n’a pas répondu à mes demandes d’interview. Le ministère de l’enseignement supérieur a trouvé les questions posées à la suite des déclarations de Georges Molinié « pas dignes de l’idée que l’on se fait des journalistes de Mediapart ». L’entretien dont parle Pascal Binczak sur la LRU a été publié dans Les Inrockuptibles du 13-19 novembre 2007 : « Les universités ne sont pas des entreprises ». Je travaillais à l’époque aux Inrocks, c’est moi qui l’avais interviewé.]

"Je suis quelqu’un de souple dans mes charentaises », plaisante Valérie Pécresse sur France Culture en février 2009, en contrepoint du fameux « droit dans mes bottes » d’Alain Juppé en pleine crise de la réforme des retraites en 1995.

Cette souplesse en chaussons s’accompagne-t-elle de pressions exercées à l’encontre de ses adversaires ? C’est l’accusation que porte le président de la Sorbonne (Paris IV), Georges Molinié. Il dénonce un « système de fichage et de contrôle des opinions et des positions des universitaires » qui s’opposent à la politique de la ministre de l’enseignement supérieur. Le 9 février, il accueillait en ses murs les douze présidents d’universités signataires de l’appel de la Sorbonne exigeant l’arrêt des réformes en cours.

Depuis, à l’entendre, « les présidents, à part les signataires de l’appel, ont été appelés par le cabinet du ministère. Nous nous sommes rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment de confidentialité de nos mails privés. Et des circuits administratifs font pression pour demander la liste des grévistes : ce sont des méthodes de voyous ». Et le philologue d’ajouter : « Mais je suis persuadé que le ministère désavouera ces méthodes. » En novembre, un appel d’offre commun aux ministères de l’éducation nationale et de la recherche pour organiser une veille de l’opinion avait défrayé la chronique et agité le spectre d’une mise sous surveillance du monde de l’éducation.

Réponse exaspérée de l’entourage de la ministre : « Ce n’est pas du niveau du débat. Nous n’avons pas à nous justifier de ce que nous n’avons pas fait. » Porte-parole de la conférence des présidents d’université (CPU), Simone Bonnafous dit ne pas avoir eu vent de telles pratiques. Alors que les manifestations du jeudi 5 mars ont réuni plusieurs dizaines de milliers personnes (50.000 selon le Snesup et, à Paris, 20.000 manifestants selon les organisateurs, 9000 selon la police), la défiance entre universités et gouvernement atteint chez certains son paroxysme.

Mercredi 4 mars, la confusion s’est ajoutée à la tension côté ministériel. En pleine réunion avec les dirigeants du Snesup-FSU, fer de lance de la contestation, Philippe Gillet, directeur de cabinet de Valérie Pécresse, lâche devant un auditoire stupéfait : « Finalement, il n’est pas si mal le décret de 1984. » Le projet de réécriture de ce texte (terminé vendredi 6 mars dans l’après-midi) régissant le temps et les conditions de travail des universitaires met pourtant les gens dans la rue depuis des semaines.

Depuis le 27 février, la ministre a pris en main les négociations avec la CPU et quelques syndicats (Sgen-CFDT, Unsa, Autonomesup, FO) pour réécrire le décret. Pour le Sgen-Cfdt il s’agit d’une « véritable négociation » qui « a abouti à une réécriture de l’ensemble des dispositions qui fâchent dans le projet de décret ». Pourtant, selon Jean Fabbri, secrétaire général du Snesup, qui rapporte l’anecdote, Philippe Gillet ajoute à ce sujet : « Ce qu’on est en train de faire n’est pas satisfaisant. » Vendredi 6 mars, une nouvelle réunion de travail doit se tenir au ministère.

Une pétition de soutien à Valérie Pécresse, seule manifestation publique collective en faveur de la politique du ministère, malgré sa prudence d’expression (« sous réserve d’ajustements ultérieurs » les réformes vont « dans la bonne direction »), n’a recueilli que 270 signatures selon l’un de ses initiateurs, Francis Albarède. Le 5 mars, le site anglophone hébergeant l’appel n’indique que 191 « supporters ». Ce géo-chimiste, professeur à l’Ecole normale supérieure (ENS) de Lyon, est un proche de Philippe Gillet, le directeur de cabinet de Valérie Pécresse, ancien directeur de l’ENS Lyon, avec lequel il a signé de nombreux articles. Malgré ce prestigieux parrainage, l’appel est un flop.

