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"La crise des facs aura-t-elle servi à quelquechose ?", Patrick Fauconnier, Le blog de l’éducation, NouvelObs, 4 juin 2009

samedi 6 juin 2009

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"La crise des facs aura-t-elle servi à quelquechose ?"

Ce matin on apprend, comme l’a dit une radio, que « Toulouse le Mirail s’est rendu . » On croirait l’annonce de la chute de Dien Bien Phu. On pense à la gueule de bois que doivent ressentir ces étudiants qui, voici encore tout récemment, à, Rennes 2, la Sorbonne, Toulouse, Montpellier, applaudissaient dans l’euphorie la reconduction des grèves. Quand on a vécu Mai-68 - comme l’auteur de ces lignes - pas facile de regarder les photos de ces amphis gais et enfiévrés sans penser à l’amertume de ceux qui ont cru en cette « rêve générale » pendant 4 mois.

Sur la photo d’un amphi le la Sorbonne en lutte parue dans Libé du 17 mai, on ne voit quasiment que des filles. Ce qui illustre l’analyse de Philippe Mahrer, directeur du Collège des Ingénieurs et membre de la Commission université emploi. Selon lui, c’est la « masterisation » qui a fait basculer les étudiants - surtout des étudiantes - dans un mouvement lancé par les profs. Parce que la formation des maîtres se joue dans les facs de lettres, et qu’elle concerne essentiellement les filles : d’après Mahrer, elles représentent 80 % des enseignants du Primaire, et 70 % dans le Secondaire. Le Mirail, la Sorbonne et les autres fac en pointe de la grève étaient des fiefs de futures enseignantes révoltées qu’on escamote leur période de formation en alternance - via la « masterisation » - , pour des économies de bouts de chandelles .

« Une licence à Pau et une licence à la Sorbonne c’est la même chose. »

Mais au fil des semaines les mots d’ordre des blocages ont dévié vers une « lutte » pour un idéal plus flou, porté par les grafs comme « Grèce générale » et « rave générale ». Rêve d’un monde platonicien voué à la culture, qui serait sans contraintes, où la compétition n’existe pas, ni l’évaluation donc. Où l’on ne calcule pas ce qu’on dépense pour la formation, parce que la formation ça n’a pas de prix. Où toutes les universités se valent.
« Je n’accepte pas la mise en concurrence des universités entre elles dit Bayrou. Une licence à Pau et une licence à la Sorbonne c’est la même chose. » Mais il aime vanter ses enfants qui ont fait les grandes écoles, domaine de la compétition la plus sauvage. Bizarre schizophrénie des français : viscéralement pour l’égalité mais « prêts à s’entretuer pour le choix des établissements et des filières » comme dit François Dubet.

Dans « Le Monde » du 2 juin, Valérie Pécresse reconnaissait les erreurs commises après le vote, relativement facile, de sa loi LRU en 2007. Si le gouvernement semblait sincèrement décidé à revaloriser l’université, la façon de s’y prendre a blessé la fierté des universitaires. Un décret ultra sensible sur le statut des enseignants-chercheurs rédigé sans concertation, des suppressions de postes, un discours méprisant du président de la République, une réforme « masterisation » menée également sans concertation : le nombre de bourdes accumulées a été impressionnant. Il montre que le pouvoir, dirigé depuis toujours par des élites issues des grandes écoles, semble tenir l’université pour un corps à la botte. Pécresse n’a pas tort quand elle dit « On a pris comme un boomerang l’ensemble d’un malaise qui couve depuis 25 ans. On a payé le prix du passé . »

Ceux qui suivent depuis longtemps l’actualité de l’éducation peuvent l’attester : la lâcheté des gouvernants à l’égard des problèmes de l’université, le non financement de sa démocratisation, d’où un énorme taux d’échec qui avait fini par faire rimer fac avec chômage, ont été autant d’impressionnantes formes d’un mépris devenu, sur la durée, un ferment d’explosion. On oublie que lors des Présidentielles, ces grands rendez vous entre la nation et ses ambitions, en 1988, en 1995, en 2002, l’université était oubliée. Pas un mot sur elle. Qui sait citer ce qu’un ministre a fait d’important pour elle depuis 20 ans, hormis Allègre et Lang initiant et concluant la réforme LMD instaurant notamment les équivalences européennes ?

