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Le chantier de Vinci à Paris-7 : c’est l’université qui garantit les risques !, Jade Lindgaard, Médiapart, 6 décembre 2011

mercredi 7 décembre 2011

A lire sur le site de Médiapart

Lire aussi le premier volet de l’enquête

Dans les petits arrangements entre amis du groupe Vinci, qui construisent les quatre nouveaux bâtiments de Paris-7 (voir le premier volet de notre enquête), l’université, pourtant première concernée, brille par son absence. Pourquoi le prestigieux établissement accepte-t-il qu’un bâtiment n’ait pas la flexibilité requise dans le contrat de départ ? Que les organismes de contrôle du chantier soient court-circuités ? Que les sociétés constructrices s’entendent officieusement pour construire à leur guise ?

« L’université n’a pas à s’immiscer dans le conflit entre le groupement et l’architecte », se défend Vincent Berger, le président de Paris-7 lors d’un conseil d’administration de septembre 2010, interrogé sur le conflit qui oppose l’agence In/On à son maître d’ouvrage, le groupement Udicité. «  Elle demande seulement que les spécifications du cahier des charges soient respectées et elles le seront », poursuit-il.

Au sein de la faculté, c’est François Montarras, vice-président chargé des projets et aménagements immobiliers, qui suit le chantier. Contacté par Mediapart, il n’a pas répondu à notre demande. Mais l’année dernière, il expliquait que «  les gens » qui s’inquiètent de la solidité des immeubles en construction « n’y connaissent rien en bâtiment ». Il ajoutait : « Je suis aussi architecte, je m’y connais en bâtiment, il n’y a aucun problème. »

Membre de l’administration de l’université depuis plus de vingt ans, François Montarras y a peu à peu gravi les échelons, devenant chargé de mission pour les problèmes d’aménagement de Paris-7 en 1996, puis vice-président. Il a obtenu son diplôme d’architecte il y a trois ans. En 2009, il a reçu le prix de « l’Homme déterminé » du club PPP du Fideppp, le fonds d’investissement et du développement des partenariats publics-privés (PPP) du groupe Caisse d’épargne (actionnaire à 40% du groupement qui construit les nouveaux édifices de Paris-7).

Vincent Berger quant à lui, physicien de formation, ancien de Thalès, s’est fait connaître pendant le mouvement de 2009 d’opposition à la loi LRU par les critiques qu’il avait formulées sur la loi Pécresse. Il a par ailleurs fait partie de l’éphémère équipe de campagne présidentielle de Martine Aubry.

Malgré la position de retrait affichée par Vincent Berger, sa faculté n’est en réalité pas restée complètement passive face aux complications de son chantier. Quand des recours contentieux ont été formés contre les permis de construire de deux bâtiments – pour notamment défaut d’engagement de solidité et non-respect des règles de sécurité incendie (voir ici) –, elle en a même accepté les risques financiers.

Le carnet de chèques de l’université pour pallier le défaut des banques

Le 21 septembre 2010, le conseil d’administration a voté un incroyable avenant au contrat de partenariat public-privé : l’université s’engage à prendre en charge à partir de 500.000 euros les frais de construction et de démolition en cas d’annulation des permis. Officiellement, explique l’introduction de l’avenant, il s’agit d’«  anticiper les éventuels recours et d’en limiter les conséquences financières » en « améliorant la position de l’université vis-à-vis du partenaire Udicité ».

Mais en réalité, le contrat stipule que Paris-7 « supporte les surcoûts d’adaptation au-delà d’un plafond de 500.000 euros » ainsi que toute une série de dépenses supplémentaires : surcoûts de gestion, frais financiers intercalaires, coûts de recalage des instruments de couverture... Aucun plafond de dépenses n’est précisé.

Si bien qu’en cas de dérapages de coûts, juridiquement, aucun garde-fou ne pourrait protéger la faculté ! Et sans doute pour éviter que le groupement n’ait à quémander son dû, une clause temporelle s’ajoute, par laquelle l’établissement s’engage à s’acquitter des sommes dues « dans quinze jours maximum ». Sollicité à plusieurs reprises par Mediapart, Vincent Berger n’a pas répondu à nos demandes.

Mais pourquoi prendre un tel risque financier en période d’économie budgétaire ? Et alors que si les permis sont annulés, la responsabilité en reviendrait normalement à leurs concepteurs, les architectes et le promoteur, la filiale de Vinci, Sogam. Lors du conseil d’administration, Olivier Wickers, président de l’agence nationale des services à la personne, et membre de l’instance en tant que «  personnalité extérieure », « s’inquiète des risques financiers que l’avenant fait peser sur l’université en cas de victoire du recours » (voir ici le PV du CA).

Mais l’avocat de l’université, Jérôme Pentecoste, explique au conseil d’administration que « les banques, qui ne prêtent jamais sans sûreté, ont ici financé le projet avec la seule garantie des loyers futurs pour la durée du contrat ». Or, poursuit-il, « ce type de garantie leur apparaît plus incertain qu’un droit de propriété sur les immeubles ». Dans un partenariat public-privé, la propriété des lieux revient à la puissance publique contractante et donc, en ce cas, à l’université. « Cette frilosité des banques peut les conduire, dans l’hypothèse d’un recours, à interrompre le financement, d’où l’arrêt des travaux le temps que l’affaire soit jugée », ajoute-t-il.

