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Les consultants s’installent sur les campus - Philippe Jacqué, "Le Monde", 17 mars 2011

vendredi 18 mars 2011, par Laurence

L’autonomie des universités et le grand emprunt ont accéléré le recours aux cabinets de conseil. Ils y sont presque tous. Deloitte, Ernst &
Young, Eurogroup, Bearing Point, Kurt Salmon,
mais aussi McKinsey, Algoé ou Alcimed... En
quelques années, les cabinets de conseil ont
multiplié les interventions pour les universités.
Alors que le jury international des initiatives
d’excellence (IDEX) - appel d’offres des
investissements d’avenir doté de 7,7 milliards
d’euros - auditionne, jusqu’à vendredi 18 mars,
les dix-sept projets, rares sont ceux qui ont
été rédigés par des universitaires seuls. " Dans
le cadre des appels d’offres, le temps était
tellement contraint que nous avons dû nous faire
aider
, explique Jean-Claude Colliard, le
président de Paris-I et d’Hésam (Hautes
écoles-Sorbonne-Arts et Métiers). Nous avons
fourni les projets scientifiques, des consultants les ont mis en forme
. "
A Strasbourg, " nous avons mis en place une
cellule interne "grand emprunt" de trois
personnes
, explique Guy-René Perrin, son
responsable. Mais nous avons aussi eu recours à
un cabinet afin d’obtenir un regard extérieur neutre.
"
De la définition de stratégie à la rédaction de
projets, les prestations facturées par les
diverses sociétés oscillent de quelques dizaines
de milliers d’euros à 300 000 euros. Selon le
Bulletin officiel, Paris-Est a ainsi déboursé
215 950 euros hors-taxe (HT) pour travailler
avec Bearing Point, quand Bordeaux a investi 294
100 euros HT pour contracter avec Kurt Salmon et Erdyn.
" C’est un scandale, juge Stéphane Tassel, le
secrétaire général du Snesup-FSU [NdFD : présent
dans les murs de l’UPPA lundi soir, devant dix
pelés et un tondu] . Alors que les universités
tirent financièrement la langue, des millions
d’euros ont été utilisés pour monter ces
dossiers. Le pire, c’est que tout se fait dans l’opacité la plus totale.
"
" C’est relativement cher par rapport à nos
budgets
, convient Laurent Batsch, président de
Paris-Dauphine. Mais tout le monde a bien
compris que sans cette aide, il était impossible
de répondre aux appels d’offres, car ils
apportent des compétences que nous n’avons pas.

" A Strasbourg, " au vu des appels d’offres déjà
remportés, nous devrions rentrer dans nos frais

", assure M. Perrin, qui a dépensé près de 125 000 euros.
Le grand emprunt n’a fait qu’accélérer une
tendance lourde, constate Loïc Jouenne, associé
chez Deloitte : " Nous travaillons avec les
universités depuis 2005 et, depuis 2008, tout
s’est accéléré. Mais cela représente toujours
une faible part de notre chiffre d’affaires.
"
C’est la mise en place de la loi d’autonomie en
2007 qui a tout changé. " Les universités ont
commencé à se poser des questions d’ordre
existentiel dans un nouveau contexte
concurrentiel
, reprend M. Jouenne. Elles nous
ont demandé de les aider à formaliser leur stratégie pour les années à venir.
"
Ainsi, l’université de Picardie a-t-elle eu
recours l’an dernier à des consultants pour
coordonner la réflexion sur sa stratégie 2020.
De même, la vague actuelle de fusions
d’établissements est accompagnée par des
consultants. Deloitte a ainsi assisté les trois
universités strasbourgeoises ou les deux écoles
normales supérieures lyonnaises, Kurt Salmon, celle de Lorraine.
Avec leurs nouvelles compétences en matière de
comptabilité et de ressources humaines, les
universités revoient leur organisation et leurs
procédures. Elles doivent faire certifier chaque
année leurs comptes. Des marchés de plusieurs
centaines de milliers d’euros pour les sociétés de conseils.
" Nous sommes effectivement entrés sur ce marché
avec la certification des comptes, explique
Patrice Lefeu, associé chez Ernst & Young.
Depuis, nous avons étoffé nos services
".

" Nous
sommes intervenus sur ce nouveau marché pour
aider les universités lors du plan campus, en
2008. Depuis, nous les avons aidés à se doter de
schémas immobiliers et numériques
", ajoute
Marie-Joëlle Thénoz, associée chez Kurt Salmon.
Le tout souvent financé par la Caisse des dépôts
et consignations, qui croit à l’apport des consultants au sein des universités.
Si, au départ, il y a eu un choc des cultures,
universités et cabinets ont appris à travailler
ensemble. " Nous restons extrêmement modestes,
car les universitaires n’attendent pas que nous
réfléchissions à leur place, mais que nous les
aidions à s’organiser
", résume Mme Thénoz.
De fait, résume-t-on au ministère de
l’enseignement supérieur, " les cabinets sont
devenus des acteurs du changement. C’est pour
cela que, malgré certaines réticences, les
universitaires les acceptent
". " Si l’on
explique notre démarche aux conseils de nos
universités, cela ne suscite plus de réactions
épidermiques
", conclut Gilbert Casamatta,
président de l’université de Toulouse.

Philippe Jacqué