Le temps ou Science Po était « pauvre, mais digne. »
Des tribunes parues dans la presse l’ont montré : nombre d’universitaires semblaient se contenter de ce monde éthéré laissé à lui-même, où les plafonds s’écroulent, les portes ne ferment plus, les jeunes s’entassent à 400 dans des amphis ( et y échouent en masse ), les couloirs sont maculés de grafs, mais où...on est libre de faire ce qu’on veut, même si on est pauvre. La « pauvreté » des facs avait fini par devenir une donnée consubstantielle à cette institution, quasiment synonyme de sa valeur, si l’on peut dire. Puisque parler argent, c’est être matérialiste dans un temple du savoir.

Un jour où Richard Descoings, le patron de Sciences Po, se battait avec sa « tutelle » au ministère, ce qui lui arrive constamment, au sujet de son budget, un haut fonctionnaire l’apostropha en ces termes : « je regrette le temps ou Science Po était pauvre, mais digne. »

A force de rêver une université dégagée de contraintes matérielles, ou les mots « argent », « budget », « coût des études », « rentabilité des études », « insertion » « marché », « marché de l’emploi » n’auraient pas droit de cité, les étudiants en Lettres et Sciences Humaines courent le risque de voir l’Etat leur dire « eh bien restez pauvres, et on financera les autres ! »
Ce que les universités ne voudront pas ira aux grandes écoles
Ce péril est redoutable : il renforce le vrai mal français : l’enseignement supérieur à deux vitesses. Ce qui a été constamment occulté tout au long de cette crise, ce que trop d’enseignants chercheurs et étudiants ont refusé de voir ( et qui explique que l’Etat a pu laisser pourrir la situation ) c’est la spécificité française d’un enseignement supérieur composé de deux parties : université et grandes écoles.

Si notre pays a pu se permettre de laisser son université en déshérence si longtemps, c’est pour cette raison . Le pouvoir estimait que si les universités ne marchent pas, ce n’est pas grave : la fabrique de professionnels et d’élites, elle, tourne à plein. Donc a perduré ce contrat inique entre la nation et son université : l’état vous finance peu, vous traite mal, mais vous fiche la paix. Les universitaires, au nom de leur sacro sainte liberté, se sont trop longtemps satisfaits d’une tradition plus ou moins honteuse : pauvres, mais libres.
Sauf que les étudiants en ont fait les frais. L’université massifiée, ce n’est pas seulement la recherche et la culture : c’est aussi la formation à des débouchés. Les facs de sciences, de médecine, de gestion ont saisi l’opportunité de la réforme, synonyme de moyens accrus. Se donnant ainsi de meilleures chances de pouvoir séduire les grandes écoles, monter avec elles des masters communs, et attirer plus de candidats

La faute des enseignants chercheurs les plus rebelles à la réforme est de ne pas vouloir saisir une proposition - la première depuis 40 ans - qui a pour but de restaurer la fierté universitaire en mettant beaucoup d’argent ( moyennant plus d’évaluation) et en rapprochant grandes écoles et universités, gage de meilleure offre pour les étudiants et de financements améliorés. Les grévistes ont hurlé en disant qu’ils ne voyaient pas arriver l’argent . Sur ce point, ils ont raison. Mais il est clair que le pouvoir a joué donnant-donnant : pas de réforme ? pas d’argent . Si le mode de gestion des facs doit évoluer vers celui observé à Sciences Po, avec une gestion par projets, de l’ambition et de l’innovation, il n’est pas établi que cela soit une régression.

Quelle que soit sa préférence partisane, on peut difficilement le nier : jamais l’université n’avait été ainsi mise au centre du débat public. Jamais ses chances de disposer enfin de vrais moyens financiers n’ont été aussi grandes. Certains peuvent refuser cette perspective. Mais qu’ils ne s’étonnent pas de voir les moyens filer ailleurs. La crise des facs aura servi au moins à ça : faire comprendre à l’Etat que les facs de lettres méritent d’être aussi bien dotées que les autres, faire réaliser aux facs de lettres qu’elles ne pourront demeurer un monde éthéré affranchi des règles de la gestion, faire réaliser aux universitaires que ce qu’ils ne voudront pas faire, d’autres le feront.
Patrick Fauconnier