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Intervention de V.Peillon au colloque « Jeunes chercheurs : un atout majeur face aux défis de demain », organisé par la CJC, l’ANDès et l’association JeCCo (Institut Pasteur, Paris), 17 février

mardi 21 février 2012

Mesdames, messieurs,

Merci de votre invitation.

Je suis heureux de venir parler aujourd’hui devant vous.

C’est volontairement que j’ai choisi, pour parler de l’enseignement supérieur et de la recherche, pour préciser certains des principes et plusieurs des orientations de François Hollande, de m’adresser aux jeunes chercheurs.

Comme vous le savez, François Hollande a choisi de faire de la jeunesse la priorité de son projet pour la France.

C’est une idée juste, et c’est une idée forte : car le problème majeur de notre pays est bien celui de la préparation de son avenir, et du traitement qu’il accorde à sa jeunesse.

Vous parlez des défis de demain, et vous avez raison, comme vous avez raison de considérer que, face à ces défis, vous êtes un atout majeur. Convenons que ces défis sont nombreux, et ils vous concernent tous : défi économique, défi démographique, défi écologique, défi démocratique, défi énergétique. Il y a toutefois un défi qui les regroupe tous, qui les réunit, c’est le défi même de l’avenir. C’est l’avenir lui-même qui est le défi.

Pour la France, qui vit plus que d’autres pays une "crise de l’avenir", une crise de défiance, être capable de se tourner vers l’avenir, d’anticiper, de se projeter, et donc d’échapper à la réaction, au conservatisme, au présentisme, au court-termisme, à la dictature de l’urgence est déjà un défi ; nous avons à remettre de la durée, du temps, dans la pensée et l’action.

Ces défis que vous évoquez, ils ne concernent pas que votre vocation de chercheur ou votre profession ; pas davantage vos disciplines et vos projets de recherche. Ce sont des défis qui concernent toute la société, tous nos concitoyens, et que vous devez nous permettre de mieux relever.

C’est parce que les chercheurs sont utiles à toute la société qu’ils doivent avoir la reconnaissance de celle-ci. Si ce n’est pas le cas, cela veut dire non seulement que la société néglige ses chercheurs, mais qu’elle s’abandonne elle-même et ne se donne pas les moyens de son avenir. C’est pourquoi François Hollande a décidé d’accorder à l’éducation, à l’enseignement supérieur, à la recherche, et malgré les difficultés et les contraintes qui pèsent si lourdement sur les finances publiques, une priorité.

Face à cette grande tâche, où en sommes nous ?

Malheureusement, et malgré des exercices d’autosatisfaction des uns ou des autres, l’état des lieux n’est pas bon.

Ce n’est pas un phénomène récent. Mais c’est un phénomène qui s’est aggravé.

Depuis 10 ans, la France stagne en matière d’intensité de recherche (dépenses de R&D/PIB), selon l’OCDE. Si l’on compare aux chiffres de 1993, notre intensité de recherche est même plus faible ! Pour un pays qui ne cesse de parler d’excellence, ce n’est pas concluant !

La recherche publique civile, contrairement à ce qui peut se dire, est en forte baisse : les organismes de recherche, l’ANR elle-même, voient leurs crédits baisser. Les universités, pour un grand nombre, sont asphyxiées. Certaines sont même sous tutelles.
La recherche privée, malgré l’explosion du CIR, stagne en euros constants.
D’une certaine façon, malheureusement, la situation des jeunes chercheurs est un bon symptôme, en tout cas un révélateur puissant, de la gravité de cette crise.
Leur situation ne cesse de se dégrader : débouchés privés insuffisants, création d’emplois scientifiques publics en baisse, disparité, faiblesse et insuffisance des financements de thèse.
Si notre nombre de thèses ne baisse pas, encore que nous soyons passés de 68000 à 64000 dans les dernières années, c’est en raison de l’apport des étudiants étrangers.
Ils représentent 40% des doctorants. On a vu comment ils ont été traités. C’est le contraire d’une démarche de reconnaissance internationale que chacun semble pourtant appeler de ses voeux. Nous abrogerons définitivement le circulaire "Guéant". Si cela est nécessaire, nous légiférerons sur les conditions d’accueil, de séjour et de première insertion professionnelle des étudiants et des chercheurs étrangers pour sortir de l’insécurité juridique, financière, sociale et professionnelle où ils se trouvent aujourd’hui trop souvent. Nous veillerons à mieux faire connaître et à accorder aux doctorants et docteurs concernés une carte de séjour scientifique-chercheur, et nous ferons en sorte qu’elle ne se termine pas comme un couperet à la fin du contrat de recherche.

