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Grand emprunt : sous couvert « d’excellence », une catastrophe imminente - par Henri Audier, SLR, 12 avril 2010

mercredi 14 avril 2010, par Laurence

Nous allons vers une catastrophe annoncée et imminente, en comparaison de laquelle la LRU n’est qu’une bluette : la mise en œuvre du grand emprunt avec les campus dit « d’excellence » et les procédures complémentaires, tout aussi pernicieuses, sur la recherche.

Le premier chamboulement de nos secteurs (Pacte, ANR, AERES, LRU) avait principalement pour but de démolir les organismes. La phase actuelle, le deuxième chamboulement, correspond à une prise en main directe du pouvoir sur toutes les orientations stratégiques. Pour ce, le gouvernement se sert des structures qu’il a lui-même créé comme tremplin pour aller beaucoup plus loin, quitte ensuite à les amoindrir.

Ainsi l’ANR visait à enlever aux établissements le financement des laboratoires, tout en orientant la recherche par thèmes. Aujourd’hui, l’ANR garde les « projets blancs » pour que les établissements restent affaiblis, mais le rôle d’orientation passe aux Alliances qui coiffent les organismes.

Le grand emprunt est une étape décisive de ce pilotage utilitariste de la recherche. Il se fixe 5 priorités « rentables », les finance par appel d’offre de comités nommés Cunégonde, Nicéphore ou Théodule, et compense les dépenses de l’emprunt en prélevant sur tous, par le budget, les sommes ainsi alouées. Et ce dans le contexte de diminution des emplois de titulaires qui est programmé.

Pour les universités, cela se traduit par la multiplication des fondations, donc par un affaiblissement du rôle des CA et CS, et avec un fonctionnement presque exclusif sur appels d’offre extérieurs. Mais cela va beaucoup plus loin. Les « campus d’excellence », au mieux, se surimposeront aux universités et aux PRES, les cliveront en leur sein, au pire. Plusieurs rapports commandités par la ministre s’en prennent ouvertement à l’actuel mode de gouvernance des universités, trop démocratique ( !!!), et aux « PRES-Titanic ». Une LRU2, bien pire encore que la première, est en route.

S’il est bien de résister sur un certain nombre de problèmes, la PES pour les uns, la mastérisation pour d’autres, il conviendrait de s’opposer plus fortement à ce processus quasi-totalitaire. Ce d’autant que, risquant d’être battue en 2012, la droite va accélérer le processus de façon à le rendre difficilement réversible.

1- Les intentions de base : « Les priorités financées par l’emprunt national » selon Sarkozy

Le document de la Présidence de la République, « Priorités financées par l’emprunt national » en date du 14/12/2009, détaille le financement et les nouvelles structures qui sont créées pour le mettre en œuvre : « campus d’excellence », « laboratoires d’excellence », IHU, IRT, SATT, qui s’ajoutent à ANR, AERES, LRU, Alliances, Instituts, Instituts Carnot, RTRA, RTRS, Fondations de droit bidule ou chose, FCS, PRES, EPCS, EPCSCP, pôle d’excellence, pôle de compétitivité, Campus (de non-excellence), « campus prometteurs », « campus innovants », etc. Lisibilité, visibilité … http://www.elysee.fr/president/root/bank_objects/09-12-14dossierdepresseEmpruntnational.pdf

Montants : des dotations en capital dont seuls les intérêts pourront être utilisés En ce qui concerne le volet « Enseignement et formation », le montant de l’emprunt est de 11 milliards d’€ (Md) dont 7,7 pour « les campus d’excellence », 1 Md pour l’opération Saclay et "1,3 Md pour le plan campus". Ce 1,3 Md annoncé pour le Plan Campus ne s’additionne pas aux 5 milliards « provenant de la vente d’actions EDF », dont on parle depuis deux ans. Simplement, on se souvient qu’en mettant d’un seul coup 5 Md d’actions sur le marché, pour rendre médiatique l’opération, le gouvernement a fait chuter le cours de l’action et n’a tiré que 3,7 Md de la vente. L’actuel 1,3 Md est donc là pour compenser cette « erreur » d’un coût prohibitif.

Ce volet est indissolublement lié au volet « Recherche » : 8 Md. La répartition est la suivante : « laboratoires d’excellence » 1 Md, équipements de recherche 1 Md, santé et biotechnologie 2,5 Md, valorisation 1 Md, innovation 2,5 Md.

Si les revenus de ces sommes, environ 800 millions par an, étaient « en plus » d’un budget constant, cela ne serait pas négligeable, bien que loin du 1,8 milliard promis, mais jamais vu. Or, il n’en est rien.

