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L’AERES évaluée, ou l’arroseur arrosé ! SNCS-HEBDO 10 n°17 du 25 octobre 2010, Patrick Monfort, secrétaire général du SNCS-FSU,

mardi 26 octobre 2010, par Martin Rossignole

Tout arrive : en avril 2010, l’AERES a fait l’objet d’une évaluation « externe » par l’European Association for Quality Assurance in Higher Education (ENQA). Le rapport d’évaluation, daté de mai 2010, n’a curieusement fait l’objet d’aucune publicité de la part de l’AERES jusqu’aux premiers jours d’octobre. Le temps sans doute pour l’Agence de mettre au point un discours rassurant, qui prend appui sur la « reconnaissance » de l’AERES par l’ENQA afin de clamer que tout va bien à bord. Mais le rapport de l’ENQA contient quelques recommandations dérangeantes pour l’AERES. L’Agence y transparaît comme ce qu’elle est depuis 2006 : une « usine à notes » cloisonnée, opaque, prestataire docile du gouvernement. Du rapport de l’ENQA, les autorités ne veulent bien sûr retenir que la note finale. La communauté scientifique, elle, n’est pas dupe.

Pour lire cet article sur le site du SNCS

L’AERES évaluée ? Rassurons-nous : le résultat est excellent. Notre Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur est « reconnue ». Reconnue... par l’ENQA, qui, comme le raconte Wikipédia, est « depuis septembre 2008 (...) présidée par Bruno Curvale, qui est aussi le directeur des affaires internationales de l’AERES et appartenait au conseil d’administration de l’ENQA depuis 2000. Il travaillait auparavant au CNE, l’ancêtre de l’AERES ». Tout cela est manifestement une affaire de famille ! Mais les familles sont souvent cruelles. Le rapport européen sur l’AERES est en ligne, apprécions-en les meilleurs passages.

À tout seigneur, tout honneur, commençons par la notation : « Le Comité a été quelque peu intrigué [‘somewhat intrigued’] par l’attribution de notes aux formations et aux unités de recherche. [...] le Comité relève que la publication d’une note, surtout lorsqu’elle est défavorable, risque de simplifier à outrance les résultats de l’évaluation de l’unité de recherche ou de la formation. Surtout, le maintien pendant quatre ans de cette note risque de qualifier injustement l’unité ou la formation ». L’ENQA estime ainsi officiellement que la notation est une pratique incongrue, insolite dans le cadre européen, et s’élève contre le maintien d’une même note pendant quatre ans. La tentative récente du ministère pour imposer un passage à cinq ans, outre son calendrier abracadabrant, allait donc complètement à rebours de la mise en garde européenne contre les dangers de la notation. La suggestion incohérente de passer à cinq ans pour éviter la « fatigue du personnel [de l’Agence] » (sic), trahit simplement l’influence sous laquelle l’ENQA a travaillé. Si l’AERES est fatiguée d’évaluer les unités de recherche, elle n’a qu’à déléguer leur évaluation au Comité national de la recherche scientifique et aux autres instances d’évaluation d’établissements ! Cette possibilité, parfaitement légale, a été signalée au comité ENQA lors de sa visite. Curieusement elle ne fait l’objet d’aucun commentaire dans le rapport final...

À propos de l’absence de procédure d’appel, l’ENQA écrit : « Quoiqu’elle en dise, l’Agence émet des conclusions qui peuvent avoir des conséquences formelles importantes dans la mesure où ces conclusions servent ensuite à la négociation des contrats entre les établissements et leurs autorités de tutelle. Elle n’a pas de véritable procédure d’appel ». La « commission des conflits » de l’AERES, qui s’illustre surtout par son inutilité (deux dossiers réévalués en quatre ans), ne fait illusion pour personne, pas même pour l’ENQA.

L’ENQA écrit encore que « L’AERES pourrait communiquer la version préliminaire de son rapport d’évaluation aux établissements pour obtenir leurs commentaires avant la rédaction de son rapport final. [...] L’AERES pourrait aussi communiquer la version finale du rapport aux experts avant qu’il soit rendu disponible sur son site Internet. » C’est là tout simplement désavouer le nouveau décret AERES de décembre 2008, qui a donné tout pouvoir au président de l’Agence pour rédiger la version finale des rapports, sans soumettre les projets de rapports aux structures évaluées et en dessaisissant les experts de la responsabilité de leur expertise [1]. On ne peut qu’être d’accord avec l’ENQA : l’évaluation est un processus collectif d’aller-retour entre les évaluateurs et les évalués. Elle ne peut pas être le verdict sans appel d’un président solitaire.

Au total le rapport de l’ENQA, malgré son ton policé, est une belle volée de bois vert contre l’autoritarisme de la présidence de l’AERES. On comprend que l’enterrement de ce texte ait déjà commencé. Sur son site web, l’AERES ne célèbre que sa « reconnaissance » par une agence européenne dont on ne sait même plus si elle est sa fille ou sa mère (à moins que ce ne soit sa sœur ou sa tante). L’AERES peut bien déplorer que ses notes soient utilisées hors de leur contexte et sans les rapports qui les accompagnent : larmes de crocodile ! L’AERES elle-même oublie les critiques qu’elle reçoit pour ne retenir de sa propre évaluation que ce qui, en l’occurrence, tient lieu de note : le feu vert de l’ENQA. Foin des détails, l’AERES peut continuer.

La bureaucratie européenne a trouvé son maître : l’AERES. Elle le dit désormais explicitement. Sur le terrain, plus que jamais, refusons de collaborer à cette parodie d’évaluation [2] .

Pour lire le rapport de l’ENQA sur l’AERES


[1Comme nous le dénoncions dans la VRS n°378 en septembre 2009, « l’AERES hors-la loi », p. 25.

[2Le mot d’ordre du SNCS est, à l’exception de la participation à un comité d’expert en tant que représentant d’une instance d’évaluation d’établissement, de refuser tout enrôlement comme expert de l’AERES, cf. « Appel aux scientifiques » du SNCS le 5 novembre 2008 et la motion sur l’AERES adoptée au 44ème congrès d’Orléans en novembre 2009