Face à cette situation qui n’est pas bonne, et dans le contexte de déficits publics où nous sommes, comment faire ?

Il faut d’abord affirmer et assumer une priorité, mener une bataille idéologique, une bataille, puisque le mot semble à la mode, de valeurs. C’est ce que propose FH : priorité à la jeunesse, à l’éducation, à la connaissance. C’est une démarche de courage, de justice, d’efficacité, de modernité. Le savoir, la connaissance, la recherche, l’innovation, ce ne sont pas d’abord des coûts mais des investissements.

François Hollande a eu l’occasion, la semaine passée, de préciser ses propositions pour l’école lors d’une réunion à Orléans et d’un hommage à Jean ZAY ; Il aura l’occasion de précision son projet pour pour l’ESR début mars.

Il nous a fixé trois priorités

A/ Le premier objectif concerne la réussite des étudiants et la réforme des premiers cycles. Environ un jeune sur deux échoue en premier cycle, et c’est même 90% pour les étudiants issus des baccalauréats professionnels.
C’est inacceptable.
Cela suppose de consacrer des efforts particuliers à ce niveau : en donnant de la substance à l’orientation par la création d’un service public de l’orientation, en créant de véritables bureaux d’insertion professionnelle dotés de compétences et de moyens, en permettant des accompagnements personnalisés, en renforçant l’encadrement et en développant des pédagogies adaptées, en organisant les passerelles entre les différentes formations du supérieur, en instaurant des spécialisations plus progressives dans le parcours de licence, en réservant aux lycéens des enseignements professionnels et technologiques des places dans les STS et les IUT.

Dans le même temps, nous savons que les étudiants issus de milieux modestes travaillent de plus en plus pour financer leurs études, et malheureusement il existe une corrélation étroite entre ce travail, qui s’allonge, et l’échec. La condition étudiante - problèmes de soins, de logements, de revenus - se dégrade, et la pauvreté ronge une partie du milieu étudiant. C’est pourquoi cette réforme pédagogique progressive et ambitieuse doit s’accompagner d’un plan national pour la vie étudiante : programmation de 40 000 nouveaux logements sur cinq ans, mesures sur les loyers, création d’une allocation d’études supérieures et de formation sous condition de ressources, ouverture de pré-recrutements.

B/ Le second objectif concerne la confiance qu’il faut restaurer avec les enseignants-chercheurs et les chercheurs. La loi LRU devra être profondément réformée. Nous la remplacerons par une loi-cadre, et nous ferons précéder cette loi d’Assises de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous savons ce qu’il faut corriger : une gouvernance plus collégiale et plus démocratique, qui permette le respect des libertés académiques, et des financements qui ne conduisent pas à accroître les disparités, à rogner sur les enseignements, à placer certaines universités sous tutelle. C’est dans le cadre de cette réforme que la représentation des jeunes chercheurs devra être reconnue et mise en oeuvre. Le principe de compensation devra être respecté : à transfert de charges, transfert de moyens.

Il va nous falloir aussi simplifier le paysage de l’enseignement supérieur et de la recherche devenu illisible par l’accumulation de nouvelles structures. Quelques principes guideront ce travail nécessaire si nous voulons que les chercheurs puissent se consacrer à leurs recherches plutôt qu’à rechercher des financements. Nous réaffirmerons la place de l’unité mixte de recherche comme élément structurant de la recherche universitaire, en rééquilibrant les soutiens de base et les crédits sur projets. Il faut que les équipes puissent se projeter sur le moyen et long terme. Cela conduira à recentrer les missions de l’ANR sur les priorités nationales, les projets émergents et les projets interdisciplinaires.

