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Verbatim de la 11° séance du séminaire, 6 mai 2011 : « Sciences et société : un impératif démocratique ? »

vendredi 3 juin 2011, par Mariannick

1 - Michel Barthélémy. Présentation « Sciences et société : un impératif démocratique ? »

La crise environnementale que nous vivons a changé de statut. Elle s’est développée depuis au moins quelques dizaines d’années à bas bruit, ne diffusant pas au-delà de cercles restreints d’initiés. Depuis peu de temps, finalement, elle a fini par éclater au grand jour. Cette crise est ainsi devenue l’objet d’une reconnaissance publique à l’échelle mondiale, de la part des gouvernants comme des citoyens, et un objet de recherche de la part des scientifiques de nombreuses disciplines. Nombre d’initiatives, gouvernementales et d’ONG ont été prises débouchant sur la mise en œuvre de mesures pour tenter d’y faire face. Celles-ci se heurtent notamment à de puissants intérêts privés coalisés, parfois efficacement relayés par les politiques, tenus par les échéances électorales. Le constat s’est fait jour que les régimes démocratiques représentatifs – fondés sur la délégation du pouvoir souverain de la Nation à ses représentants – n’étaient peut-être pas aptes, en l’état, à faire face aux défis que les contraintes nouvelles et sérieuses générées par les activités humaines posaient, avec une insistance croissante, à la planète et à ses habitants[1]. Il est apparu que les liens étroits et par ailleurs nécessaires entre la sphère du pouvoir politique et les intérêts économiques pouvaient être contreproductifs si, d’une part, ils n’étaient pas contrebalancés par une régulation politique de l’activité économique associant les parties prenantes et parmi elles les citoyens et si, d’autre part, cette régulation, par les choix qu’elle faisait, n’avait pas pour vocation d’assurer le bien commun. Ce qui passe justement par la mise en perspective et en balance, d’un côté, de la poursuite des intérêts privés, avec leur souci d’atteinte d’objectifs (ultimement financiers) à court terme, et de l’autre le temps long de la sauvegarde des intérêts vitaux des générations futures. Car, en effet, le risque est réel que les initiatives et décisions de la sphère économique, en l’absence d’un dispositif d’examen contradictoire et au cas par cas de leur impact et de leur légitimité au regard de l’intérêt général, puissent durablement obérer des intérêts fondamentaux.

Or prendre pour horizon pertinent de l’examen des politiques et de l’action publiques l’état du monde qui accueillera les générations à venir, conduit à prendre en compte les conditions de vie, c’est à dire également les modes de production et de consommation des générations présentes et leur incidence, non voulue mais cependant durable et systémique sur l’environnement. La place qui est faite à la recherche et innovation dans nos sociétés joue évidemment un rôle essentiel dans l’ensemble de ces pratiques d’exploitation accélérée des ressources naturelles. Elle peut les accompagner servilement, comme elle peut inversement alerter sur les risques qu’un usage irraisonné et mercantile de ces moyens de domination de la nature et de l’Homme véhiculés par la technoscience peut comporter pour la sécurité et le bien-être de tous.

La prise de conscience de l’importance de l’empreinte des activités humaines sur la biosphère appelle ainsi à penser et à organiser concrètement les conditions d’une solidarité transgénérationnelle qui influe sur et s’exprime dans les actes de la vie quotidienne et les pratiques institutionnelles. Ce souci, bien compris, des autres et de soi-même ne va pas sans reconsidération de la manière dont les affaires de la société et du monde sont « gérées » par ceux qui en ont la charge, l’autorité et la compétence. Ces dernières qualités – faut-il s’en plaindre ? – sont de moins en moins accordées par avance et une fois pour toutes sur le mode d’un blanc-seing. Dans notre histoire immédiate, nous avons accumulé suffisamment d’exemples de situations, tant dans le domaine de l’économie et la finance, que de celui de la santé, ou encore du nucléaire, pour nous convaincre du fait que l’intérêt général ne naît pas, comme mécaniquement en quelque sorte, de l’ensemble des intérêts particuliers livrés à leurs seuls appétits. C’est pourquoi, à la suite de ces débordements et des craintes que la dérégulation fait naître, l’idée d’une régulation politique locale, nationale ou/et internationale, selon la nature des enjeux, s’impose peu à peu dans diverses sociétés et parmi l’opinion publique.

Du reste, c’est bien cette même préoccupation qui est déterminante dans la reconnaissance du principe de précaution. En effet, Le principe de précaution a été reconnu en France comme un principe constitutionnel en tant que composante de la charte de l’environnement en 2005, et associé au principe de participation. Celui-ci reconnaît à tout citoyen le droit de prendre part à l’élaboration des décisions en matière d’aménagement et d’environnement notamment. Deux articles de cette charte, qui en comptent dix, méritent d’être cités :

L’article 5 stipule que « Lorsque la réalisation d’un dommage, bien qu’incertaine en l’état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l’environnement, les autorités publiques veillent, par l’application du principe de précaution et dans leurs domaines d’attributions, à la mise en œuvre de procédures d’évaluation des risques et à l’adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage. (…) Dotés de ces nouveaux droits, des citoyens pourront saisir les tribunaux administratifs pour contester des décisions prises par l’Etat ou par des collectivités territoriales, dès lors qu’ils estimeront qu’il y a risque d’un possible dommage pour l’environnement. »

L’article 7, quant à lui, consacre le droit d’accès des citoyens à l’information et leur droit de participation à la décision : « Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement. »[2].

