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Universités et démocratie : pour une révision urgente de la LRU - Le Monde Idées, 4 mai 2012

dimanche 6 mai 2012, par Mariannick

Par Joël Andriantsimbazovina, professeur des universités et doyen honoraire de la Faculté de Droit, de Science politique et de gestion de La Rochelle.

La période des élections dans les universités permet de faire une évaluation de la démocratie universitaire issue de la loi du 10 août 2007 relative aux responsabilités et libertés des universités.
Les membres des conseils centraux des universités (conseil d’administration - CA - , conseil scientifique - CS - , conseil des études et de la vie universitaire - CEVU -) sont élus. Le président de l’université est élu par les membres élus du conseil d’administration.

CETTE DÉMOCRATIE EST MALAISÉE ET DÉSÉQUILIBRÉE

Elle l’est à la fois concernant l’équilibre des pouvoirs et des institutions et la représentation et le pluralisme des courants d’idées et d’opinions. Le déséquilibre des pouvoirs se manifeste par la concentration du pouvoir décisionnel dans les mains du président et du CA, le CS et le CEVU ne détenant que des compétences consultatives et de formulation de vœux.

Le grand malaise réside dans le mode de scrutin pour l’élection des membres élus du conseil d’administration. Dans un souci louable de protéger la représentation de disciplines souvent minoritaires notamment dans les universités pluridisciplinaires, l’article L-719-1 du code de l’éducation en son alinéa 5 confie à chaque liste le soin d’assurer la représentation des grands secteurs disciplinaires et attribue une prime majoritaire à la liste arrivée en tête pour les élections des membres du conseil d’administration.

Au vu des résultats des élections dans de nombreuses universités, la combinaison de ce double dispositif constitue une bombe à retardement qui mine la démocratie universitaire. Celle-ci est menacée à la fois par la tentation de la dictature et de l’autoritarisme et par des conflits structurels.

DICTATURE ET AUTORITARISME AVANT LES ÉLECTIONS ET APRÈS LES ÉLECTIONS D’ABORD

Avant les élections, l’équipe présidentielle sortante peut être tentée de créer une situation empêchant la constitution de listes concurrentes notamment chez les professeurs, moins nombreux que les autres enseignants, en ne permettant pas la réunion de représentants de tous les grands secteurs disciplinaires... Cela permet à un nombre limité de professeurs de rafler l’ensemble des sièges à pourvoir au conseil d’administration. Manifestement contraire à deux principes constitutionnels, la liberté des suffrages et l’exigence de pluralisme des courants d’idées et d’opinions, cette situation permise par la loi elle-même est jugée légale par les juridictions administratives. La constitutionnalité même de l’article L-719-1 du code de l’éducation est douteuse.

Par ailleurs, même en cas d’existence d’une liste concurrente, la prime tueuse accordée à la liste arrivée en tête accorde à celle-ci un nombre de sièges totalement disproportionné au regard des rapports des forces et des résultats des votes. Dans les conseils d’administration composés de 30 membres où le nombre de sièges réservés au collège des professeurs est de 7 comme pour le collège des autres enseignants, un nombre minime d’écart de voix entre deux listes (entre 3 et 10 par exemple) donnera 6 sièges à chacune des listes arrivées en tête et 1 seul siège à chacune des listes arrivées secondes.

Après les élections, l’équipe qui arrive ainsi à monopoliser l’ensemble des pouvoirs au conseil d’administration ne dispose pas d’une véritable opposition institutionnelle et sera tentée d’imposer sa loi au mépris des idées et des positions défendues par les listes battues.

La brutalité de ce système ne favorise guère ni la recherche du consensus ni le dialogue. Elle renforce le clivage entre des blocs opposés.

Il est urgent de réviser la loi en apportant trois modifications importantes. La première est de rééquilibrer les pouvoirs en renforçant les prérogatives du conseil scientifique et du conseil des études et de la vie universitaire. La deuxième est de permettre, pour l’élection des membres universitaires et chercheurs du conseil d’administration, la constitution de listes qui représentent deux grands secteurs disciplinaires au moins à l’image de ce qui est permis dans le collège des étudiants. La troisième est de supprimer la prime injuste accordée à la liste arrivée en tête pour l’élection des membres élus du conseil d’administration.

La démocratie ne peut être réduite à l’efficacité de gouvernement. Elle n’est pas seulement le gouvernement de la majorité mais aussi le respect des minorités. La démocratie universitaire sera d’autant plus efficace qu’elle sera juste et équilibrée.

Joël Andriantsimbazovina est aussi président du Cercle des constitutionnalistes.

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