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Réponse à Alain Renaut
Texte proposé pour publication au journal "Le Monde" et refusé (5 décembre)
mercredi 5 décembre 2007, par
À propos de la loi sur l’« autonomie » des universités
Dans une tribune parue la semaine dernière (Le Monde du 16 novembre 2007), Alain Renaut s’interroge : « d’où vient qu’en France l’idée de redonner à un secteur de la société une autonomie de fonctionnement par rapport au pouvoir de l’État peut apparaître comme menacer les valeurs démocratiques et, au premier rang d’entre elles, celle de la liberté ? » Voici une réponse : sous couleur d’autonomie envers l’État, la loi organise en fait l’assujettissement des communautés universitaires à leurs présidents. Elle aggrave par là les dérives claniques et clientélistes dont souffre l’université française.
Deux exemples de première importance, trop souvent passés sous silence : le recrutement des enseignants-chercheurs et l’affaiblissement considérable de la gestion collégiale des universités.
La Conférence Permanente du Comité National des Universités s’est, dans son avis du 26 juin 2007, fermement élevée contre le danger que la nouvelle loi LRU fait courir au recrutement des enseignants-chercheurs. Celui-ci, décentralisé depuis fort longtemps, relevait jusqu’à présent d’une commission de spécialistes de la discipline concernée, appartenant pour environ 60% d’entre eux à l’université et élus par leurs collègues de la même discipline selon une procédure réglée, et, pour le reste, à d’autres universités. À ces « commissions de spécialistes », la loi LRU (article 25) substitue un « comité de sélection » dont les membres, sans autre contrainte que d’être choisis « en majorité parmi les spécialistes en fonction de leur compétence », sont proposés par le président de l’université et lui seul. Le président se voit de surcroît accorder le pouvoir de refuser le candidat choisi par ce « comité de sélection » (articles 6 et 25). La même procédure vaut pour le recrutement, maintenant autorisé par la loi, des enseignants-chercheurs contractuels. Dans laquelle des grandes démocraties invoquées par Alain Renaut le recrutement d’un enseignant-chercheur est-il ainsi concentré entre les mains d’une seule personne qui, sans avoir de compétence scientifique dans la discipline concernée, choisira les membres de ce comité de sélection et pourra révoquer leur avis ? Comment ce dispositif qui légalise les dérives souvent observées pourrait-il ne pas les aggraver ?
Les commissions de spécialistes souffrent de bien des maux. Il faut y remédier et non les tuer. Y remédier, c’est renforcer le pouvoir régulateur de la loi : à l’État de donner aux commissions le temps de l’objectivité en fixant des délais qui permettent d’examiner convenablement les dossiers, une durée d’entretien avec les candidats qui ne soit pas réduite à dix minutes et un calendrier qui évite au candidat d’être réputé présent à la même heure à Toulouse et à Strasbourg. C’est peut-être revoir le mode de désignation des membres extérieurs. C’est aussi sans doute donner des recours réels contre les détournements que l’on constate parfois.
Quant à l’organisation plus générale des pouvoirs dans l’université, est-ce œuvrer en faveur de la démocratie et de la liberté que de concentrer le pouvoir entre les mains de quelques-uns, en supprimant le pouvoir de proposition dont disposaient le Conseil Scientifique et le Conseil des Études et de la Vie Universitaire, en les dépossédant du pouvoir d’élire le président pour le réserver au seul Conseil d’Administration, dont le nombre de membres se voit en outre drastiquement réduit au moment même où, en raison de regroupements, certaines universités doublent ou triplent leur taille ? Est-il raisonnable d’accroître les pouvoirs d’un président d’université qui, puisqu’il est lui-même spécialiste de telle ou telle discipline, membre de telle ou telle équipe de recherche, est sur tant de points exposé à un conflit d’intérêts ?
Nous souhaitons, contrairement aux dispositions de la loi LRU, le renforcement du pouvoir et de la représentativité (dont l’État doit se porter garant) des instances collectives de décision que sont les conseils d’université : tel est le seul rempart efficace à opposer au clientélisme et au localisme qui affectent trop souvent aujourd’hui les universités françaises.
Voilà quelques-unes des raisons (il en est d’autres) pour lesquelles cette réforme fait davantage que menacer les valeurs démocratiques dans l’université : elle les détruit. Et c’est pourquoi nous demandons que soit organisé un Grenelle de l’enseignement supérieur qui, dans un délai d’un an au maximum, permettrait de consulter tous les acteurs de la vie universitaire et constituerait ainsi un préalable à la réforme de l’Université que nous appelons tous de nos vœux.
Bruno-Nassim Aboudrar (professeur, Université Paris III-Sorbonne nouvelle) ; Mathieu Brunet (maître de conférences, Université d’Aix-Marseille I) ; Marie-Pierre Gaviano (maître de conférences, Université de Franche-Comté) ; Laurence Giavarini (maître de conférences, Université de Bourgogne) ; Marie-Dominique Popelard, (professeur, Université de Paris III-Sorbonne nouvelle).