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Quelle morale, et pour qui ? L’éternel retour de la morale à l’école par Ruwen Ogien, La Vie des Idées, 6 décembre 2011

mercredi 7 décembre 2011, par Sylvie

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Que vise le retour de la morale à l’école, prôné par le gouvernement ? Selon Ruwen Ogien, ce n’est qu’un nouvel épisode de la guerre intellectuelle menée contre les pauvres, qui vise à les faire passer pour responsables de leur situation de plus en plus précaire.

Alors que [1] les congés scolaires de l’été 2011 n’étaient pas encore achevés, le Ministre de l’éducation, Luc Chatel, s’était déjà remis au travail pour annoncer en grande pompe le retour de l’instruction morale à l’école élémentaire. [2] La mesure, présentée comme une innovation pédagogique importante, qui restaurait enfin un programme abusivement supprimé il y a près de quarante ans à cause d’une supposée dérive post soixante-huitarde [3], n’avait pourtant rien d’original. Trois ans auparavant déjà, en 2008, Xavier Darcos, alors en charge de l’Éducation dans le premier gouvernement Fillon, avait remplacé l’éducation civique par l’instruction civique et morale. [4]

L’utilité d’ajouter une mesure à peu près identique à celle qui existait déjà (et qui ne sera probablement pas plus appliquée que cette dernière) n’étant pas évidente, il était légitime de se demander ce qu’elle visait vraiment. Les syndicats dénoncèrent une manœuvre « destinée à masquer les véritables problèmes de l’école, que ce soit les suppressions de postes ou bien le manque de moyens mis en œuvre dans les établissements pour aider les élèves en difficulté » et une opération de communication destinée à flatter un électorat conservateur toujours demandeur d’ordre moral. [5]

Il est difficile de nier que ce fût l’une des motivations politiques du ministère, qui devait faire face à la montée de l’ « indignation » des écoles publiques et privées, en raison de la paupérisation organisée de ces institutions. Mais, au delà, le retour de la morale à l’école est, à mon avis, un nouvel épisode de la guerre intellectuelle menée contre les pauvres, qui vise à les faire passer pour responsables de leur situation de plus en plus précaire.

La morale à l’école est-elle compatible avec la neutralité éthique de l’État ?

La question de savoir pourquoi les cours de morale reviennent à l’école se pose avec d’autant plus d’acuité qu’il existe, à mon avis, de bonnes raisons philosophiques de les laisser en dehors des salles de classe. Quelles sont-elles ?

Dans une démocratie laïque et pluraliste, comme la France prétend l’être, l’école peut dispenser un enseignement civique, un apprentissage des règles de la coexistence pacifique entre citoyens aux croyances différentes. Mais elle doit rester neutre, en principe, par rapport au contenu de ces croyances, qu’elles soient relatives aux idées de ce qu’est une vie bonne, ou qu’elles soient religieuses.

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[1Merci à Florent Guénard, Ariel Suhamy, Pascal Severac, Valérie Gateau et Albert Ogien pour leurs excellentes remarques sur des versions précédentes de ce texte.

[2Circulaire n° 2011-131 du 25 août 2011 relative à l’instruction morale à l’école primaire.

[3« Dans la France post-68, la morale est devenue un gros mot à l’école », Entretien avec Claude Lelièvre, par Marie Piquemal, Libération, http://www.liberation.fr/societe/01... .

[4Ibid.

[5« Polémique autour du retour de la morale à l’école », France 24, 2 septembre 2011.