L’argument est clair : pour pallier l’éventuel défaut des banques – Baclays Private Equity et Fideppp, le fonds des Caisses d’épargne spécialisé dans les PPP, actionnaires majoritaires d’Udicité –, c’est à l’université de préparer son carnet de chèques.

«  Je suis la seule élue d’opposition  »

Un membre du conseil d’administration, joint par Mediapart, explique faire confiance au service juridique de l’université qui a assuré à l’assemblée qu’il n’y avait pas de risque. Et il considère finalement qu’en cas de problème, l’établissement pourra toujours compter sur l’Etat (car « on n’est pas une entreprise »). Au bout du compte, le conseil d’administration a donc autorisé l’avenant par 21 voix contre un refus. Celui de Josiane Pinto, seule élue « d’opposition » pour les enseignants-chercheurs – tous les autres proviennent de la liste présidentielle.

« Vincent Berger nous a demandé de voter l’avenant alors qu’il n’était pas à l’ordre du jour : il l’a posé devant nous et, dans la minute, il fallait le voter », se justifie l’élue syndicale (Snesup, SNCS, CGT, Sud). De son côté, l’association Diderot transparence, présidée par le mathématicien Michel Parigot, déjà auteur des recours sur les permis de construire, attaque l’avenant devant le tribunal administratif, « les conditions préalables à la légalité de la délibération n’ayant pas été respectées ».

Si le conseil d’administration de Paris-7 se montre aussi docile vis-à-vis de sa présidence, c’est que la plupart de ses membres doivent leur présence à Vincent Berger. C’est l’un des effets de la loi LRU, dite d’autonomie des universités, votée en 2007 : désormais, en vertu d’une prime majoritaire, la moitié des sièges du CA à pourvoir est attribuée à la liste majoritaire, c’est-à-dire celle du président. De plus, la communauté universitaire y est moins représentée, au profit de personnalités extérieures choisies par le président (comme Cécile Etrillard, directrice régionale ajointe d’EDF en Ile-de-France, et Henri de la Rosière, président du tribunal de grande instance d’Evreux).

« Je suis la seule élue d’opposition du collège enseignants-chercheurs », résume Josiane Pinto, qui se retrouve ainsi à devoir porter la voix de plusieurs organisations syndicales. Pas idéal pour peser en cas de désaccord. Or litige il y a eu à Paris-7 au sujet du PPP, et non des moindres. Il concerne l’accès au contrat signé entre la faculté et Udicité. Vincent Berger n’a pas voulu laisser les membres du Conseil consulter le texte. Aussi incroyable que cela puisse paraître, le CA de Diderot a voté le partenariat sans avoir le droit de lire le contrat !

La confidentialité du contrat de PPP se justifie au nom de la protection du « secret industriel » de Vinci, a expliqué Vincent Berger à une délégation de personnels et d’étudiants qu’il recevait en mars 2011. « Pas sur la composition du béton mais sur les "astuces financières" qu’ils emploient », précise le compte-rendu de la rencontre, diffusé dans les UFR de mathématiques et d’informatique.

Puisque c’est l’université qui a signé le contrat, et non l’Etat, une région ou une ville, il n’est en effet pas obligatoire de le rendre public, explique un juriste contacté par Mediapart.

«  Tu pourras le lire des yeux  »

Après avoir demandé un exemplaire du contrat à plusieurs reprises, Josiane Pinto, la représentante syndicale a finalement eu cette réponse de son président : « Je ne peux pas le rendre public : si tu veux voir ce contrat, tu viendras dans mon bureau où tu pourras le parcourir des yeux mais sans rien copier." Mais, explique-t-elle, « je n’y suis pas allée. Ce sont des enjeux juridiques complexes que je ne connais pas et qui auraient nécessité un examen collectif ».

L’histoire du PPP de Vinci à l’université Paris-Diderot ne raconte pas seulement les couacs et dérives d’un chantier de BTP qui cherche à aller plus vite que la musique. C’est aussi une photographie de l’université après la loi LRU. Qu’y découvre-t-on ? Un président tout-puissant face à une représentation syndicale réduite à la portion congrue. Des universitaires désormais dotés de compétences budgétaires et financières sans avoir ni le temps, ni l’envie, ni toujours les compétences pour les exercer.

Signés par des facultés déboussolées, les partenariats publics-privés ouvrent un boulevard aux professionnels de la construction et de la banque. Eux savent et peuvent faire valoir leurs intérêts. Dans ce contexte, le rapport de force semble structurellement tourner en leur faveur.

Et qu’en dit l’ancienne ministre de l’enseignement supérieur, Valérie Pécresse, aujourd’hui chargée du budget de l’Etat ? Sera-t-elle prête à dépenser des centaines de milliers d’euros, voire des millions, si les permis de construire du chantier de Paris-7 sont annulés ? Au fil des mois, plusieurs alertes ont été transmises au cabinet de Valérie Pécresse. Implicitement formulées par certains, tout à fait officiellement par d’autres, dont Yann Gasnier, l’avocat de l’agence In/On, qui a écrit en janvier 2011 à celle qui était encore ministre des universités. A part un échange sur un point de détail, sur le fond, il n’a reçu... aucune réponse.