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Débat Pécresse/Fabbri : l’intégrale sur le statut et la recherche - Sciences2, Libéblogs, 31 mars 2009

mardi 31 mars 2009, par Laurence

Pour lire cet entretien sur le blog de Sylvestre Huet

Valérie Pécresse et Jean Fabbri se sont affrontés, vendredi, dans les locaux de Libération. Libération publie aujourd’hui de larges extraits de ce débat entre la ministre de l’enseignement supérieur et le secrétaire général du Snesup-FSU sur deux pages (en vente dans tous les kiosques). Le site web de Libération en donne l’intégralité en version vidéo.

Voici l’intégrale des échanges restranscrits par mes soins - et non relus par les débatteurs - de deux sujets de ce débat : le statut des universitaires et la politique de la recherche.

- Paul Quinio : madame Pécresse, pourquoi fallait-il réformer le statut des universitaires ?

- Valérie Pécresse : Parce que ce statut était rigide et totalement inadapté au fonctionnement d’une université moderne. Il ne comptait que l’activité en présence des étudiants, ce qui ne correspond pas à l’exercice réel du métier. D’autre part, l’évaluation est au coeur de ce nouveau statut car si l’on donne l’autonomie aux universités, il faut qu’elles puissent prendre leurs décisions d’avancement, de primes et de gestion de leur richesse humaine à partir d’une évaluation impartiale, vérifiable et transparente. L’autonomie sans l’évaluation, c’est la catastrophe, comme mon collègue italien me l’a dit. Enfin la question des promotions, épineuse. Nous souhaitions que les promotions soient décidées au sein des universités, mais nous n’avons pas réussi à trouver un accord sur ce point.

- Paul Quinio : monsieur Fabbri, les universitaires n’étaient pas évalués ?
- Jean Fabbri : Bien sur que si, nous l’étions collectivement et individuellement dans nos activités de recherche et d’enseignement. La vraie question de ce dossier est : pourquoi des statuts nationaux ? Pour garantir partout l’exercice des missions pour lesquelles nous avons été recrutés, effectuer des recherches et assurer en liaison avec ces dernières un enseignement d’excellente qualité. Ce statut et sa réforme, en particulier la modulation de nos services d’enseignement, sont étroitement liés à la question du nombre des universitaires. L’augmentation et la complexité de nos taches d’enseignement – individuelle et collectives - comme l’accumulation des contrats à dénicher pour financer nos recherches ou des dossiers d’évaluation croisée aux dispositions de la loi LRU nous fait craindre, oui, une inégalité croissante entre universitaires en terme d’obligation de service et de rémunérations.

- Sylvestre Huet : Madame la ministre, lorsque vous avez pu constater que l’opposition à votre projet initial de statut était si large – des syndicats les plus à gauche à Autonome Sup, en passant par l’association élitiste Qualité de la science française – n’avez vous pas eu le sentiment d’avoir fait une boulette ?
- Valérie Pécresse : cela ne s’est pas passé comme cela. En novembre 2008, lorsque ce projet passe au premier comité technique paritaire...
- Jean Fabbri : ... nous avons voté contre de manière très claire et avec constance....
- Valérie Pécresse : et quand pour la dernière fois le Snesup a t-il voté pour quelque chose ?
- Jean Fabbri : nous avons fait systématiquement des propositions d’amélioration comme l’équivalence des cours de travaux dirigés et pratiques, ou la répartition des promotions entre établissements... Pas plus tard que mardi nous avons proposé que les missions des enseignants-chercheurs soient clairement précisées dans le décret comme de recherche et d’enseignement...
- Valérie Pécresse : c’est marqué cinq fois dans le texte.
- Jean Fabbri : nous avons également obtenu que dans le décret sur le Conseil national des universités, les enseignants-chercheurs ne soient pas classés entre eux mais évalués de manière formative et non pour une évaluation guillotine sur toutes leurs activités.
- Valérie Pécresse : Sur ce sujets se sont exprimées toutes les peurs d’une communauté universitaire – que je ne soupçonnais pas – entre discipline et personnels de statuts différents. En 2007, la loi LRU touchait au même sujet puisqu’elle réorganisait la gouvernance de l’université. Avec le statut c’est une deuxième étape de l’autonomie qui s’est jouée, dans un contexte différent, de crise, de plus grande inquiétudes et le statut est apparu comme un instrument de protection dans cette situation. C’est la réalité universitaire d’aujourd’hui qui s’est exprimée dans la rue à l’occasion des oppositions à ce statut. Je le voyais comme un instrument de confiance, et les universitaires voulaient plutôt une garantie contre des pratiques déjà existantes.

