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Polémique sur l’université payante, par Mathieu Lehot, étudiant en 3e année d’histoire à Rennes 2

jeudi 9 avril 2009, par Laurence

I- À l’origine de la polémique : une proposition de loi des plus douteuses

Le 21 janvier 2009, 92 députés UMP déposent une proposition de loi à l’Assemblée Nationale, disposant la mise en place de prêts étudiants à remboursement conditionnel (PARC). Le texte en question s’appuie sur une étude réalisée par S. Gregoir, directeur du pôle recherche en économie de l’EDHEC, intitulée « Les prêts étudiants peuvent-ils être un outil de progrès social ». Publiée en octobre 2008, elle a récemment été complétée d’une autre étude « Peut-on financer l’éducation du supérieur de manière plus équitable ? » de P. Courtioux, chercheur au pôle Economie de l’EDHEC.

L’affaire a été révélée par S. Huet, journaliste à Libération, dans un article publié sur son blog Science2, daté du 13 mars 2009, et intitulé « 92 députés UMP proposent l’université payante ». La proposition de loi en cause, constate que le financement public actuel, en direction des étudiants suivant des études supérieures, est insuffisant. Aussi est-il proposé de mettre en place des prêts étudiants à remboursement conditionnel garantis par l’État. A priori il n’est nullement question de rendre l’université payante. Mais à relire attentivement le texte, on constate qu’il reprend les conclusions des travaux de S. Gregoir et P. Courtioux (cités ci-dessus), préconisant « le développement conjoint de droits d’inscription et d’emprunts à remboursement conditionnel (PARC), comme solution de financement de l’enseignement supérieur ».

Le texte législatif en question est donc un premier pas vers un remodelage complet des modes de financement de l’enseignement supérieur selon le modèle recommandé par les chercheurs de l’EDHEC, modèle dont je dessine les grands traits dans une deuxième partie.

II- Le projet de financement de l’éducation du supérieur par les prêts étudiants à remboursement conditionnel (PARC)

Dans son étude, « Les prêts étudiants peuvent-ils être un outil de progrès social ? », S. Gregoir part d’un double constat : d’une part, des efforts importants doivent être fournis en matière de financement de l’enseignement supérieur français et d’autre part, les aides publiques dans leur état actuel, sont peu redistributives, favorisant les ménages aisés au détriment des plus modestes. (A)

Aussi, préconise-t-il la mise en place de prêts étudiants, inspirés de l’exemple australien, qui permettraient à la fois de financer l’enseignement supérieur et de favoriser le progrès social. (B)

P. Courtioux, auteur d’un article publié en janvier 2009, intitulé «  Peut-on financer l’éducation du supérieur de manière plus équitable ? », expose plusieurs scénarios de mise en application des PARC dans le système éducatif et fiscal français. (C)

A- Le système de financement français de l’enseignement supérieur : insuffisant et socialement peu équitable

S. Gregoir commence par rappeler que la France est liée par l’agenda de Lisbonne arrêté en mars 2000, visant à faire de l’Union Européenne « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici à 2010 ». Cela supposait une augmentation des effectifs d’étudiants et des dépenses publiques et privées les concernant. Or, il constate que le taux de diplômés par classe d’âge a augmenté. En revanche, les dépenses publiques ou privées en faveur de l’enseignement supérieur n’ont pas connu une augmentation aussi favorable. Concrètement, en France, « sur le champ du Budget Coordonné de l’Enseignement Supérieur, la dépense par étudiant qui s’établissait à 5414 € en 2001 est passée à 5268 € en 2005 ». S. Gregoir en vient à estimer que pour la France, il faudrait augmenter la dépense d’enseignement supérieur de plus de 7 milliards d’euros à effectifs constants et ceci sans compter les dépenses d’investissement de mise à niveau des équipements. Mais, bien entendu, il écarte l’appel aux fonds publics pour parer au sous-financement de l’enseignement supérieur.

