Accueil > Revue de presse > Les lobbyistes d’Acadomia : « Satisfait ou remboursé » ! - par Mathilde (...)

Les lobbyistes d’Acadomia : « Satisfait ou remboursé » ! - par Mathilde Mathieu, Mediapart, 10 décembre 2009

jeudi 10 décembre 2009, par Elie

Pour lire cet article sur le site de Mediapart.

Acadomia, la plus grosse entreprise de soutien scolaire en France (« Bachelier ou remboursé »), vient de remporter une véritable Blitzkrieg au Parlement - un modèle du genre. Grâce à une campagne de lobbying d’une dizaine de jours, Acadomia a obtenu que le Sénat enterre, lundi 7 décembre, un amendement « hostile » voté par l’Assemblée nationale trois semaines plus tôt, à une large majorité.

Ce dernier, déposé par le député UMP Lionel Tardy, s’annonçait catastrophique pour le chiffre d’affaires de la firme créée en 1989 (37 millions d’euros en 2008) : en quatre petites lignes, il supprimait le crédit d’impôt offert aux familles consommatrices de cours privés à domicile, autorisées jusqu’ici à déduire de leur déclaration d’impôts 50% de leurs dépenses parascolaires. En clair, l’amendement tuait la poule aux œufs d’or.

Pour le jeune élu de Haute-Savoie, cette « niche fiscale » (évaluée par les socialistes à 300 millions d’euros par an), réservée aux seuls foyers imposables (« privilège » interdit aux classes populaires) n’avait plus de raison d’être : selon lui, cet « effet d’aubaine » n’a fait que « gonfler les profits de ces sociétés privées », dopées aux frais de la collectivité, qui n’ont jamais réduit leurs prix ni amélioré leurs services en contrepartie. Lionel Tardy souhaitait donc réserver ce crédit d’impôt aux familles recourant plutôt à des associations à but non lucratif ou à des particuliers (étudiants, etc.).

À l’Assemblée, cet amendement avait reçu le soutien des socialistes (« Très bien ! », avait applaudi Henri Emmanuelli), comme de la commission des finances.

Mais au lendemain de son adoption, Acadomia a sonné le branle-bas de combat et missionné un cabinet de lobbying pour rattraper le coup au Sénat. Son nom : Lysios.

Trois salariés ont été illico mobilisés. Le coût de leurs services ? Secret. Ni Lysios, ni Acadomia, sollicités, ne veulent le dévoiler. Les lobbyistes ne livrent d’ailleurs guère de détails : « Travailler en dix jours, c’est pas notre habitude », se contente-t-on de glisser. Compte tenu des délais, ultra-serrés, Lysios s’est concentré sur un tout petit nombre de sénateurs, pour des frappes chirurgicales ciblées.

A l’arrivée, Catherine Procaccia, vice-présidente UMP de la commission des affaires sociales, a déposé un amendement d’éradication de la réforme Tardy. « J’ai moi-même dû avoir recours à cette aide pour mes enfants », a-t-elle d’abord justifié en séance, lundi 7 décembre (tout en précisant pour l’honneur : « Ce qui ne les a pas empêchés d’avoir leur bac avec mention... »).

À l’intention des parlementaires, Lysios avait peaufiné un argumentaire type, « rappelant que la défiscalisation des cours à domicile a permis de lutter contre le travail au noir », « résumant le nombre d’emplois créés », plaidant pour « un minimum de sécurité juridique », rapporte un lobbyiste « maison »... Pour rassurer son monde, Lysios a aussi expliqué urbi et orbi qu’Acadomia était « tout à fait favorable à une mission d’enquête parlementaire sur le soutien scolaire », si nécessaire...

Catherine Procaccia, dans l’hémicycle, s’est ainsi retrouvée à livrer des chiffres très « précis » (tirés de quelle étude ?) : « Cette activité rassemble 1.200 entreprises et emploie 2.000 salariés à temps plein et 50.000 intervenants, soit 5.000 équivalents temps plein, dont beaucoup d’étudiants. » Elle a estimé que la réforme votée par l’Assemblée nationale allait « à l’encontre du plan emploi initié en mars dernier » par le gouvernement, visant à favoriser le développement des services à domicile ; puis à l’attention des plus sceptiques, elle a suggéré de créer plutôt une « mission parlementaire »... Tiens donc.

Mais « une grosse partie du lobbying a surtout été faite auprès du ministère », confie-t-on chez Lysios. Le jour J, Christine Lagarde, ministre de l’économie, a ainsi opportunément suivi la sénatrice Catherine Procaccia...

Quant à Philippe Marini, le rapporteur général de la commission des finances (UMP), qui défendait au départ une solution intermédiaire (le plafonnement du crédit d’impôt à 3.000 euros par foyer), que Lysios n’a pas négligé, il a rendu les armes in fine....

Bref, l’amendement Tardy a sauté au Sénat, et la socialiste Nicole Bricq a lâché, cinglante : « Bravo, les cabinets de lobbying ont bien travaillé ! »

Après coup, Lionel Tardy a déversé son dépit sur son blog, sans langue de bois : « Mes collègues UMP et Union centriste ont surtout vu l’aspect “création d’emploi” - ce que leur a vendu Acadomia et consorts. Mais ils n’ont pas vraiment creusé le coût que représentent ces emplois (...) pour le Trésor public. Ils ne se sont pas non plus penchés sur l’efficacité de la dépense publique. Nous avons là un magnifique exemple de la difficulté à réformer la France. On trouve toujours de bonnes raisons pour créer une nouvelle niche fiscale. Et quand, plus tard, on veut la supprimer parce qu’elle n’est pas assez efficace, ceux qui en bénéficient s’organisent et obtiennent - presque toujours - son maintien. Le Trésor public est devenu un vaste fromage où tout le monde se sert. »

Le patron d’Acadomia, lui, peut dormir ce soir sur ses deux oreilles.