- Sylvestre Huet : qui a raison ? Le premier ministre François Fillon qui dit que le statut est entièrement réécrit ou le secrétaire général de l’Elysée, Claude Guéant, selon lequel la version finale est peu différente de l’original ?
Valérie Pécresse : le statut a été entièrement réécrit au terme de 23 heures de négociations avec les organisations syndicales, puis 13 heures au sein du comité technique paritaire. Dans ce texte se retrouvent des motivations essentielles : la modulation des services, la souplesse dans l’organisation de son temps de travail tout au long de sa carrière, avec la garantie que au delà du service de référence, on paye des heures complémentaires...
- Sylvestre Huet : ... aujourd’hui ce n’est pas déjà le cas ?
- Valérie Pécresse : si, mais tout travail mérite salaire. Sur l’évaluation... les enseignants chercheurs sont évalués tout le temps...
- Jean Fabbri : ...merci de le dire !
- Valérie Pécresse : ... mais il va falloir trouver des procédures plus simples et plus rationnelles pour les conduire. Mais la question qui se posait était : peut-on faire des avancements et des primes locales sans un dispositif d’évaluation nationale par les pairs, discipline par discipline.

- Sylvestre Huet : Jean Fabbri, finalement, vous avez gagné ou pas sur le statut ?
- Jean Fabbri : Nous avons dit non au localisme pour des raisons de liberté scientifique et d’évaluations qui doivent être menées par des instances qui ont l’expérience des disciplines scientifiques. Sur ces points, oui, nous avons gagné. Mais la contestation du projet initial du gouvernement n’est pas lié à de la peur ou à une incompréhension. Elle est rationnelle et conteste de fait les choix politiques du gouvernement qui sont liés au désengagement de l’Etat et à des suppressions de postes qui conduiront inéluctablement à exiger plus d’heures d’enseignement de la majorité des universitaires. La modulation des services que la ministre a inscrit dans le projet de décret actuel – au même titre que d’autres points qui demeurent du projet initial – ont conduit le Snesup a quitter le comité technique paritaire, nous n’en voulons pas.

- Paul Quinio : Jean Fabbri, êtes vous pour ou contre l’autonomie des universités ? D’autres syndicats, de gauche, y sont favorables...
- Jean Fabbri : Pour moi, la question posée n’est pas celle de l’autonomie qui est un mot-valise. C’est celle du cadre législatif dans lequelle elle survient, celle du Pacte sur la recherche, de la loi LRU. Nous contestons l’un et l’autre. Parce que nous voyons dans ce cadre législatif, amplifié par le nouveau logiciel de répartition des resssources de l’Etat entre les universités, arriver la concurrence entre nos établissements alors que le principe de l’enseignement supérieur, c’est la coopération et les synergies. Cela ne s’oppose pas à l’autonomie ou à des politiques de formation et de recherche fondés sur l’autonomie.

- Paul Quinio : combien de temps vous donnez vous, madame Pécresse, pour obtenir un accord sur le statut ?
- Valérie Pécresse : nous avons élargi le pannel syndical qui n’y est pas opposé, il va d’Autonome Sup à l’UNSA en passant par la CFDT...
- Sylvestre Huet : l’Unsa et la CFDT n’ont pas voté pour...
- Valérie Pécresse : ils n’ont pas voté contre, ils se sont abstenus en attendant les résutats des négociations sur les autres sujets. Je reconnais que la majorité des mandats du personnel au CTPU ne l’a pas voté, mais c’est ce décret qui sera adopté. Derrière ce décret il y a un plan de revalorisation des carrières qui va doubler le nombre des promotions des maitres de conférence et de professeurs (...) Sylvestre Huet : faites-vous un chantage aux moyens par rapport au statut qui ne traite pas de ces sujets ?
- Valérie Pécresse : non, je ne fais pas de pression, je dis simplement que ce décret doit sortir pour que dès le mois de juin nous puissions recruter les maitres de conférence avec des salaire de 12 à 25% plus élevés...
- Jean Fabbri :...c’était là une revendication du Snesup...
- Valérie Pécresse : alors remerciez-moi de l’avoir mise en oeuvre !

- Paul Quinio : Madame Pécresse, le président Nicolas Sarkozy ne vous a pas rendu service avec son discours sur la recherche...
- Valérie Pécresse : Le 22 janvier, c’est de ce discours qu’il s’agit, a été lancée à l’Elysée la réflexion sur la stratégie nationale de recherche et d’innovation. C’est un acte majeur, l’équivalent du Grenelle de l’environnement pour la recherche. Elle consiste à mettre autour d’une même table pour réfléchir sur les quatre prochaines années de manière prospective les grands acteurs de la recherche publique, privée, les porteurs d’enjeux de société comme les associations. Que le Président de la République lance cette initiative est un acte fort. C’est une démarche Bottom up, qui va permettre d’avoir un document de stratégie et de programmation qui donnera de la légitimité à la programmation de l’Agence nationale de la recherche.
- Paul Quinio : est-ce une bonne idée de lancer ce chantier majeur avec un discours aussi provocant ? Valérie Pécresse : Le président de la république a dit qu’on ne gagne pas la bataille de la connaissance sans y mettre tous les moyens, sans lancer une vraie réforme de l’université et de la recherche.
- Jean Fabbri : le mépris affecté pour les universitaire et les chercheurs était totalement déplacé et il l’est toujours...
- Valérie Pécresse : ... ce discours a été sur-interprêté et sur-utilisé et c’est très injuste de faire un procès au Président de la République qui met cinq milliards d’euros pour les campus, 1,8 milliards de budget en plus pour la recherche et 730 millions encore provenant du plan de relance.