Mais il ne se contente pas de repousser l’idée d’une augmentation des dépenses publiques en direction de l’enseignement supérieur. En effet, S. Gregoir va jusqu’à remettre en cause le système actuel d’aide publique aux étudiants français. Pour cela il procède à l’analyse de la répartition des aides aux étudiants que ce soit sous forme de bourses, d’allocations familiales, de crédits d’impôts, etc. Pour en conclure que « le système de financement français apparaît plutôt régressif au sens où l’enfant issu d’un milieu aisé bénéficie au total en moyenne d’un investissement collectif sous forme d’aide indirecte ou de dépenses de formation plus important que celui d’un milieu populaire ».

Ainsi, pour parer au sous-investissement de l’enseignement supérieur et à une aide publique jugée socialement inéquitable. S. Gregoir repousse le recours au financement public et propose l’application du système des prêts étudiants à remboursement conditionnel (PARC).

B- Les PARC : un modèle incitatif, efficace et facteur de progrès social

« Une plus grande équité, une meilleure répartition du coût de la formation entre l’étudiant et la collectivité et une plus grande efficacité peuvent être atteintes en mettant en œuvre un mode de financement par prêts garantis par l’État et dont le remboursement est conditionnel au succès professionnel de la personne. » Ainsi résumé, S. Gregoir présente les idées force de son projet :
- équité
- répartition
- efficacité

Équité : Considérant que le financement de l’enseignement supérieur par l’impôt sans contribution de ses bénéficiaires, n’est pas dans la pratique vecteur de progrès social. En ouvrant le système des PARC à tous, « une fois les conditions de niveau de connaissances requis satisfaites, l’entrée dans l’enseignement supérieur est facilitée pour les personnes issues de milieux défavorisées ».

S. Gregoir se base principalement sur l’expérience australienne, où le modèle des PARC est appliqué depuis 1989 en remplacement d’un système de gratuité de l’enseignement supérieur. Or, il se montre lui-même incapable de trouver dans l’étude du système australien un quelconque progrès social significatif dans l’accès à l’enseignement supérieur.

Efficacité : C’est là à mon sens un argument central dans la démarche de S. Gregoir en faveur de l’institution des PARC en France.
L’objectif est de faire peser une pression importante sur les épaules de l’étudiant d’une part et sur le corps enseignant d’autre part. En effet, le système de prêt donnant un coût à la formation, l’étudiant n’a plus le droit à l’erreur ! Il doit être particulièrement vigilant et « s’inscrire dans un cursus en fonction de ses aptitudes, de sa motivation et de ses attentes professionnelles ». Cette pression se répercute également sur le corps enseignant et plus globalement sur l’institution formatrice. Du fait du coût supporté, « l’étudiant peut se montrer plus exigeant vis-à-vis du contenu de ses enseignements ». En somme, le système des PARC « contribue à modifier la relation entre l’étudiant et le professeur » : le premier faisant figure de client pour le second.

Répartition : Fondement du principe des PARC : « idée qu’il est économiquement raisonnable de faire participer le bénéficiaire d’une formation à son financement dans la mesure où il en tirera un profit individuel au long de sa carrière ». En instituant les PARC, on fait peser une partie voire la totalité du coût de la formation sur l’étudiant. Ainsi, les PARC sont censés permettre « progressivement de dégager des ressources supplémentaires pour financer des formation supérieures à de plus en plus de personnes ». Pour estimer les conséquences concrètes d’un tel système en France, il faut se référer à l’étude de P. Courtioux, qui présente plusieurs scénarios de mise en application des PARC, que je résume dans une troisième partie.

C- Un nouveau modèle de financement de l’éducation du supérieur

P. Courtioux, commence son article, en annonçant que « les dispositifs de prêt à remboursement conditionnel une fois arrivés à maturité permettraient de dégager jusqu’à 1,85 milliards d’euros chaque année ». Il propose 5 scénarios différents pour l’introduction en France simultanément des droits d’inscription et des PARC.

