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Fac : le dogme de la gratuité se fissure - Véronique Soulé, Libération, 10 octobre 2011

mardi 11 octobre 2011, par Elie

Les partisans d’une hausse radicale des droits d’inscription montent en puissance.

Pour lire cet article sur le site de Libération.

Un tabou est en train de sauter : celui de la gratuité ou quasi-gratuité des études à l’université en France. Il ne s’agit encore que d’une amorce de débat. Mais le fait qu’il ait été lancé au sein même de la gauche donne la mesure de l’évolution des mentalités et annonce de rudes affrontements autour d’un principe aussi sacro-saint que la non-sélection à l’entrée de l’université. Le think tank Terra Nova a mis les pieds dans le plat le premier. Fin août, dans le cadre de ses contributions aux débats présidentiels, il publie un rapport sur l’enseignement supérieur. Parmi 42 propositions, ses auteurs suggèrent, en cinq ans, de tripler les droits d’inscription en licence et de les quadrupler en master. Ils y voient deux avantages (lire ci-dessous) : une source de financement supplémentaire pour les universités et une plus grande implication des étudiants, qui seraient moins absentéistes et plus exigeants vis-à-vis de leurs formations. D’après eux, la gratuité creuse en fait les inégalités.

« Grands piliers ». Dans la foulée, en septembre, la Conférence des présidents d’université (CPU), qui a constitué un groupe de travail sur la question, annonce qu’il faut revoir « le modèle économique de l’enseignement supérieur ». D’après elle, il n’est pas à la hauteur des enjeux : 53% d’une classe d’âge en France accède au supérieur, en dessous de la moyenne de l’OCDE. De plus, le pays est en retard quant aux aides sociales étudiantes - 7% du budget du supérieur y est consacré, contre 11,5% dans l’OCDE -, et la démocratisation du supérieur marque le pas. Sans se prononcer, la CPU indique qu’il faut faire bouger l’équilibre entre les « grands piliers du modèle » - droits d’inscription, avantages fiscaux, aides sociales… Le groupe de travail étudie pour cela les différents modèles dans le monde, ceux réclamant des frais plus élevés et aidant plus les étudiants, comme ceux où l’on fait rembourser leurs formations aux diplômés après leur entrée dans la vie active.

Tir de barrage. En septembre, la Fage, second syndicat étudiant, a aussi consacré son congrès au financement du supérieur. « La France va-t-elle continuer à être une exception ? », lance son président en introduction. Il a suffi de ces premiers signaux pour déclencher un tir de barrage, montrant combien la question est sensible mais aussi comme la gauche est divisée. « Terra Nova propose de trouver dans la poche des familles les financements dont les universités ne disposent pas », s’est insurgé Emmanuel Zemmour, le leader de l’Unef, premier syndicat étudiant ; pour lui, la solution est de « mieux financer l’enseignement supérieur, un bien public ».

Le secrétaire national du PS à l’enseignement supérieur, Bertrand Monthubert, qui a rejoint Arnaud Montebourg, clame aussi son hostilité : « Il ne faut surtout pas augmenter les frais d’inscription alors que la priorité des priorités doit être de relancer l’entrée des bacheliers dans les études supérieures. » Aucun candidat à la primaire PS n’a repris la proposition. Mais le débat ne fait que commencer .

« Il faut augmenter aussi les aides »

Interview - Louis Vogel, président de la Conférence des présidents d’université :

Président de la CPU (Conférence des présidents d’université) et de Paris-II-Panthéon-Assas, Louis Vogel explique à Libération pourquoi il est urgent de débattre du financement des universités.

Dans ce débat, tout est-il ouvert, y compris la participation financière des familles ?

Le débat est lancé. La situation de l’enseignement supérieur et de la recherche en France n’est toujours pas au niveau de ce qu’elle devrait être. L’Etat ne contribue pas assez. Or, les universités ont besoin d’augmenter leurs dépenses de fonctionnement. Si l’Etat ne peut faire face, peut-être y a-t-il des ressources ailleurs, auprès des entreprises, des étudiants, des familles ? Il faut un débat public sur la diversification des financements.

