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Enseignants-chercheurs : le rapporteur du Conseil d’État propose le renvoi au Conseil constitutionnel de 4 articles de la loi LRU (1er juin 2010)

mardi 1er juin 2010, par Anneflo

Le rapporteur public de la section du contentieux du Conseil d’État, Rémi Keller, propose de renvoyer devant le Conseil constitutionnel quatre articles du code de l’éducation modifiés par la loi LRU : l’article L.952-6-1 sur les comités de sélection ; l’article L.712-2-4e (2e alinéa) qui institue le droit de veto du président ; l’article L.954-1 qui stipule que le CA définit « les principes généraux de répartition des obligations de service » ; et l’article L.712-8 par lequel « les universités peuvent, (…) demander à bénéficier des RCE en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines ». Rémi Keller a présenté ses conclusions mercredi 26 mai 2010 lors d’une séance publique des 4e et 5e sous-sections de la section du contentieux du Conseil d’État.

(Cet article a été rédigé en prenant comme source une dépêche AEF)

Des enseignants-chercheurs juristes, notamment membres du Snesup et du Collectif pour la défense de l’université, ont déposé des recours en annulation contre le décret sur les « comités de sélection » du 10 avril 2008 et celui sur le « statut des enseignants-chercheurs » du 23 avril 2009. Ils ont invoqué la question prioritaire de constitutionnalité pour soulever l’inconstitutionnalité de certaines dispositions de la loi LRU.

Rémi Keller, rapporteur public de la section du contentieux du Conseil d’État, a présenté ses conclusions le mercredi 26 mai 2010 lors d’une séance publique de sections du contentieux du Conseil d’État, et propose de renvoyer devant le Conseil constitutionnel quatre articles du code de l’éducation modifiés par la loi LRU :

- l’article L.952-6-1 sur les comités de sélection ;

- l’article L.712-2-4e (2e alinéa) qui institue le droit de veto du président ;

- l’article L.954-1 qui stipule que le CA définit « les principes généraux de répartition des obligations de service » ;

- l’article L.712-8 par lequel « les universités peuvent, (…) demander à bénéficier des RCE en matière budgétaire et de gestion des ressources humaines ».

Le Conseil d’État va bientôt rendre publique sa décision de saisir ou non le Conseil constitutionnel. Si le Conseil constitutionnel est saisi, il aura trois mois pour faire connaître sa décision. Cette procédure conduit à ce que l’examen par le Conseil d’État des recours contre les deux décrets soit interrompu en attendant la fin de la procédure de contrôle de constitutionnalité.

- En ce qui concerne le statut des enseignants-chercheurs, Rémi Keller a évoqué les quelques points soulevés par les requérants :

- ils contestent le fait que la loi LRU autorise à fixer le statut par décret alors qu’il devrait l’être par la loi, Rémi Keller juge que la question « n’est pas sérieuse […] Le principe d’indépendance des enseignants-chercheurs n’implique aucunement que leur statut particulier soit fixé par le législateur. »

- ils contestent le fait qu’au nom des principes d’indépendance et d’égalité, le CA peut fixer « les principes généraux de répartition des obligations de service » (article L.954-1) et que cette disposition n’est applicable qu’aux universités bénéficiant des RCE (article L.712-8). Pour Rémi Keller, « s’agissant du principe d’indépendance, l’argumentation quelque peu confuse des requérants ne permet pas de discerner en quoi il serait méconnu par les dispositions en cause ».

- mais « la question est plus sérieuse au regard du principe d’égalité », selon le rapporteur, car la fixation des obligations de service des enseignants relève du domaine statutaire (décision du Conseil d’État du 12 juin 1987). Il estime que cette question doit être soumise au Conseil constitutionnel car «  le principe d’égalité des agents d’un même corps suppose qu’ils soient soumis aux mêmes règles statutaires. Tel n’est plus le cas dès lors que ces règles peuvent varier d’une université à l’autre, d’abord parce qu’elles sont fixées par le CA, ensuite parce que seuls disposent de ce pouvoir les CA des universités bénéficiant des RCE. Et ni la différence de situation entre universités, ni aucune considération d’intérêt général ne nous paraissent justifier cette différence de traitement ».

- en ce qui concerne les comités de sélection, Rémi Keller rappelle que la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée et qu’il avait proposé début février aux sous-sections de la section du contentieux du Conseil d’État l’annulation du décret « comités de sélection » : selon lui, le dispositif posait en effet « de sérieuses questions relatives aux principes généraux du droit des concours - principes qui découlent pour la plupart du principe d’égalité - car le CA [en tant que jury de recrutement, ne reçoit pas les candidats], n’a pas accès à leur dossier et peut ne comporter aucun spécialiste de la discipline du poste à pourvoir ».

- Selon Rémi Keller, les juristes requérants invoquent, sur ce point, trois motifs d’inconstitutionnalité pour contester le dispositif de nomination des membres des comités de sélection par le CA, sur proposition du président et après avis du CS : le fait que le président de l’établissement peut ne pas être un professeur et le fait que ni le CA ni le CS ne siègent en formation restreinte aux professeurs, ce qui déroge au principe constitutionnel d’indépendance des professeurs (voir la décision du Conseil constitutionnel du 20 janvier 1984), qui donne aux professeurs « le droit à la libre expression » et de disposer d’une « représentation propre et authentique » dans les conseils.

