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Comme Assas, Bordeaux rêve de sa fac à deux vitesses - Chloé Leprince, Rue89, 7 octobre 2009

mercredi 7 octobre 2009, par Elie

Pour lire cet article sur le site de Rue89.

Ce jeudi 8 octobre, les enseignants de droit public de Bordeaux IV décideront s’ils valident la création d’une fillière d’excellence en première année. Des discussions du même cru sont aussi en cours en droit privé. Voilà qui ferait de la fac bordelaise de droit, sciences économiques et gestion (15 000 étudiants) la deuxième université à lancer un « collège de droit », parcours premium pour bons élèves fléchés dès les résultats du bac.

C’est Assas (Paris II), qui avait ouvert le bal, à la dernière rentrée. Dans une grande discrétion : il y avait à peine plus de candidats que de places au « collège de droit » (120). Concrètement, il s’agit de 130 heures de cours de plus par an pour ces étudiants triés sur le volet. Explications de Manuel Miler, au service communication de Paris II :

« Nous n’avions pas fait beaucoup de publicité. C’est nous qui avions contacté un par un les étudiants qui s’inscrivaient chez nous après avoir obtenu mention Très Bien au bac. Cette année, c’est pareil, mais les mentions Bien qui voudraient candidater devront passer un test pour évaluer leur intiution juridique et leur logique. »

Pourquoi un numérus clausus de 120, soit moins de 5% d’une promotion de première année ? « Parce que nous voulions quatre groupes de trente, tout simplement. »

« Le contraire de l’enseignement de masse »

Evidemment, il est tenant d’y voir une ambition très élitiste. Procès d’intention ? Pas franchement puisque le chargé de communication lui-même tient à préciser :

« Le but, c’était vraiment de faire tout le contraire de l’enseignement de masse traditionnel. Quelque chose de très anglo-saxon, en fait. »

Cette université à deux vitesses, accessible pour les meilleurs éléments repérés sur leur moyenne au bac pourvu qu’ils soient à même de débourser 200 euros par an en plus des frais d’inscription, c’est précisément ce que dénoncent les juristes qui commencent à monter au créneau.

La première à avoir réagi publiquement, c’est Mireille Poirier, maître de conférences en droit privé à Bordeaux, qui signait le 22 septembre une tribune dans L’Humanité. Pour dénoncer notamment un surcroît de concurrence entre étudiants et entre facs. Et un début de « privatisation des diplômes ».

Haro sur la tradition

Côté institutions, le but affiché est de pousser le niveau des universités hexagonales, quitte à braver la tradition d’égalité d’accès à la formation. Dans une interview à la revue « La semaine juridique », en novembre 2008, Louis Vogel, président de Paris II, ne cachait pas son intention de faire de la nouvelle fillière d’Assas «  une grande école du droit » :

« Dans un monde concurrentiel, il faut jouer de ses atouts. La stratégie d’Assas -notamment par rapport à des établissements comme Sciences-Po, HEC, l’Essec- c’est de faire valoir ce en quoi notre université est excellente, bien meilleure que tous ces rivaux. »

Un peu plus loin, le patron d’Assas compare l’objectif de sa fac à « Cambridge, Oxford, Harvard ». Or, pour Julien Giudicelli, un des signataires de « l’appel des juristes » qui a éventé la chose, c’est « inacceptable », quand on sait déjà que moins d’un étudiant de première année sur trois parvient déjà à valider son année - « et encore, le taux de réussite a déjà considérablement augmenté depuis la réforme LMD !

“Filière pour happy few”

Maître de conférences en droit public, il est résolument contre ce qu’il appelle “une filière pour happy few” qui ressemblerait d’un peu trop près aux grandes écoles. Et d’autant plus inquiet qu’il a été convoqué à la réunion de jeudi matin “pour entériner la chose alors même qu’on n’a pas discuté des contenus”.

Joint par Rue89, il raconte avoir eu déjà plusieurs prises de bec avec ses collègues enseignants, dans une fac qui compte près de 250 titulaires “et qui reste très conservatrice comme beaucoup de facs de droit”.

Au sein de la même fac, Guillaume Wicker, professeur de droit privé, est, a contrario, un des défenseurs du projet pour Bordeaux IV. Ce dernier argue (comme Vogel à Assas) que c’est l’exode vers les écoles de commerce et les instituts d’études politiques qui justifie cette nouvelle philosophie.

Lui qui parle de “concurrence contre les universités” plus qu’entre elles, pointe en outre un déficit d’image tout à fait spécifique :

On a aujourd’hui un problème de recrutement de nos étudiants. Un certain nombre de bacheliers des classes les plus aisées commencent à déserter, même dans les facultés de droit. Au point qu’on a un vrai souci de mixité sociale aujourd’hui.

L’idée est donc de proposer aux étudiants un parcours renforcé afin de dire aux parents qu’on est capable de former les meilleurs au meilleur niveau, contrairement à la massification de l’université.

Financement et numérus clausus encore en pourparlers à Bordeaux

A ceux qui dénoncent une sélection par l’argent, Guillaume Wicker répond que “rien n’est encore acté” et que les crédits alloués au fond de réussite en licence (qui sert pour l’heure à payer le soutien aux étudiants en difficulté) pourraient être utilisés.

Quant au numérus clausus, il fait toujours débat à Bordeaux IV, où même les partisans de la future “école de droit” s’affrontent entre tenants d’un contingent ultra réduit (50 à 80 étudiants pour environ 2000 étudiants en première année) et partisans d’une simple liste de critères sans effectif prédéfini.

Une seule chose de certaine, pour l’heure : contrairement à Assas, Bordeaux IV ne trierait pas ses étudiants premium en fonction des notes au bac mais au terme du premier semestre de première année.

En droit, Aix, Toulouse et plusieurs universités en région parisienne seraient déjà sur la rampe de lancement. Mais les universitaires contactés par Rue89 craignent une “contamination” à d’autres disciplines.