Toutefois, on ne doit pas prendre cette question isolément hors de son contexte. En France, si les droits d’inscription sont très faibles, les aides sociales le sont aussi - seuls 25% des étudiants sont aidés. Dès lors, on peut se demander si l’on ne pourrait pas augmenter les droits mais aussi les aides. Parmi les avantages, cela pourrait motiver les étudiants. De plus, la qualité du service proposé par les universités devrait s’améliorer - offre de logements, meilleur encadrement, etc. La gouvernance de l’université serait aussi plus responsabilisée, avec une stratégie sur ce qu’elle veut offrir aux étudiants.

La question des frais d’inscription n’est plus taboue ?

Elle ne l’est plus mais elle ne doit surtout pas être posée schématiquement - comme « Vous êtes pour ou contre les droits d’inscription ? » La question doit être plutôt : voulez-vous changer complètement de politique ? Au lieu du système actuel, on pourrait recourir à d’autres ressources, donner davantage d’argent aux étudiants pour un service différent, procéder à une réforme fiscale avec une modification du crédit impôt-recherche [réduction d’impôt quand les entreprises investissent dans la recherche, ndlr] Il s’agit là d’un vrai choix politique. C’est donc une question qu’il faut poser à tous les citoyens.

La CPU va-t-elle prendre position ?

En février, nous aurons un colloque où la question sera débattue. Je ne peux préjuger des débats et jusqu’où nous irons. Nous parlerons des avantages et des inconvénients de tel et tel système, de ce que coûte chacun. Au moins, tout sera mis sur la table. Et la CPU aura eu le mérite de montrer que la question est plus compliquée qu’elle paraît.

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« Un financement actuel inefficace »

Interview - Yves Lichtenberger, universitaire et cosignataire d’un rapport de Terra Nova :

Yves Lichtenberger a signé avec Alexandre Aïdara le rapport de Terra Nova sur l’enseignement supérieur et la recherche. Professeur de sociologie à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée qu’il a présidée de 2002 à 2007, il revient sur ses propositions.

Proche du PS, vous proposez une hausse des droits d’inscription à l’université, quitte à heurter une bonne partie de la gauche.

Nous avons hésité à ne pas en parler. Nous savions que ce n’est pas politiquement correct et que cela allait susciter des réactions caricaturales. Or, ce n’est que l’une des 42 propositions que nous faisons. Mais il est important de ne pas fuir le débat. Si l’on demande une contribution à la nation, aux collectivités territoriales, aux entreprises, on ne peut pas ne pas poser la question de celle des étudiants. Mais il faut mettre cette question à sa place : il ne s’agit pas de combler le déficit de financement des universités avec la contribution des familles. Il s’agit plutôt de marquer ainsi un nouveau contrat entre les universités et les étudiants, et de responsabiliser davantage ces derniers.

De quelles réactions caricaturales parlez-vous ?

Après la publication du rapport, on a entendu des commentaires du genre : « Voilà la gauche qui veut maintenant faire payer les plus pauvres »… Or, si nous proposons de tripler les droits d’inscription en licence et de quadrupler ceux en master, nous écrivons clairement que les boursiers en sont exonérés.

Pourquoi faut-il changer le mode de financement actuel ?

Il est inefficace et inéquitable. Inefficace car, alors que le pays a besoin qu’une plus grande partie d’une génération ait un diplôme du supérieur, nous n’y arrivons pas. Ce nombre n’augmente pas, et ce malgré la quasi-gratuité des études. Ensuite, il n’est pas équitable socialement.

En effet, d’un côté, on aide les étudiants les plus défavorisés en leur allouant des bourses. Et de l’autre côté, on aide les plus favorisés avec la demi-part fiscale supplémentaire dont leurs parents bénéficient [et qui diminue leurs impôts en proportion de leurs revenus, ndlr]. Or, l’Etat met environ 1 milliard d’euros dans l’un et l’autre dispositif, ce qui ne fait pas progresser l’équité sociale.

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