- Pour Rémi Keller, la contestation du CA n’est pas « sérieuse » : le 2e alinéa du l’article L.952-6-1 précise que le comité de sélection est composé de personnes « d’un rang au moins égal à celui postulé par l’intéressé » et le 5e alinéa du nouvel article 9 du décret du 6 juin 1984 précise que le vote du CA, lorsqu’il désigne les membres du comité de sélection, « est émis par les seuls professeurs et personnels assimilés pour les membres du comité relevant de ce grade ». Donc « il en résulte clairement que le conseil d’administration, lorsqu’il s’agit de recruter un professeur, doit siéger en formation restreinte aux seuls professeurs et assimilés ». Mais selon lui, « la question se pose plus sérieusement en ce qui concerne le CS et le président d’université », car, explique-t-il, « la règle de la représentation propre et authentique exige que le CS soit lui aussi composé uniquement de professeurs lorsqu’il s’agit de recruter » un professeur, ce que ni la loi ni le décret ne précisent. Quant au président, aucune disposition n’impose qu’il soit professeur des universités alors qu’il « joue un rôle essentiel dans le processus de recrutement » en proposant les membres du comité de sélection.

- Rémi Keller a expliqué que les requérants contestent le choix des membres du comité de sélection « en raison de leurs compétences, en majorité parmi les spécialistes de la discipline » (voir article L.952-6-1) : ils estiment que la notion de discipline « devrait strictement être définie par référence aux différentes sections du CNU ». Rémi Keller invoque cependant « une nécessaire souplesse notamment pour les postes qui se situent à la frontière de plusieurs disciplines. […] il n’est pas certain que le principe d’indépendance puisse être utilement invoqué » en l’espèce, et donc pour lui, cette question n’est pas suffisamment «  sérieuse » pour être renvoyée au Conseil constitutionnel.

Rémi Keller propose un renvoi de l’ensemble de l’article L.952-6-1 dont les dispositions « semblent indivisibles au regard de la question posée ».

- Rémi Keller a évoqué une « ambiguïté » liée au caractère « consultatif » des comités de sélection : durant les travaux parlementaires, il ont été présentés comme se substituant aux commissions de spécialistes et donc comme jury de recrutement, mais le 3e alinéa de l’article prévoit que le comité de sélection n’émet qu’un avis, conférant ainsi au CA le rôle de jury. Selon lui, « C’est donc de l’interprétation de ce 3e alinéa que dépend le caractère purement consultatif ou non du comité de sélection […] ». Cependant, estime-t-il, « les conséquences du principe d’indépendance sont moins fortes à l’égard des instances purement consultatives de l’université » et c’est pourquoi il propose au Conseil constitutionnel de se prononcer sur ce point.

- En ce qui concerne le droit de veto du président (article L.712-2-4e, 2e alinéa), les requérants estiment qu’il est aussi contraire au principe d’indépendance des enseignants-chercheurs et non plus seulement des professeurs, car la décision du 11 janvier 1995 du Conseil constitutionnel relative au statut de la magistrature établit que « l’indépendance [des professeurs et de maîtres de conférences des universités] est garantie par un principe à valeur constitutionnelle ».

Selon Rémi Keller, « Il est vrai que la disposition contestée permet au président de prendre une décision qui comporte une ’incidence sur la carrière des enseignants’ (…). Mais l’intervention du président se situe au terme d’un processus auquel les enseignants-chercheurs ont largement participé. Et surtout, on pourrait soutenir que le président peut légitimement intervenir à ce stade, non pas comme enseignant chargé d’évaluer les mérites scientifique de ses pairs, mais en tant qu’instance dirigeante de l’établissement chargée d’émettre une appréciation de nature administrative sur le recrutement au regard des besoins de l’établissement […] Il est préférable de laisser au Conseil constitutionnel le soin de trancher cette question ».

- En ce qui concerne l’article L.954-2 qui permet au président d’attribuer des primes, les requérants évoquent le principe d’indépendance et souhaitent que cette attribution soit décidée par une instance nationale ou au moins sur la base d’un avis conforme émis par une instance nationale. Selon Rémi Keller, « La question ne nous paraît pas sérieuse : l’indépendance des enseignants-chercheurs n’implique certainement pas que les primes individuelles leur soient attribuées par une instance nationale ».

- En ce qui concerne la loi LRU, les requérants estiment qu’elle « opère une privation inconstitutionnelle de garanties légales », à quoi Rémi Keller a répondu : « Dénué de tout précision, ce moyen ne pourra pas être retenu. »

Les requêtes ont été déposées par les personnes et/ou collectifs suivants :

- Sur le décret statutaire, deux requêtes ont été déposées : l’une par le Collectif pour la défense de l’université, l’autre par Jacques Petit.

- Sur les comités de sélection, les requérants sont Jean Combacau, Pierre Delvolve, Jean du Bois de Gaudusson, Yves Gaudemet, Yves Jégouzo, et Frédéric Sudre (président de la CP-CNU).