Accueil > Communiqués et textes de SLU > « Les vœux de Jenny Furioso au musée du quai Branly : Totems et tabous (...)

« Les vœux de Jenny Furioso au musée du quai Branly : Totems et tabous »

SLU embeddé-e à la cérémonie des voeux

mercredi 23 janvier 2013

Il y faisait chaud, il y avait de la lumière, étant chercheur je suis donc entré dans le musée du quai Branly où se déroulait la présentation des vœux de la Ministre de la Recherche. Si la chaleur n’est pas à négliger par ces temps neigeux, il faut bien le dire, ce musée est, pour l’essentiel, dans une demi-pénombre que les costumes gris des recteurs, présidents et haut-fonctionnaires présents ne contribuaient pas à éclaircir.

Nous nous dirigeons vers l’amphithéâtre Lévi-Strauss. Je me dis qu’au moins je vais peut-être extraire quelques connaissances des peuplades indigènes des ministères ou d’autres tribus proches du pouvoir. La ministre est habillée avec une veste rouge écarlate qui tranche sur le gris de l’assistance. Ce rouge vif annonce-t-il des propos révolutionnaires, une nuit du 4 août de la recherche où l’on va couper quelques têtes compromises avec l’ancien régime, mettre à bas les oligarchies et autres despotes à peine éclairés, et plus souvent allumés, que la LRU a fait naître ? Dans les gradins tout n’est que bruissements, chuchotements avant la représentation.

Mes ardeurs révolutionnaires sont vite douchées lorsque j’entends, chuchoté derrière moi, "Ce n’est plus une Agence, cela devient une Haute Autorité ..." En fait de nuit du 4 août, les bruissements de ces hautes peuplades sont définitivement, et sans gêne aucune, très "Restauration". Dans la salle aux tout premiers rangs, je retrouve toutes les personnalités que j’avais déjà vues aux assises territoriales, et aux assises nationales, ainsi qu’aux journées sur la recherche de l’office parlementaire, notamment Claudie Haigneré, qui a tant fait pour la recherche quand elle était ministre, et toutes les étoiles montantes, en particulier Vincent Berger que tout le monde n’appelle plus maintenant que l’étoile du Berger.

On nous passe tout d’abord un petit film parfaitement crispant où des pseudo-comédiens pseudo-étudiants, pseudo-enseignants chercheurs jouant encore plus faux que Jean-Pierre Léaud, déclinent les vocables du moment "partenariat université entreprises, doubler les contrats en alternance, voies d’excellence, filières technologiques créer un écosystème, passeurs de frontières, améliorer l’attractivité, Europe, monde, enjeux ..."

La Ministre commence son discours en remerciant recteurs, ambassadeurs, représentant de la conférence des Grandes Écoles, ... présidents et ... amis. Après les phrases convenues sur le musée voulu par Jean Nouvel comme des passerelles entre civilisations, et autres fleurs fragiles de la différence, une subtile allusion à une merveilleuse statue venant du Mali nous rappelle que le monde est en pleine, non pas crise mais, nous dirons plutôt, mutation. Face aux enjeux sociaux, culturels, industriels il faut viser à anticiper les changements : il n’y a pas de fatalité, écartons la résignation, le pessimisme, les effets d’annonce de l’ancien régime, en route vers le dialogue et une confiance retrouvée pour relever les défis du présent et de l’avenir, décloisonner, établir des partenariats avec l’industrie.

Suivent quelques piques sur l’ancien régime, sa recherche de la compétitivité qui risquait d’isoler les territoires, ses affirmations budgétaires si éloignées des réalités, sa politique de précarisation, l’illisibilité de ses offres de formations, sa réduction des crédits pérennes, son discours de janvier 2009 si infamant pour les chercheurs.

Nous devons être nourris du passé pour imaginer l’avenir. Une méthode pragmatique, un dialogue renouvelé, un travail fait de coopération, ouvert sur le monde socio-économique, sur l’Europe, sur le monde. Le meilleur de l’organisation jacobine et girondine dans la complémentarité, mano a mano. Après avoir remercié une fois de plus le Copil, comité de pilotage des assises, la Ministre réaffirme que le processus exemplaire des assises donne toute la légitimité démocratique à la nouvelle loi sur l’enseignement supérieur et la recherche.

C’est le retour de l’Etat stratège (mot clef à retenir absolument). Les PPU (partenariats public public) vont remplacer les PPP (partenariats public privé). Un mot sur les partenariats avec l’industrie, sur les collectivités territoriales et, bien sûr, sur les parcours de réussite pour les étudiants (un marqueur de l’action). Il faut inscrire les nouvelles ESPE au sein de l’Université : elles permettront l’acquisition progressive de compétences. Il faut davantage de pluridisciplinarité dans la licence, puis une professionnalisation progressive.

Les assises ont permis de renouer le fil du dialogue. Il faut rapprocher les classes préparatoires des grandes écoles des universités. Il faut relever les défis de la recherche technologique et des transferts vers l’industrie. Oublions le classement de Shanghai et remplaçons-le par U-Multirank !!

Place à l’innovation pédagogique grâce au FUN (France Université Numérique).

