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Définir l’excellence (sur "How Professors Think. Inside the Curious World of Academic Judgment" de Michèle Lamont) - Claire Lemercier, La Vie des idées, 28 mai 2009

lundi 1er juin 2009, par Laurence

Comment juger de l’intérêt et de la qualité d’une recherche scientifique ? Dans un monde de ressources rares, l’attribution de financements implique une sélection drastique des projets et des candidats. La sociologue Michèle Lamont a enquêté sur le fonctionnement des jurys nord-américains pour comprendre comment l’« excellence » scientifique peut être définie de manière collégiale.

Recensé : Michèle Lamont, How Professors Think. Inside the Curious World of Academic Judgment, Cambridge/Londres, Harvard University Press, 2009, 330 p., 25,20 €.

L’évaluation des universitaires, de leurs laboratoires, de leurs projets, la nécessité (ou non) de concentrer les moyens sur quelques-uns – les excellents, les prometteurs – plutôt que de les « saupoudrer », la manière de parvenir en la matière à un tri juste et efficace : autant de thèmes ardemment débattus dans le monde de la recherche depuis quelques années, et plus encore pendant la mobilisation actuelle. Autant de débats aussi qui gagneraient à être inscrits dans une réflexion plus générale sur les cultures d’évaluation, de recrutement, de classement : car ce n’est pas seulement à l’université que ces questions se posent. Que l’on pense seulement aux débats sur les discriminations à l’embauche et les CV anonymes, ou encore aux choix toujours critiqués des jurys – des projets architecturaux à la Star Academy en passant par le festival de Cannes – qui doivent comparer des prétendants aux styles et aux ambitions souvent incomparables. Ces questions de production de jugements de valeur, de classements, d’expertise sont au centre de nombreuses études récentes en sciences sociales, liées à des interrogations sur les modes de justification, sur le goût, sur la délibération collective ou encore sur l’objectivité scientifique [1].

Si l’on n’en est pas encore au stade de la grande synthèse, on peut distinguer deux façons d’étudier la prise de décision par des jurys sur la valeur d’individus ou de leurs productions. La première se focalise sur la question des biais et discriminations : en considérant comme acquis qu’il existe des critères (de classement, de recrutement, etc.) légitimes et d’autres qui le sont moins, elle tente d’évaluer le poids des seconds et parfois de faire des recommandations pour le réduire. À propos du monde universitaire, cette approche a porté en particulier sur les recrutements, avec par exemple, pour la France, les questions du localisme ou de la discrimination envers les femmes [2].

Une étude optimiste de la collégialité

C’est un autre choix qu’a fait Michèle Lamont dans son étude de jurys interdisciplinaires chargés d’attribuer des bourses de recherche (à différents stades de la carrière académique) pour le compte d’organismes publics ou privés. Son livre est pourtant également normatif, à sa façon : il se veut utile pour les chercheurs débutants, leur donnant quelques clés sur la façon dont ils seront jugés ; surtout l’auteure ne cache pas qu’à son avis le système, dans son ensemble, fonctionne (et que le fait de croire qu’il fonctionne contribue à le faire fonctionner…). En revanche, plutôt que d’opposer ce qui serait une définition acquise de l’excellence à des critères autres, parasites, Michèle Lamont souhaite poser la question de la construction même de cette notion d’excellence : une construction nécessairement collective et relationnelle (les projets sont évalués non pas dans l’absolu, mais dans le contexte de projets concurrents), qui ne peut donc s’affranchir d’effets de goûts ou d’interactions sociales, voire d’objectifs autres que purement méritocratiques, comme la « diversité ». Pour autant, le constat n’est pas relativiste : si l’auteure ne croit pas à une notion absolue d’excellence, elle veut montrer ce qui fait un bon jury, qui, travaillant pragmatiquement avec un certain nombre de contraintes (de temps notamment), arrive à produire une sélection collectivement acceptable.

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