Cette ouverture du processus d’expertise à la société est bien la question que nos invités, Jean-Michel Fourniau et Lionel Larqué vont aborder tour à tour dans le cadre de cette séance exceptionnelle du séminaire Politiques des Sciences à Dijon, qui se tient à l’occasion du contre-G8 de l’éducation et de la recherche. J’en profite pour saluer ses organisateurs pour le travail qu’ils ont fait et les remercier de nous avoir invités à prendre part à ces journées d’étude, situées à la croisée du politique et du scientifique.

Je commencerai par une rapide présentation des intervenants : Jean-Michel Fourniau est sociologue, directeur de recherche au Cnrs. Il est membre du département économie et sociologie des transports de l’Institut français des sciences et des technologies des transports, de l’aménagement et des réseaux. Mais ce n’est pas tout ; il est également membre du Groupe de sociologie pragmatique et réflexive de l’École des hautes études en sciences sociales (GSPR, EHESS). Et surtout, et cela nous intéresse plus particulièrement ici, il a créé et dirige actuellement le Groupement d’intérêt scientifique « Participation du public, décision, démocratie participative », qui va tenir un colloque international sur le thème : « Le tournant délibératif : Bilan, critiques, perspectives », les 16 et 17 juin prochains à l’amphithéâtre de l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales à Paris[3].
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2- Jean-Michel Fourniau : «  Les dispositifs de participation des citoyens aux décisions scientifiques et techniques »

Mon exposé traite de la question des dispositifs de participation des citoyens aux décisions scientifiques et techniques. Effectivement, y compris dans le domaine des sciences, même si s’expriment des résistances assez fortes à son sujet, cette question d’un impératif participatif s’est largement imposée depuis quelques années.

Par conséquent, à partir de plusieurs travaux de recherche, je voudrais parcourir les formes que cela a pris, poser des éléments de description. Ce choix d’un angle d’approche plus descriptif que théorique tient au fait que je n’ai pas encore pu prendre le temps d’écrire un papier sur ce sujet. Car, pour une bonne part, sur cette question-là, ce sont des travaux que l’on a démarrés il n’y a pas longtemps et qui n’en sont pas tout à fait au stade de l’écriture.

Pour poser la réflexion on peut partir d’un double constat : d’une part un constat, qui est valable aussi dans le domaine de l’aménagement, qui est celui de la grande variété des formes de participation, qui indique qu’il y a un mouvement réel vers ce que p.e. Dominique Pestre, dans un article à paraître, appelle un « ordre participatif » dans le domaine des sciences et des techniques, que l’on pourrait appeler aussi une mise en participation de la science. Il y a donc un mouvement réel, mais qui prend des formes extrêmement variées. Cette mise en participation transforme assez fortement les conditions de la résistance à la progression des technosciences perçues comme une des formes de la globalisation néolibérale. Et, pour présenter ce thème, je m’appuierai sur les réflexions auxquelles donne lieu le développement des nanosciences depuis une dizaine d’années. Cette participation, puisqu’elle accompagne depuis l’origine le mouvement des technosciences, soulève un ensemble de questions dont celle de la forme de la participation, avec de manière récurrente celle qui s’adresse à la fois au monde associatif mais aussi d’une manière plus spécifique aux sciences sociales : est-ce que les sciences sociales ne sont pas aujourd’hui complètement « embarquées » (embedded) dans le mouvement des technosciences ? Et est-ce qu’elles perdraient toute dimension critique du fait de ce processus d’« enrôlement » direct qui les touche dans le programme scientifique des nanosciences et des nanotechnologies comme est affectée la participation des citoyens ?

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3- Lionel Larqué «  Aux origines du processus de mondialisation néolibérale — la transformation de la nature de la connaissance »

Les propos de Jean-Michel Fourniau me donnent envie de vous lire deux extraits d’un livre de Matthieu Calame, directeur de la fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’Homme. Cet ouvrage s’appelle Lettre ouverte aux scientistes [1] et aborde des thématiques soulevées dans l’exposé de Jean-Michel. Je vais vous lire des passages abordant le rapport qu’entretiennent des chercheurs avec des acteurs du monde économique, politique et de la société dite civile – sachant qu’au début de l’ouvrage, l’auteur distingue les scientifiques des scientistes. Voici l’extrait :

« Lorsque les scientistes présentent la recherche, ils prétendent simultanément que la qualité et les résultats de leur recherche ne sont pas affectés par les liens qu’ils nouent avec l’État, les industries ou le reste de la société, et dans le même temps que cette recherche apportera des remèdes à quasiment tous les problèmes de l’humanité. Ce faisant, ils réactivent l’un des plus vieux topos de l’imaginaire mystique européen : la mère vierge qui enfante un Sauveur. Or le savoir et la technologie ainsi produits doivent autant à la mère, la recherche, qu’au père, les acteurs sociaux, mais cette dernière filiation n’est pas assumée, elle est impure et, dans la mesure du possible, on l’escamote. Dans le grand récit du développement des sciences les dimensions sociales des recherches et des découvertes sont gommées. Que Pasteur ait travaillé activement dans un contexte d’expansion coloniale où la conservation des aliments était un enjeu stratégique des déplacements maritimes, que la trigonométrie doive beaucoup aux développements de l’artillerie, que l’astronomie soit née de l’astrologie et du souci de connaître le destin inscrit dans les astres, que la chimie doive aussi à la pierre philosophale et à ses promesses sonnantes et trébuchantes ; autant de contextes qui disparaissent de la légende dorée pour développer une conception parthénogénétique de la science qui s’engendrerait elle-même de génération en génération, la science ne devrait donc rien au monde mais elle lui apporterait tout. La science sauve ».

Voilà le regard sur le rapport moderne des sciences au social.

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et le verbatim du débat


[1Mathieu Calame, Lettre ouverte aux scientistes : Alternatives démocratiques à une idéologie cléricale, Charles Léopold Mayer éditions, 2011