« C’est effrayant de voir comment l’Etat a géré cette affaire »

Comment en est-on arrivé là ? « C’est effrayant de voir comment l’Etat a géré cette affaire », se désole un universitaire reçu à plusieurs reprises ces dernières semaines au ministère : « Le directeur de cabinet de Valérie Pécresse ne sait pas écouter. Il déforme les propos. Est toujours dans le conflit. Quand on lui demande pourquoi il veut donner autant de pouvoir aux universités, il vous répond : mais pourquoi vous ne devenez pas président d’université ? » La dénonciation de la présidentialisation des universités est au cœur de la critique de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU), votée en 2007, dont découlent les réformes aujourd’hui en cours.

Un autre scientifique, reçu au ministère début janvier, se souvient d’un cabinet peinant à comprendre la colère des enseignants-chercheurs contre le projet de décret, décret qui autoriserait les présidents d’université à augmenter ou diminuer leur nombre d’heures de cours, et donc le temps qu’ils peuvent consacrer à leurs recherches : « Mais la modulation de services, ce n’est pas ce que tout le monde souhaite ? », interrogeait benoîtement un collaborateur de la ministre.

Pour Michel Lussault, président du PRES (pôle de recherche et d’enseignement supérieur) de Lyon, et ancien vice-président de la CPU, l’un des plus fervents défenseurs de la LRU : « Ce cabinet a manqué de sens politique. Pécresse en a. Mais peut-être était-elle très prise par sa campagne pour les élections régionales. Il a manqué un Raymond Soubie, conseiller social du premier ministre, un nez qui flaire les problèmes longtemps à l’avance. »

Thierry Coulhon, lui aussi ancien du bureau de la CPU, est pourtant entré au cabinet de la ministre en juin dernier. Cela n’a pas suffi à étoffer les contacts avec le monde universitaire. « Le ministère a négocié avec les présidents d’université, mais c’est avec l’ensemble de la communauté universitaire qu’il faut dialoguer ! » regrette Daniel Fasquelle, député UMP du Pas-de-Calais, et directeur du département de droit de l’université de Boulogne – et non doyen comme souvent écrit –, « l’université française va mal, je ne suis pas sûr que le ministère ait pris la mesure de ce malaise ».

Dernier couac en date : le revirement du gouvernement sur la promotion universitaire. Le 27 février au soir, représentants du ministère et syndicats quittent leur réunion de travail de réécriture du décret avec sur la table une piste de sortie de crise : les promotions des universitaires seront pour moitié décidées au niveau local, et pour moitié au plan national. Le mardi suivant, quand reprennent les négociations, Michel Gay, secrétaire général d’Autonomesup, découvre un projet de décret « où la majorité de la promotion se décide au plan local. Pas du tout ce qu’on avait demandé ».

La résolution de ce syndicat, qui se revendique centriste, surprend. Sur le fond, affirme Michel Gay, « la discussion aurait été possible sur ce point il y a deux mois, mais aujourd’hui les gens nous demandent de ne pas céder ».

La "connerie" de la suppression des postes

« On a accumulé les maladresses et perdu beaucoup trop de temps sur ce dossier ! Recevoir tout le monde comme on le fait cette semaine, il fallait le faire en décembre », regrette le député de la majorité et universitaire Daniel Fasquelle. Georges Molinié, président de la Sorbonne, est plus brutal : « Ils ont parié sur l’isolement et l’affaiblissement du mouvement. Il s’est coordonné et radicalisé. »

La pétition contre la masterisation, lancée notamment par Sauvons l’université, date du 8 novembre. Les premiers jours de grève dans les universités se déclarent dès la fin 2008. Pour Daniel Fasquelle, « il y a eu plein de clignotants dont on n’a pas tenu compte : les syndicats en novembre, les présidents d’université, moi-même en réunions de groupe UMP en janvier..., je m’y suis fait incendier ».

Le 24 février, une scène surréaliste se tient au ministère. Valérie Pécresse et un aréopage de présidents d’université dévoilent à la presse la deuxième phase du plan Campus destiné à financer et moderniser les bâtiments de pôles universitaires triés sur le volet. Pas un mot sur la crise à l’université alors que, quinze jours plus tôt, les manifestations ont connu un pic de mobilisation avec entre 40.000 et 100.000 participants selon les estimations.

Parmi les formes de contestations, on remarque des envois par courrier de publications scientifiques à l’Elysée.

