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"La réforme de la gouvernance des universités. Un texte d’Elie Cohen", betapolitique, 19 juillet 2009

dimanche 19 juillet 2009, par Elie

La réforme de la gouvernance des universités. Elie Cohen (membre du Conseil d’Analyse économie, directeur de recherches au CNRS. Communication prononcée devant l’ Académie des Sciences morales et politiques, 6 juillet 2009.

Introduction

Du LMD à la LRU, en passant par le PRES, l’ANR, les RTRA et le Plan Campus, le système d’enseignement supérieur et de recherche français connaît depuis cinq ans une succession d’importantes réformes. De progressions en replis, ces réformes ont significativement modifié sa physionomie, par le renforcement des moyens financiers, l’autonomie des universités, la constitution de pôles d’excellence, une esquisse d’intégration des grandes écoles et des universités, la création d’agences de moyens en sus des grands organismes de recherche ; enfin, le resserrement des liens entre la recherche-innovation et les entreprises dans les pôles de compétitivité.

Parmi les réformes s’engageant sur ces voies, même la plus visible - la LRU - n’a pas soulevé, sur le moment, d’oppositions radicales. Curieusement, c’est un sujet plus « technique » - la modification du décret de 1984 portant sur le statut des enseignants chercheurs - qui a provoqué une levée de boucliers, paralysant durant plusieurs mois l’essentiel de l’Université française. Quoique la mobilisation ait été contrastée, le soulèvement de 2009 demeure inédit par son ampleur, sa durée et sa radicalité. Or le décret modifié sur le statut des enseignants-chercheurs ne proposait rien d’autre que l’application au personnel enseignant de la loi d’autonomie, qui n’avait jusqu’alors pas éveillé de désapprobation massive.

De plus, loin d’être une réforme de rupture, l’adoption de la LRU, le 10 août 2007, n’a fait que prolonger les évolutions initiées par Edgar Faure dans le sillage de mai 1968 et consolider la réforme Allègre de 1997 sur la contractualisation dans la gouvernance universitaire. Que le principe d’autonomie suscite aujourd’hui une telle contestation, alors que le processus d’autonomisation des universités avait été lancé sans heurt, de longue date, a donc de quoi surprendre. L’autonomie, aux yeux de ses adversaires, ne serait que le vecteur de la marchandisation du savoir voulue par l’OCDE et l’UE et de la mise à mort du service public républicain, l’outil d’une université libérale et inégalitaire, la dernière arme contre les libertés de l’enseignant-chercheur.

Bien que le contexte politique actuel semble favoriser la remise en cause des principes du néo-libéralisme, on s’explique assez mal que le débat sur l’Université, rejoigne la polémique sur la fragilisation du service public à la française par l’introduction de logiques concurrentielles. Comment ne pas s’étonner, qu’un système d’enseignement supérieur et de recherche aussi sélectif que le système français puisse passer pour réfractaire à la mise en concurrence des établissements ? De plus, rien ne démontre que l’Université française ait cédé aux sirènes du marché, et on aurait tort de croire que la réforme de la gouvernance universitaire consiste en l’adaptation de standards étrangers à la situation nationale. On tâchera même d’expliquer dans cette communication, comment le fait d’associer à un modèle national centralisé certaines caractéristiques d’un modèle de gouvernance fondé sur l’autonomie a finalement accentué les dysfonctionnements qu’on prétendait corriger, créant ainsi les conditions du conflit de 2009.

On pourrait penser que l’étendue du mouvement des enseignants chercheurs procède de la conjonction d’éléments contingents, parmi lesquels la réforme du statut des enseignants chercheurs, qui modifie le décret du 6 juin 1984, la masterisation des concours de recrutement, la modulation des moyens budgétaires sur la base de critères de performances, et la suppression de postes dans le cadre des non remplacements des départs à la retraite, et le discours « pour une Stratégie Nationale de Recherche et d’Innovation » tenu par le Président Sarkozy le 22 janvier 2009. Le mouvement de protestation s’analyserait alors comme une bouffée protestataire en réaction à une accumulation de mesures perçues comme hostiles : le renoncement à l’essentiel de la réforme permettant un retour à la normale.

Mais le retour périodique des irruptions universitaires ne plaide guère pour ces explications, la question de l’autonomie résume bien tous les problèmes liés à la mutation du système d’enseignement supérieur et de recherche. Comment envisager en effet l’instauration de l’université autonome dans le paysage institutionnel français sans s’interroger sur les raisons qui ont fait de la question universitaire un élément central dans les débats économiques et politiques du moment ?

L’Université française a vu son statut bouleversé depuis une dizaine d’années. Loin d’être cantonnée à la seule production et distribution des savoirs, elle apparaît désormais comme un facteur productif direct. La stratégie de Lisbonne, objectif majeur de l’UE pour faire entrer l’Europe dans l’économie de la connaissance est précisément basée sur la priorité donnée à l’enseignement supérieur et à la Recherche. Or, dans la mesure où le mode d’organisation de l’Université – notamment les modes de gouvernance et les systèmes d’incitation qu’elle est capable de mettre en place – détermine directement ses performances, celui-ci est devenu un sujet de réflexion majeur.

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