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« Crise financière et paupérisation générale des universités », par Pascal Maillard pour SLU, 22 septembre 2012

samedi 22 septembre 2012, par Jara Cimrman

SLU n’a eu de cesse de dénoncer le mensonge d’État des cinq dernières années qui a consisté à faire accroire à l’opinion publique, par un véritable matraquage médiatique, que l’ESR aurait bénéficié d’une augmentation massive de ses moyens. Démonstration a été faite à de multiples reprises (voir ici et ) que la réalité était tout autre. Le paradoxe du nouveau contexte politique est aujourd’hui que la ministre de l’ESR, tout en reconnaissant que le précédent gouvernement n’a pas tenu ses engagements financiers et que la situation de nombreuses universités est critique, prétend cependant que les établissements disposeraient de ressources suffisantes, qu’il conviendrait de redéployer les moyens et de mutualiser à tout-va. Elle prépare ainsi les universitaires à une acceptation résignée de l’austérité dans le cadre d’une politique de gestion de l’existant. Faut-il rappeler ici que Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS à l’enseignement supérieur et à la recherche, avait dénoncé dans une tribune du Monde, les tours de passe-passe et les manipulations budgétaires ? Il concluait alors à la trahison des universitaires. La question que posent aujourd’hui les conditions d’organisation des Assises aussi bien que les déclarations inquiétantes de l’actuelle ministre sur le financement de l’ESR, est la suivante : le mensonge et la trahison des universitaires et des chercheurs vont-ils se prolonger sous d’autres formes ?

Plutôt que de considérer les Assises, ainsi que le répète la ministre, comme une occasion de seulement renouer le dialogue et de restaurer une confiance déjà bien entamée, les Assises territoriales et nationales devraient avoir pour objet prioritaire de faire un bilan circonstancié et objectif de la situation financière des universités, d’en analyser les raisons et d’en mesurer précisément les conséquences. Celles-ci sont aujourd’hui dramatiques : dix années de politique néo-libérale et liberticide, d’autonomie trompeuse et de désengagement de l’Etat ont conduit à une situation de crise grave et de paupérisation généralisée des universités et de leurs personnels, dont le gouvernement socialiste minimise ou feint de méconnaître la gravité.
L’état des finances des universités est en apparence connu et reconnu par notre ministre et par le gouvernement : 23 universités ont accusé deux années successives de déficit en 2010 et 2011 et 50 % d’entre elles auront en 2013 un fond de roulement inférieur à un mois de fonctionnement, si rien n’est fait. Mais ceci ne constitue que la partie émergée de l’iceberg. Les universités ne doivent pas seulement subir une limitation drastique de leurs marges de manœuvre financières les contraignant à geler toute politique d’investissement. En raison d’un budget récurrent de l’État notoirement insuffisant, de retards systématiques dans le versement du GVT et d’une explosion de la masse salariale sur ressources propres, les universités s’engagent aujourd’hui dans un processus de destruction massive de leur offre de formation. Pour user d’une comparaison il faudrait imaginer une entreprise dont les salariés seraient contraints de détruire un quart leur outil de production pour sauver les trois autres quarts. Car on en est arrivé à ceci : pour tenter de présenter des budgets équilibrés, les universités sont contraintes de faire les fonds de tiroir des budgets de fonctionnement des composantes, privées de 10 à 20 % de leurs moyens, de baisser les montants des UB recherche et d’annuler des appels à projets CS, de supprimer des dizaines de milliers d’heures d’enseignement, de dégraisser leurs maquettes, de fermer des parcours, des spécialités et parfois même des diplômes. Bien plus, les gels de postes d’enseignants-chercheurs se comptent désormais par centaines et affectent tous les établissements. Poussées à rechercher des sources de financement propres, les universités n’ouvrent que des diplômes dont les droits d’inscription (de 1 000 euros pour un DU à 7 000 pour un master) sont sensés compenser le désengagement de l’État, au risque de faire une croix sur tout projet authentique de démocratisation de l’enseignement supérieur. Des arguments financiers couplés avec la politique d’austérité risquent de faire sauter le verrou de l’encadrement règlementaire des frais d’inscription. Une ligne rouge que la ministre n’entend pas franchir pour l’instant, mais qui aurait l’aval de nombreux présidents d’université.
Les Assises ne sauraient alors faire l’économie d’un bilan critique et lucide de la politique antérieure qui a conduit à un tel désastre et que le gouvernement actuel risque de prolonger et d’amplifier s’il validait sa logique actuelle de forte continuité politique. Ce bilan requiert tout d’abord une évaluation du coût du passage aux RCE et en particulier des surcoûts engendrés par les dépenses liées au transfert de la gestion de la masse salariale et parfois à la dévolution du patrimoine. Ces surcoûts n’ont pas été compensés par l’État et doivent l’être en urgence, au titre de chacun des exercices passés. Il exige ensuite qu’un descriptif précis et qu’une analyse soit produite, dans chaque établissement, chaque PRES et chaque pôle, de l’impact de la politique d’excellence, que ce soit en terme de soutenabilité financière ou d’équilibre disciplinaire et territorial. Face à une situation ubuesque où même les plus grandes universités n’ont pas les moyens d’assumer les coût indirects des projets d’excellence auxquels elles ont concouru, devant une logique absurde de reterritorialisation autoritaire de la recherche qui privilégie quelques pôles au détriment de la majorité des universités, il est vital que soient décidés un moratoire des IDEX et une remise à plat de l’ensemble de la politique d’excellence.
Enfin un bilan objectif ne peut contourner l’impératif de reconsidérer l’intérêt et la viabilité des multiples structures juridiques qui ont dilapidé le potentiel du service public de recherche et ses finances mêmes, en les soumettant à la logique marchande du secteur privé : les SATT, les fondations en tous genres et les PPP n’ont pas à ce jour fait la preuve qu’ils constitueraient un atout pour le développement et la valorisation de nos universités. Au contraire, ces nouvelles structures profitent d’abord à des intérêts privés quand elles ne favorisent pas des situations de conflits d’intérêts au sein d’établissements publics dont les CA, les COS (Comité d’orientation stratégique), conseils de surveillance et autres groupes de pilotage ont souvent pour membres des personnes issues du monde de l’entreprise et de la finance.

SLU considère qu’il existe aujourd’hui deux préalables à une redéfinition complète de la stratégie politique de financement des universités et de la recherche françaises. Tout d’abord une consultation vraiment démocratique de tous les acteurs de l’ESR dont les Assises devraient être le cadre. A la suite de quoi un véritable débat parlementaire devra tenir compte des acquis de ces Assises pour élaborer une loi de programmation qui donnera des moyens, du sens et un avenir à un système d’enseignement supérieur et de recherche dont le modèle est en péril et dont la survie est en jeu. Il s’agira aussi de trancher enfin cette question décisive : accepte-t-on de substituer au financement récurrent de l’État un financement par appels à projets et un impératif d’auto-financement qui sont au fondement des politiques néo-libérales conduites depuis 10 ans au moins ?