Quant aux investissements d’avenir, ils ont, nous venons de le voir, aggravé les disparités et les déséquilibres. Nous devrons corriger ces inégalités territoriales et veiller à ce que ne se constituent pas des déserts universitaires et scientifiques. Une logique de coopération devra se substituer à une logique de compétition. Cela se fera dans la concertation.

C/ Le troisième objectif concerne la place des chercheurs et des enseignants-chercheurs, et tout particulièrement des jeunes chercheurs.

Vous comprendrez que je m’attarde particulièrement sur la situation des doctorants et des docteurs. Ce serait mal venu ici de ne pas le faire. Je veux réaffirmer ici que nous donnerons au doctorat des garanties nationales, scientifiques et sociales. Le doctorat doit rester un diplôme national et unique ; la place des écoles doctorales doit être réaffirmée et confortée ; mais surtout nous devons nous fixer comme objectif que tout doctorant doit avoir une thèse financée avec un contrat de travail, donc une protection sociale, et que cela doit compter pour ses annuités de retraite. C’est un objectif à long terme, mais c’est la direction qu’il faut emprunter. Les « libéralités », ces financements qui ont été à juste titre proscrits en 2006 continuent pourtant, et ils concernent beaucoup de doctorants étrangers, y compris - je le lisais tout à l’heure dans la presse - avec l’assentiment de l’Etat ! Cela n’est pas acceptable, il faudra les supprimer effectivement. Enfin, je souhaite qu’une réflexion soit conduite pour examiner de quelle façon, dans le contrat doctoral, peut être inclus une charge pédagogique d’enseignement ou de tutorat qui contribue à la nécessité d’une réforme en profondeur des premiers cycles. La mobilisation générale dont nous avons besoin doit s’appuyer sur des logiques de coopération et de solidarité. Des bonifications doivent être envisagées pour les Universités qui augmentent leurs nombres de contrats doctoraux, et les moyens doivent être accordés aux écoles doctorales de jouer au mieux leur rôle. Les tâches pédagogiques devront être mieux reconnues, encouragées et valorisées dans les déroulements de carrière des enseignants-chercheurs.

De la même façon, les conventions CIFRE devront être augmenter significativement.

Mais la question des débouchés reste très préoccupante.
Nous devons faire reconnaître le doctorat dans les grilles de la fonction publique, qu’elle soit d’Etat ou territoriale.
Un plan pluriannuel de résorption de la précarité et de l’emploi, avec 5000 des 60 000 postes annoncés par François Hollande, sera engagé.
De la même façon, pour ce qui concerne le secteur privé, nous inciterons les partenaires sociaux à la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives. Le principe en est acquis, mais la mise en oeuvre ne s’est pas faite.
Enfin, dans la réforme du Crédit impôt recherche, nous accentuerons la prise en compte du recrutement des docteurs comme condition de l’octroi.

Mesdames, Messieurs,

Voilà les grands axes de la politique que François Hollande se propose de conduire, s’il est élu, pour redonner à la recherche toute sa place et aux jeunes chercheurs confiance dans leur vocation et leur mission.

Cette politique sera utile pour les docteurs, sans doute. Mais elle sera utile pour le pays. La formation par la recherche doit irriguer l’ensemble des activités du pays ; elle est indispensable à la diversification des profils des cadres dirigeants dans le public comme dans le privé. Car la formation par la recherche apporte des qualités utiles aux défis que nous avons collectivement à relever. Si l’on veut des entreprises capables d’intégrer la recherche, de la valoriser, dans les stratégies il faut des dirigeants, c’est le cas dans d’autres pays, qui en connaissent les mécanismes, les contraintes, les joies, les opportunités. C’est un combat de valeurs, qui participe du redressement auquel François Hollande nous invite. C’est aussi un des facteurs essentiels pour surmonter la crise de l’avenir qui nous paralyse trop et faire renaître une espérance nécessaire et juste.

Je vous remercie pour votre attention.

Vincent Peillon, 17 février 2012-02-20

N.B. : Seul le discours prononcé fait foi.