Pour le ministère, avec 1,8 milliard d’euros, les moyens alloués à l’enseignement supérieur dans le budget 2009 relèvent d’un effort exemplaire. Mais il a dû supprimer 900 postes dans les universités et les organismes de recherche (allocations de thèse et emplois de personnel non enseignant-chercheur). A la rentrée 2008, certains établissements ont découvert des budgets en baisse en volume, des recrutements gelés pour les deux ans à venir.

Michel Lussault raconte : « Quand nous étions au bureau de la CPU, Thierry Coulhon – aujourd’hui conseiller spécial auprès de la ministre –, Jean-Pierre Finance et moi-même avons fait tout ce que nous pouvions pour convaincre le ministère de ne pas faire la connerie de supprimer des postes. Résultat : ils ont rendu inaudible leur message sur l’augmentation des moyens donnée à l’université. »

Porte-parole de la CPU, Simone Bonnafous confirme : « Supprimer des postes, alors que le modèle d’allocation de moyens des universités n’a pas été assez concerté et que les universités se retrouvent avec des missions nouvelles, ce n’était pas compréhensible. »

Le ministère s’est ainsi coupé de la communauté universitaire. Pascal Binczak, président de l’université de Saint-Denis (Paris VIII), raconte avoir été « blacklisté » après une interview en novembre 2007 où il critiquait la LRU : « Pendant un an, je n’ai réussi à joindre personne au ministère. Quand j’appelais, Philippe Gillet n’était jamais disponible. Il ne répondait pas à mes messages. » Co-initiateur de l’appel de la Sorbonne exigeant le retrait des réformes en cours à l’université, signé par 15 présidents d’établissements, il attend toujours une réaction du ministère. « Ils sont autistes. Ils n’ont jamais entendu, jamais écouté. »

« Les universitaires avaient envie de souffler »

Pour Francis Albarède, le géo-chimiste qui anime la pétition de soutien à Valérie Pécresse, « les méthodes de notre ministre sont saines : consulter, écouter, puis prendre des décisions ». Mais pour cet universitaire reçu au ministère pour tenter de dénouer la crise de la réforme du statut des enseignants-chercheurs, « son boulot, ce n’est pas de recevoir des centaines de gens qui grognent et de faire semblant d’être d’accord avec eux ! ». Il se souvient d’une rencontre fin janvier, avant la proclamation de la grève illimitée par la coordination nationale des universités, le 2 février : « Ça s’est mal passé. Au début, Valérie Pécresse était souriante et très enjôleuse. Mais à un moment elle a dit en avoir marre de recevoir des universitaires qui se plaignent.. Elle en avait marre de nous..."

Michel Lussault, l’un des membres de la CPU qui ont accompagné le ministère en 2007 pour écrire la loi LRU, considère que « le ministère a complètement sous-estimé le fait qu’après vingt ans de réformes et de changements perpétuels, les universitaires avaient envie de souffler. De se concentrer sur leur travail. Surtout que la logique de fonctionnement sur projet, très positive, qu’entraînent les réformes actuelles, nourrit une inflation administrative et donne du travail en plus ».

Signe de cette exaspération, le lancer de chaussures qui a eu lieu contre le ministère de Valérie Pécresse.

Mais c’est sans doute sur le décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs que la confusion a atteint un point culminant. Il y a d’abord eu « la connerie initiale », selon Benoist Apparu, député UMP de la Marne et rapporteur de la loi LRU : le lien établi entre enseignement et sanction. Dans une première version du texte, les enseignants-chercheurs mal évalués devaient assumer plus de charges de cours que les autres.

La version finalement transmise au conseil d’Etat – et désormais en cours de réécriture – a buté sur un autre écueil : sa complète opacité. En son article 41, le projet de décret explique que, « à titre transitoire », lorsque le conseil national des universités n’a pu procéder à l’évaluation d’un enseignant-chercheur, « cette évaluation ou ce classement sont remplacés dans le déroulement des procédures pour lesquelles ils sont requis par un avis motivé du conseil scientifique » de l’université. Pour les juristes du Collectif pour la défense de l’université, réunissant notamment des pontes de l’université d’Assas, cela signifie que les universitaires vont se retrouver évalués localement, et non plus par leurs pairs, au niveau national. Cette perspective les alerte, le mouvement contre le décret est lancé.