Un financement, non en plus, mais en déduction du financement budgétaire Le texte de l’Elysée, est très clair : « l’emprunt s’articule pleinement avec notre stratégie de réduire le déficit structurel dès que la croissance le permettra. Les intérêts de l’emprunt seront compensés par une réduction des dépenses courantes dès 2010 et une politique de réduction des dépenses courantes de l’Etat sera immédiatement engagée ». Le gouvernement a du reste commencé : dès janvier, une loi rectificative supprimait 500 millions (dont 125 à l’ESR) au budget 2010 voté pourtant quelques semaines plus tôt. Eric Woerth avait, de plus, annoncé que les opérateurs de l’Etat devraient baisser dans les prochains budgets l’emploi de 5 % et les crédits de 10 %.

Il est donc sûr que ce qui va être donné aux uns va être pris aux autres, ce qui creuse les écarts entre ceux qui pourront maintenir une position internationale et ceux qui vivoteront ou crèveront. Mais la signification de la démarche est que cette distribution va se faire, bien sûr en passant outre les instances scientifiques, en changeant les modes de financements et en créant des entités nouvelles, se surimposant aux universités et au PRES dans le meilleur des cas , en clivant en leur sein au pire.

2- « Les campus d’excellence » : la partie spectaculaire de l’iceberg

Un bon résumé du journal La Tribune. Dans un article intitulé « Universités le grand emprunt sème le trouble », une journaliste de La Tribune du 18/03/2010 écrit : « La loi LRU de 2007 a été appliquée à un train d’enfer. L’opération campus est sur les rails. Concomitamment, universités et grandes écoles ont été pressées de se regrouper en PRES. Sans compter les pôles de compétitivité, sommés eux aussi de se regrouper. Le grand emprunt a ajouté une couche à ce mille-feuille, prévoyant la sélection de 5 à 10 campus d’excellence. La carotte : 8 milliards d’euros sous forme de dotation en capital. Le bâton : un cahier des charges très strict en matière de gouvernance. Cette dernière devra être renouvelée avec un partage des rôles clairs entre communauté académique et conseil d’administration largement ouvert à des membres extérieurs comme préconisé par le récent rapport de l’économiste Philippe Aghion. (…) De fait la volonté de l’Etat est d’aller plus loin [que la LRU]. Le statut de « grand établissement » adossé à une fondation semble l’outil adéquat aux yeux du gouvernement. Mais que faire des PRES dont nombre de voix, y compris à l’Elysée, soulignent l’inadéquation avec les campus d’excellence. (…) Un rapport de IGAENR préconise (…) de lancer une « phase 2 » des PRES avec quatre scénarios de fusion ou d’évolution à la clef. (…) Cette succession de mesures depuis 2006 conduit à une confusion générale, en mélangeant les logiques d’autonomie, de territoire et de regroupement. »

Des structures hyper élitistes pouvant couper horizontalement les PRES, voire les universités D’après l’Elysée, « L’Emprunt national va permettre de doter en capital 5 à 10 campus d’excellence (…). Les projets qui seront labellisés campus d’excellence devront réunir sur un site ou une grande région, les meilleures écoles doctorales et les équipes de recherche d’excellence, les meilleures grandes écoles, et ce dans un partenariat étroit avec l’environnement économique. (…) Les lauréats, en nombre réduit, recevront une dotation en capital qui pourra aller jusqu’à 1 milliard d’euros afin que les grands établissements d’enseignement et de recherche français soient enfin dotés de capitaux propres, garantie de leur autonomie et de la pérennisation de leurs ressources. Ces dotations faciliteront aussi l’appel à des partenariats privés ».

Une prise en main de la « gouvernance » « Garantie de l’autonomie des établissements » ? Une plaisanterie ! Le financement sera conditionné aux priorités du gouvernement et passera par des fondations : «  Par ailleurs, une part majoritaire de l’emprunt sera utilisée pour doter des fondations ou pour des prêts ou des prises de participation ». Les fondations, c’est bien car il n’y a pas d’élus (ou très peu) et cela évite des débats au CA des établissements … du moins jusqu’à ce qu’on change leur composition. Ce qui est prévu.

Ce qui est prévu : «  Les dotations seront accordées sur appel à projets et sélection par un jury international, à des universités et regroupements d’universités et de grandes écoles qui se donneront une gouvernance modernisée et une gestion efficace, avec un engagement clair sur des objectifs et des résultats. Il s’agira de se rapprocher des organisations de gouvernance observées dans toutes les grandes universités de recherche du monde : exécutifs resserrés, ouverts, et équilibrés par des instances académiques collégiales délibératives. »

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