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"Une fonte des postes de profs qui ne peut être indolore"

par Véronique Soulié, "Libération" du 10 juillet 2008

jeudi 10 juillet 2008, par Laurence

L’annonce par le ministre de l’Education de la suppression de 13 500 postes à la rentrée 2009 - s’ajoutant aux 11 200 de la rentrée 2008 - a provoqué une vague de protestations dans le monde enseignant. Dans une interview hier à Libération, Xavier Darcos assurait que plutôt que couper dans les effectifs enseignants, il allait en priorité réorganiser les personnels, notamment en « ramenant au bercail » les 30 000 professeurs « qui ne sont pas à plein temps devant une classe ». Retour sur ces arguments.

D’où viennent les chiffres ?

Le chiffre de 32 000 enseignants « sans classe ni activités pédagogiques » a été pour la première fois cité dans un rapport de la Cour des comptes rendu public le 15 mars 2005 et portant sur « la gestion des personnels détachés dans des fonctions autres que d’enseignement ou sans affectation ». Les syndicats avaient alors crié à la « désinformation ». Le directeur des personnels enseignants du ministère de l’Education avait lui-même contesté ce chiffre, dénonçant « un amalgame entre des heures de remplacement, des heures de décharges syndicales, de décharges pédagogiques, les congés maladie, les enseignants en surnombre dans leur discipline et les remplaçants ». Il avait aussi jugé le rapport « fondé sur un a priori contestable : quand un enseignant n’est pas devant sa classe, il ne fait rien ». Xavier Darcos parle, lui, vaguement de personnes mises à disposition dans toute une série de structures, d’administrations, d’associations « sans doute utiles » mais qui seraient mieux à plein temps devant élèves.

Qui sont ces enseignants sans classe ?

Il n’est pas simple de se repérer dans le marais des statuts de l’Education nationale. Une partie de ces enseignants est affectée à des fonctions administratives, dans les rectorats ou dans d’autres ministères - à la Santé ou la Justice par exemple. Le rapport de la Cour des comptes parlait de 3 100 équivalents temps plein (ETP), un emploi comptant pour dix-huit heures d’enseignement hebdomadaire pour un certifié. D’autres ont des décharges syndicales (1 400 ETP) ou des décharges statutaires (9 500 ETP), trois heures par semaine par exemple pour le prof d’éducation physique qui anime l’association sportive de son établissement. Gilles de Robien, le prédécesseur de Xavier Darcos, avait voulu les supprimer. Mais devant le tollé, Darcos a fait marche arrière.

Des enseignants (900) sont aussi « mis à disposition » d’associations, notamment périéducatives comme la Ligue de l’enseignement, la Jeunesse en plein air (JPA), etc. Il y a aussi les « surnombres disciplinaires » (1 900), ces enseignants dont la matière attire de moins en moins d’élèves. Enfin, la Cour des comptes citait les 10 000 ETP perdus car le système de remplacement ne tourne qu’à 80 %. Un chiffre repris par le ministre.

Combien sont-ils aujourd’hui ?

Personne ne sait. Mais les chiffres ont évolué depuis la mise en place de la LOLF (loi organique relative aux lois de finances) de 2006. Les « mises à disposition » qui pèsent sur le budget de l’Etat sont en nette régression. Estimées aujourd’hui à quelques centaines, elles sont clairement menacées. A la MGEN (Mutuelle générale de l’éducation nationale), on souligne que l’on rembourse à l’Etat les salaires et les charges sociales des 60 administrateurs issus de l’Education nationale. De toute façon, on préfère les « détachements » d’enseignants : ils sont alors rétribués par la structure d’accueil qui reçoit une subvention du ministère. En fait, si on ne touche pas aux décharges statutaires comme Darcos s’y est engagé, on voit mal quelles « marges de manœuvre » lui permettraient de rendre quasiment indolores les 13 500 suppressions de postes. De plus en plus, les enseignants en surnombre, comme ceux d’allemand, sont en effet appelés à faire cours dans une autre matière au collège. Faire tourner à 100 % le système des remplaçants paraît enfin, pour beaucoup, irréaliste.