Un député UMP : « Le décret initial était mauvais »

Mais pour Benoist Apparu, le décret signifie, au contraire, que l’évaluation est faite par les sections compétentes du conseil national des universités (Cnu), instance nationale d’évaluation. L’évaluation nationale, par leurs pairs, c’est justement ce que demandent les universitaires. Le parlementaire de la majorité reconnaît aujourd’hui que « l’écriture initiale du décret était mauvaise. Il manque l’explication qui permet de comprendre cet article ». Il s’est remis au service de la défense de sa loi après avoir reçu un texto de Valérie Pécresse : « On est dans la merde, monte au créneau. »

A ce cafouillage technique des services du ministère, s’ajoutent une méthode et une cadence de réforme qui ont semé le trouble. Y compris dans le camp des pro-LRU. « Il y a eu une erreur de procédure, analyse Michel Lussault, une fois la loi votée, on pouvait prendre du temps pour écrire le décret. Il aurait fallu négocier, en passer par les syndicats. Si on ne peut pas écrire un décret en commun, c’est qu’on n’est pas dans une démocratie mature. Ça aurait pris deux mois, là on en perd six ! » Simone Bonnafous, porte-parole de la CPU, abonde : « Le manque de concertation a été fâcheux. »

Pourtant, tout avait si bien commencé. Votée en plein mois d’août, la loi LRU passe facilement. La contestation étudiante s’éteint au fil de la négociation entre l’Unef et le ministère. Les enseignants-chercheurs se mobilisent peu. Bertrand Monthubert, aujourd’hui secrétaire national du PS à l’enseignement supérieur, alors président de Sauvons la recherche, analyse rétrospectivement : « Pécresse a été très habile. A propos de la LRU, le débat est devenu pour ou contre l’autonomie. Mais personne n’est contre l’autonomie en soi. On n’est pas contre la liberté, l’amour... »

Mais pour Bruno Julliard, aujourd’hui secrétaire national du parti socialiste à l’éducation, c’est surtout une question de tempo politique : « Valérie Pécresse a eu beaucoup de chance en 2007. Elle a fait passer sa loi juste après la présidentielle, dans un climat favorable. » Un an et demi plus tard, le contexte social et politique a changé. La présence de l’Elysée et de Matignon auprès de la ministre n’est plus la même.

L’ancien syndicaliste étudiant se souvient : « Les vraies négociations sur la LRU se sont tenues à Matignon. A la fin, c’est Raymond Soubie, le conseiller social de François Fillon, qui a débloqué la situation. Plusieurs fois, quand elle sentait monter la pression, elle m’a dit : "Je suis d’accord avec vous, mais ce n’est pas moi qui décide". »

La ministre et son équipe ont-ils été victimes d’une illusion d’optique, persuadés avec le vote de la LRU d’avoir réussi le plus dur ? « Elle fait ce qu’elle peut dans un milieu conservateur et corporatiste », tempère Jean-Robert Pitte, ancien président de Paris IV et défenseur haut en couleur de la LRU. Il a perdu sa place à la tête de la Sorbonne lors des élections qui ont suivi la loi. C’est Georges Molinié qui le remplace. « Valérie Pécresse a fait du bon travail, mais toutes les générations d’étudiants et de jeunes chercheurs cherchent à "se faire" leur ministre », analyse Francis Albarède, animateur de la pétition en sa défense.

Quelle sortie de crise peut-on désormais envisager ? « Mais pourquoi Valérie Pécresse ne s’est-elle pas désolidarisée du discours de Nicolas Sarkozy du 22 janvier, si méprisant vis-à-vis de la recherche ?, s’interroge ce directeur de recherche au CNRS, impliqué dans le mouvement, cela aurait tout changé... Maintenant, c’est sans doute trop tard. » Pour Georges Molinié, président de Paris IV, deux hypothèses « calamiteuses » se profilent : « Soit c’est la politique du pire : on attend le pourrissement, et la radicalisation qui retourne les gens contre nous, soit c’est à peine moins pire, un entêtement qui nie l’évidence. »

Le député UMP Daniel Fasquelle partage son inquiétude :« Il faut régler la question de la masterisation, la réforme de la formation des enseignants du primaire et du secondaire. Sinon c’est la loi sur l’autonomie elle-même qui risque d’être menacée. » Initiée par le ministère de l’éducation nationale, la masterisation est co-pilotée par les deux ministères. Le sujet est devenu un point dur du mouvement des enseignants-chercheurs. La balle est désormais dans le camp de Xavier Darcos.