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Proposition de loi tendant à promouvoir la laïcité et à sauvegarder le monopole de la collation des grades universitaires (19 mai 2009)

jeudi 28 mai 2009, par Laurence

[|(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Messieurs

Jacques DESALLANGRE, Pierre BOURGUIGNON, Christian BATAILLE, Marc DOLEZ, Jean-Pierre BRARD, Jean MICHEL et André GERIN,

députés.
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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le mouvement d’émancipation individuelle et citoyenne que représente la laïcité n’a cessé depuis ses origines de faire l’objet d’attaques plus ou moins directes de la part des clergés et de certains pouvoirs publics. Néanmoins, l’édifice était porté jusqu’à ce jour grâce à l’engagement républicain et laïque d’une bonne partie de nos élus, au soutien d’associations déterminées, et à l’attachement de la majorité de nos concitoyens à ce pilier de notre République.

Or, depuis quelques années les attaques se font plus insidieuses, plus vigoureuses et plus nombreuses. Certaines autorités publiques s’engagent délibérément et officiellement dans des voies clairement anti-laïques. Nous ne reviendrons pas sur les propos tenus par le Président de la République au Latran puis leur réitération à Ryad. Nous ne nous attarderons pas non plus sur les recommandations du rapport Machelon et les velléités de réformer la loi de 1905, ni sur la commande qui fut faite à Madame Veil de préconiser l’introduction dans notre Constitution du principe de diversité, qu’elle récusa clairement.

Le 18 décembre dernier la France a signé avec le Saint Siège un traité international permettant aux établissements d’enseignement supérieur habilités par la Congrégation pour l’éducation catholique de délivrer des grades et des diplômes. Rappelons incidemment que l’État du Vatican est une théocratie dans laquelle le pape dispose d’un pouvoir absolu sans contre pouvoirs institutionnels. La séparation des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire y est évidemment absente en revanche la confusion entre pouvoirs spirituel et temporel est totale. Cette double qualité du Saint Siège, à la fois acteur international et autorité religieuse est source d’ambiguïtés entrainant dans le présent cas plusieurs illégalités manifestes. Ces caractéristiques intrinsèques expliquent en partie que le Vatican ne soit ni membre de l’ONU (en tant qu’État partie) ni membre de l’Union Européenne qui impose des conditions démocratiques pour toute admission.

Cet accord international avec le Saint Siège fut publié par décret n° 2009-427 du 16 avril 2009. Il ne s’agit pas dans le cas présent d’une simple reconnaissance d’équivalence comme il en existe avec les États européens, mais d’une capacité nouvelle donnée à un État étranger (le Vatican) de délivrer des grades et des diplômes sur le territoire d’un autre État souverain : la France. Le protocole additionnel précise que « les Universités catholiques et les établissements d’enseignement supérieur dûment habilités par le Saint Siège » et établis sur le territoire français pourront délivrer l’ensemble des diplômes et grades dans toutes les spécialités (Histoire, Mathématiques, Physique, Science Sociale, Science Naturelle, Droit,…).

Le Gouvernement ne pouvait ignorer qu’examinant ce qui deviendra la loi de 1984, le Conseil d’État a considéré que « le principe suivant lequel la collation des grades est réservée aux établissements publics d’enseignement qui remonte à la loi du 16 fructidor an V et que les lois de la République n’ont jamais transgressé depuis 1880 s’impose désormais au législateur aussi a-t-il disjoint du projet de loi sur l’enseignement supérieur un titre autorisant le ministre chargé de l’enseignement supérieur à accréditer des établissements privés à délivrer des diplômes nationaux » (avis publié in E.D.C.E. 1987, p. 138). C’est ce monopole que l’article 17 de la loi du 26 janvier 1984 puis l’article 137 de la loi du 18 janvier 2002 dont est issu l’article L 613-1 du code de l’éducation viendront consacrer en disposant on ne peut plus clairement que « l’État a le monopole de la collation des grades et des titres universitaires ». Ce principe à valeur constitutionnelle – ainsi que la doctrine la plus avertie a pu le relever (conf. par ex. Y. Gaudemet, Les bases constitutionnelles du droit universitaire, RDP 2008/3 p.680 ets., spec. p.696) – s’impose donc au législateur et a fortiori au pouvoir réglementaire qui ne pouvait donc pas ratifier l’accord intervenu avec le Vatican sans avoir préalablement fait réviser la Constitution. Or tel n’a pas été le cas.