Scénario n°1 : Les étudiants poursuivant des études supérieures doivent acquitter des droits d’inscription annuels correspondant à 30% du coût annuel moyen d’un étudiant, et ce, quel que soit le diplôme considéré. Concrètement, 30% de la dépense publique moyenne pour une année d’étude dans le supérieur revient à 1944 €, soit 3889 € pour les bac +2 et 5833 € pour les bac +3. Pour payer les droits d’inscription, les étudiants peuvent utiliser le dispositif des PARC : ils remboursent leur dette une fois rentrés dans la vie active pour un montant annuel estimé à 8% de leurs revenus.

Scénario n°2 : Même principe que le premier scénario (30% du coût annuel), mais avec une modulation des droits d’inscription en fonction du diplôme et des montants à rembourser, pour le prêt, plus importants sur les tranches les plus élevées de salaire. Concrètement, un étudiant en BTS devra rembourser 5547 €, tandis qu’un étudiant diplômé d’une très grande école d’ingénieur devra rembourser 87870 €.

Scénario n°3 : Il reprend le deuxième scénario, en introduisant plus de progressivité dans les remboursements : l’étendue des taux de remboursement varie entre 5% et 30% du revenu courant.

Scénarios n° 4 et 5 : Ils traitent du cas extrême où l’intégralité des coûts de l’éducation du supérieur serait concerné par le dispositif de PARC. L’étudiant prend en charge 100% des dépenses publiques individuelles dans l’enseignement supérieur. C’est bien évidemment le scénario 5, jugé comme « le plus ambitieux » qui permettrait de dégager les 1,85 milliards d’euros annoncés par P. Courtioux dans son introduction.


III – Les PARC et l’université payante : les enfants de la LRU

Ce projet de financement de l’enseignement supérieur s’inscrit en ligne directe dans la politique menée par le gouvernement actuel. En effet, il est conforme à la volonté de restructuration de l’enseignement supérieur sur des critères purement économiques. À la source de cette idéologie : la LRU qui prévoit une réforme de l’éducation du supérieur dans une perspective de marchandisation du savoir et de mise en concurrence des acteurs de l’enseignement supérieur, dans un strict souci d’efficacité.

Déjà, en janvier 2008, B. Dhuicq et A. Fiorato, anciens vice-présidents de l’université Paris 3 Sorbonne nouvelle, mettaient en garde les étudiants sur les conséquences de la LRU sur les droits d’inscription : dans le cadre d’une autonomie budgétaire « les Présidents qu’ils le veuillent ou non, seront bien obligés de multiplier les droits d’inscription ».

Le projet, ultra-libéral, visant à rendre l’enseignement supérieur payant et financé par les étudiants semble partagé par nombre de membres de l’UMP, à commencer par N. Sarkozy. En témoignent les propos tenus par le député UMP, Yves Bur à l’Assemblée Nationale, au cours de la discussion portant sur le projet de loi intitulé Libertés et Responsabilités des Universités (LRU), le 23 juillet 2007 :

« La sélection reste un des tabous qu’il semble impossible de briser. Il en est de même des frais d’inscription, pourtant moins onéreux qu’un abonnement de téléphone mobile ! Puisque l’État ne semble pas en mesure d’assumer seul le coût des études supérieures, j’espère que la dynamique de l’autonomie aboutira tôt ou tard à briser ce dernier tabou pour permettre à l’Université de remplir dignement ses missions et de tenir son rang dans le contexte mondialisé.
 »

C’est bien aujourd’hui que se joue l’avenir de l’Université française. Quelles missions lui assignons-nous ? Voulons-nous une université animée par des seuls soucis de rentabilité et d’efficacité.

Ou bien souhaitons-nous, qu’elle reste un lieu ouvert à tous, un lieu de transmission et de partage de toute forme de savoir sans distinction, un lieu d’épanouissement et de développement intellectuel, en somme un lieu humain.