Il faut développer l’alternance dans une université de tous les métiers. Il faut améliorer les conditions de vie étudiante, développer l’ouverture à l’international en s’opposant à ce que l’initiative "Erasmus pour tous" soit rebaptisée "Yes Europe". Il faut un agenda stratégique, définir les axes majeurs (sécurité alimentaire, numérique, thématiques sociétales, ...) en créant un Haut Conseil de plus placé auprès du Premier Ministre, consolidant le rôle des (si nécessaires et si légitimes) Alliances, le Conseil Stratégique de Recherche.

La ministre note avec tristesse que les chercheurs français submergés par le temps passé à déposer des dossiers ANR, en pure perte quatre fois sur cinq, n’ont pas jugé bon de perdre aussi du temps à déposer des demandes de subventions européennes. Concernant les Agences, les acquis de l’AERES seront intégrés. La phrase, très courte, ne sera pas reprise comme d’autres parties du discours (technologie, industrie, transfert, régions, territoires, territoires, régions, transferts, ...) qui furent répétées à l’envie.

Le diable étant dans les détails, regardons donc les détails de cette phrase quasi subliminale : elle affirme qu’il y a des acquis de l’AERES (si cela va sans dire cela va mieux en l’affirmant comme une vérité d’évidence) et que l’AERES, tel le phénix qui renait de ses cendres, va survivre, croître et embellir par la toute puissance de l’accréditation en changeant de nom (d’auteure). La suite du discours avait, sans aucun doute, pour but de rassurer Nicolas Doze et toute l’équipe de BFM Business sur la mise en place des réformes si indispensables, si nécessaires, à l’heure de la mondialisation compétitive : inscription dans la loi de la mission de transfert de recherche vers l’industrie, développement de la recherche technologique, etc. Dans la continuité suivit un hommage très touchant à Claude Allègre et un plaidoyer très girondin pour des systèmes territoriaux ouverts vers leurs écosystèmes.

Après une allusion rapide aux questions - qui n’intéressent personne - de démocraties dans les universités (ajouter une pincée de BIATSS, augmenter la représentation des étudiants, diminuer un tout petit peu la prime majoritaire, imposer la parité homme-femme), nous revenons aux regroupements de tous types associant universités, régions, métropoles, et autres synergies dans la dualité et la complémentarité, mutualisant les forces par des regroupements, des contrats de sites, des contrats d’objectifs, les communautés d’universités remplaçant les PRES tout comme l’AUTEURE remplacera l’AERES. Ouvert sur l’Europe et le monde, big sera beautiful mais, attention, un big mutualisé adapté à chaque territoire qui, parce qu’il n’y aura que 30 tels grands sites, simplifiera le paysage global. La loi fixera un cap. La ministre termina en nous confirmant le retour d’un État régulateur et stratège (s’il y a un mot clef à retenir c’est celui là). Bref il s’agit de réussir ensemble dans la concertation et la confiance renouvelée.

Le mot recherche fondamentale ayant définitivement sombré dans l’océan du discours social-libéral, nous nous précipitons comme toute peuplade lévi-straussienne qui se respecte vers la nourriture. Les rites des hautes peuplades du pouvoir nécessitent visiblement une approche très volontariste de la ressource, en fait assez proche du concept de razzia d’autres tribus. Etant parti à la recherche d’information plutôt que de nourriture, j’appris que la prochaine loi, si elle fait semblant de diminuer la prime majoritaire, va lourdement renforcer le pouvoir des rang A sur les rangs B dans les communautés d’université (30% contre 20%), et l’on peut craindre le pire sur la nomination des personnalités extérieures (d’aucuns disent par les recteurs), personnalités qui maintenant feront l’élection du président d’université, cette élection étant trop sérieuse pour être confiée aux universitaires. Me dirigeant vers le buffet je constate que les quelques minutes passées à glaner ces quelques informations et autres tombés de camion ministériel, ont eu des conséquences funestes sur mon accès à la nourriture : les délicieux macarons ont tous, sans exception, disparu, les mignardises salées et sucrées ne sont plus qu’un souvenir, en particulier d’exquises nourritures délicieusement croustillantes sur des bâtonnets, dont certains me parleront avec des tremolos dans la voix.

L’ethnologue n’avait-il pas dit « je suis ce que je mange » ? Je suis obligé de constater qu’en cette soirée et en ce lieu, je ne suis rien car je n’ai rien pu manger. Heureusement, si les mignardises étaient aussi délicieuses que rares, le nombre de magnums de champagne semblait, lui, littéralement illimité. La crise, quelle crise ? Sans doute grâce aux banques centrales nous sommes inondés de liquidités. Après avoir bu quatre ou cinq, peut-être six, coupes de champagne, c’est titubant que j’explorais le musée qui était ouvert, en nocturne, à tous les happy few conviés à ces vœux ministériels. Dans les vapeurs d’alcool, l’étrange pénombre et le silence de ce musée quasi désert, les masques, statues et totems, d’Afrique, d’Asie, d’Amérique, ou d’Océanie semblaient se rire du dérisoire des rites et des palabres de nos tribus.

Tristes topiques !