Par ailleurs, l’article 53 de la Constitution imposait au Gouvernement de procéder à la ratification de l’accord seulement après en avoir été dûment habilité par la loi. Cet article dispose que les accords internationaux « qui modifient des dispositions de nature législatives […] ne peuvent être ratifiés ou approuvés que en vertu d’une loi ». Or, nous constatons que l’accord dont le décret précité assure la publication prétend bien modifier notamment l’article L. 613-1 du code de l’éducation. Il ne pouvait donc être ratifié qu’après habilitation législative. Enfin l’article 34 de la Constitution dispose que « la loi détermine les principes fondamentaux : - de l’enseignement ». La définition de l’autorité chargée de délivrer les grades et diplômes relève des principes fondamentaux organisant l’enseignement et doit donc faire l’objet d’une loi pour pouvoir être modifiée.

Il en résulte que le Gouvernement était manifestement incompétent pour ratifier sous forme simplifiée un accord international ayant pour effet de modifier des dispositions de natures législatives et constitutionnelles. En y procédant néanmoins, il a entaché sa décision d’incompétence et ce faisant commis une illégalité que notre proposition de loi tend à corriger en abrogeant le décret illégal.

De plus l’allégation suivant laquelle cet accord n’aurait pour unique objet que d’assurer la reconnaissance des grades et diplômes dans l’enseignement supérieur conformément au processus dit de Bologne, relève d’une véritable dénaturation de l’objet de celui-là. L’accord international joint au décret précité accorde en effet à l’église catholique le pouvoir d’organiser sur le territoire français un enseignement à l’issue duquel peuvent être délivrés des grades et des diplômes. L’article 2 de cet accord attribue ainsi à la Congrégation pour l’éducation catholique autorité pour arrêter la liste des institutions, des grades, et des diplômes que l’enseignement catholique délivrera en France. Cet accord contrevient donc directement au préambule de la Constitution de 1946 qui dispose dans son treizième alinéa que « l’organisation de l’enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l’État. » Il est également contraire à l’article 1er de la Constitution de 1958 qui dispose que « la France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». Les établissements dont les diplômes seront ainsi reconnus n’auront aucun lien juridique nécessaire avec l’État du Vatican, mais se définiront uniquement par les critères cumulatifs suivants : leur caractère religieux (catholique) et leur subordination à l’autorité cultuelle résidant au Saint-Siège.

Or si le caractère propre religieux de ces établissements privés ne contrevient à aucune loi française, la reconnaissance de l’État du Saint-Siège comme leur représentant, du seul fait qu’ils sont par lui « habilités » au seul titre de considérations religieuses, est contraire à la loi de séparation des églises et de l’État du 9 décembre 1905, qui dispose en son article 2 : « La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte ». L’attribution de prérogatives de puissance publique aux organisations représentantes d’une église enfreint ce principe constitutionnel de laïcité.

De même, la loi du 9 décembre 1905, en imposant à l’État la neutralité religieuse, vise à établir une stricte égalité de traitement entre les cultes. Cette égalité est rompue, dès lors qu’un culte particulier voit reconnus publiquement les seuls diplômes, y compris « ecclésiastiques », qu’il délivre. On n’ose imaginer les revendications à venir, au nom d’autres religions.

Ainsi contrairement à ce que la lettre du décret semble laisser supposer celui-ci n’a nullement pour objet d’assurer la reconnaissance de diplômes entre États – ce qui supposerait leur délivrance préalable ! – mais bien d’autoriser un État étranger qui plus est théocratique à délivrer des diplômes profanes sur le territoire de la République ce qui, vous en conviendrez, n’est pas sans poser de nombreux problèmes moraux, diplomatiques, politiques et philosophiques.

En conclusion le décret et cet accord contreviennent aux normes constitutionnelles de séparation des pouvoirs législatif et exécutif, de monopole de la collation des grades universitaires, et de la séparation des églises et de l’État en conférant aux autorités ecclésiastiques un pouvoir exorbitant du droit commun sur le territoire français. La proposition de loi qui vous est soumise tend à corriger ces illégalités en réaffirmant le caractère supra-réglementaire du monopole de la collation des grades et abrogeant de ce fait indirectement toutes normes contraires dont le décret incriminé. Nous préserverons ainsi le caractère laïc de notre République.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Toute norme contrevenant directement ou indirectement au principe de monopole de la collation des grades universitaires tel que défini à l’article L. 613-1 du code de l’éducation est réputée nulle et non avenue.