- Jean Fabbri : Allons au fondamental :le mépris et la prospective. On ne peut pas faire de la prospective dans ce domaine sans la communauté scientifique. Elle ne prétend pas être la seule à pouvoir dire quels sont les enjeux scientifiques, mais il faut s’appuyer pour la mener sur des instances largement élues par les scientifiques. Il y en a en France, comme le Comité national de la recherche scientifique qui sont fondé sur l’expérience, le partage, la légitimation par le vote, le gouvernement n’en veut pas, il fabrique des instances dont il définit le périmètre avec des « personnalités » nommées en totalité. Cette démarche ne convient pas à la dimension démocratique qui va de pair avec les enjeux scientifiques. Surtout que la question forte du jour, c’est la revitalisation de nos organismes de recherche avec leur démantèlement et l’emploi scientifique en berne, les budgets des laboratoires qui n’augmentent pas, les doctorants sans perspectives d’emplois. Le plan de relance dont parle Valérie Pécresse, les 730 millions, c’est du BTP. On a certes besoin de rénover amphitéâtres et laboratoires, mais nous avons besoin avant tout d’investir dans l’intelligence, dans la matière grise. En Europe, aujourd’hui, de plus en plus de voix autorisés réclament cet investissement, ce recrutement de chercheurs, de docteurs en sciences, à l’image de ce qui se passe au Etats-Unis. L’une des raisons de l’affaiblissement de notre pays c’est que le doctorat n’est pas valorisé par les entreprises privées.

- Valérie Pécresse : Vous ne pouvez pas me faire ce procès alors que je viens de créer un contrat doctoral, remplaçant la situation d’allocataire de recherche, afin que les docteurs puissent se vanter d’avoir non seulement un diplôme d’excellence mais aussi trois années d’expérience professionnelle, c’était une demande des jeunes chercheurs. Cette expérience pourra être prise en compte par les entreprises et par la fonction publique qui rattrapera les années de doctorat dans leur carrière. J’ajoute que j’ai augmenté de 16% le montant de l’allocation de recherche en 2 ans. C’est vrai que l’on partait de très bas et que c’est du rattrapage, je veux bien l’entendre.

- Sylvestre Huet : Tous les observateurs s’accordent à dire que ce qui marche le mieux dans notre système en termes de capacité à produire des connaissances nouvelles, c’est le Cnrs, pourquoi le casser ?
- Valérie Pécresse : Mais je ne veux pas le démanteler. Mais je n’accepte pas le discours : le malheur des uns fait le bonheur des autres. Ce n’est pas parce que je veux que les universités soient autonomes et des acteurs puissants de la recherche que je veux le malheur du Cnrs. Le Cnrs voit sa mission évoluer. Les Universités auront une stratégie de recherche autonome. Elle sera locale. Et le Cnrs aura une mission stratégique nationale pour les disciplines qui y sont représentées pour irriguer le territoire national.
- Sylvestre Huet : Que le Cnrs ait une responsabilité stratégique nationale, c’est sa mission initiale, vous ne l’inventez pas... et vos détracteurs vous accusent de vouloir la lui retirer.
- Valérie Pécresse : C’est tout l’inverse. En structurant le Cnrs en Instituts disciplinaires et en lui donnant la responsabilité de structurer ces disciplines au niveau national, nous voulons faire du Cnrs un acteur majeur stratégique, pluridisciplinaire, qui va permettre d’aider à la programmation de l’Agence nationale de la recherche.
- Jean Fabbri : La stratégie scientifique des universités sera locale. Car elle se tourneront vers des financements territoriaux ou des entreprises. Nous risquons d’avoir des pilotages étroits, éloignés des enjeux scientifiques transversaux. Cela risque de mettre en cause des pans entier de la recherche.

- Paul Quinio : Nous n’avons toujours pas parlé des étudiants. Avec cette crise, leur année est foutue ou pas ?
- Jean Fabbri : Pas du tout. Lors de la crise du CPE, entamée en janvier, c’est un discours du premier ministre De Villepin, qui, le 10 avril, y a mis fin. J’espère que les nombreux manifestant et la grève qui se maintient avec le soutien de présidents d’université vont conduire le gouvernement à ouvrir des négociations sur l’ensemble des dossiers de manière globale. Cela permettra de sortir de ce conflit et de permettre aux étudiants d’obtenir leurs diplômes et à nos collègues de faire ce qu’ils préfèrent : de la recherche et de l’enseignement.
- Valérie Pécresse : je regrette que les étudiants soient toujours les victimes des crispations entre les universités et le gouvernement. Après tout ils ne sont pas concernés par le statut des universitaires. En outre, je comprend la grève, mais pas le blocage des cours. Mais nous organiserons les rattrapages et j’espère que l’année ne sera pas compromise.