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Verbatim sur la réunion des directeurs d’unités en SHS au CNRS, mercredi 10 septembre 2008

samedi 13 septembre 2008, par Laurence

Compte rendu de la réunion des DU SHS de l’IdF et de certaines régions

Trois intervenants : dans l’ordre Arnold Migus, Bruno Laurioux et Pierre Briant (nouveau chargé de mission pour la réflexion sur l’Institut comme agence de moyens)

Migus présente à l’assemblé de 250 à 300 personnes réunies à l’INHA le plan de réforme de l’ensemble du CNRS et son découpage en Instituts (les transparents présentés pour la première fois et qui n’ont pas été communiqués seront disponibles sur le site du CNRS). Migus commence par souligner que le modèle présenté n’est pas figé et que c’est la raison pour laquelle on n’a pas communiqué de texte le présentant…
9 Instituts, 6 « thèmes transverses », 3 pôles.

La vocation principale du CNRS est la gestion de projets à long terme et de projets à risques au nom d’un devoir de prospective qui constitue sa spécificité. L’excellence et la recherche fondamentale doivent s’articuler avec les « priorités sociétales ». Sa mission est désormais double : opérateur de recherche (de moins en moins) et agence de moyens (de plus en plus). C’est le passage à cette double fonction qui explique et justifie le passage des départements aux Instituts, un Institut étant un « opérateur de recherche appuyé sur un noyau de laboratoires stratégiques et en même temps une agence de moyens pour tout autre laboratoire interne ou extérieur au CNRS. Tout institut reçoit une enveloppe déterminée dépensée selon le principe de la non fongibilité entre les budgets de ses deux missions. La réforme des universités, leur autonomie croissante dans la définition de leur politique de recherche spécifique renforce la nécessité d’un rôle de coordinateur stratégique pour le CNRS et lui impose d’inventer un nouveau rôle d’agence de moyens en direction des laboratoires universitaires – des quelques grandes universités, corrige-t-il vite. L’autonomie des Instituts et la collégialité de la gouvernance du CNRS seront garanties, le CNRS animant, pilotant et contrôlant l’activité scientifique des Instituts et gardant la haute main sur les postes et la répartition des budgets.

Trois pôles d’intégration seront destinés à répondre aux enjeux des pluridisciplinaires :

Pôle 1 : les hommes dans le système terre ; Pôle 2 : origine et maîtrise de la matière ; Pôle 3 : la société en réseau

Migus insiste encore sur la nécessité du développement en région d’une politique de partenariat et de valorisation (il évoque les CLUSTER)
Il présente ensuite les « outils de management » de la direction : elle nomme les directeurs d’Institut ; il y a un seul budget du CNRS, avalisé par son CA ; la direction assure le suivi du COM (contrat d’objectif et de moyen) ; elle gère l’ensemble des R.H. (postes) ; elle négocie les partenariats nationaux et internationaux même si elle peut déléguer sa signature

Les laboratoires deviennent des plate-formes. La non fongibilité renforce l’interdisciplinarité. Un laboratoire peut être rattaché à plusieurs Instituts. L’évaluation des chercheurs demeure une prérogative des sections du comité national. Chaque Institut aura un conseil d’Institut dont la composition reste à déterminer. Les UMR ne doivent plus être une labellisation (l’AERES aider à ne plus rendre nécessaire cette labellisation en fournissant une autre labellisation par sa notation…).
Migus revendique son alignement sur les conclusions de la commission d’Aubert à laquelle il a participé et dont il est solidaire, y compris pour le refus de la pluralité des tutelles, le mandat unique de gestion et les modulations de service.

Pour ce qui est de la gestion des R.H. et de l’attractivité des métiers il développe longuement la création des chaires CNRS (appelées clairement à devenir le fer de lance et la décision la plus visible dès 2009 de la réforme) d’abord pour les juniors puis pour les seniors (avec une articulation du dispositif avec l’IUF qui reste à inventer). Au moins 20 °/° des postes mis au concours dès 2009 pourraient être attribués à de telles chaires junior pour 5 ans. Le recrutement en reste encore opaque : en gros de jeunes MCF qui au moment de leur recrutement par l’université se verraient proposer, dans la mesure où ils ont été bien classés par les jury du CNRS symétriquement, une chaire avec paiement de leur salaire par le CNRS et un tiers de service dans l’université payé en sus par l’université en heures complémentaires. Les présidents d’université veulent des commissions mixtes, le CNRS renâcle semble-t-il. Autres nouveautés dès 2009 la mise en place d’un mécanisme de primes (pas nécessairement individuelles ajoute Migus) et la création de CDI pour des chercheurs étrangers de haut niveau (sans statut fonction publique).

Il énumère ensuite quelques grands changements qui naîtront de la réforme : on insistera sur le fait que tous les Instituts ont vocation à assurer des missions nationales définies par l’État mais sans que celui-ci se mêle de la traduction scientifique de ces priorités ; du même coup les Instituts pourraient jouer un rôle moteur par rapport à l’ANR qui s’alignerait sur les priorités définies par les Instituts dans ses choix d’appels thématiques…

Remarques et analyses : M. Migus a paru très sûr de son fait, ne laissant pas de place spécifique à une réflexion sur les SHS, rappelant à plusieurs reprises que la question des SDV au CNRS lui semble poser un problème plus sérieux que celle des SHS. De plus, et surtout, lorsque dans le débat il sera attaqué clairement sur le manque de concertation, les pratiques autoritaires et la manipulation de la communauté, il affirmera clairement que pour lui la concertation véritable se fait avec les instances existantes (CA, conseils scientifiques de département et conseil national) et non avec la base des équipes. Il semble très content que le CNRS se coule dans le moule sémantique et terminologique de l’ERC (European recherche fondation) ce qui, évidemment, garantit une meilleure « visibilité » internationale de la recherche française. Face à plusieurs réactions vives de la salle annonçant la mort d’un grand nombre d’UMR dans cette logique et critiquant la fin de la pluralité des tutelles, il déclare que les universités modèle LRU vont enfin avoir la possibilité de développer des recherches au niveau de celles du CNRS et auront donc moins besoin de rattachement au grand organisme et ajoute qu’il n’est pas demandeur sur la question des tutelles (il pense qu’il y aura des exceptions nombreuses en fonction des capacités de négociations des UMR !). Sa défense répétée du travail global et des conclusions de la commission d’Aubert (dont on rappellera qu’elles ne sont pour l’heure que des recommandations contenues dans un rapport…) est aussi très significative. Par ailleurs, il semble que le CNRS ait vocation à se retirer là où il est très minoritaire en engagement en moyens consolidés. Il est clair que le CNRS tente de justifier sa réforme (et de tenter d’agréger un consensus minimal dans la communauté des chercheurs) en la présentant comme une mutation nécessaire pour acquérir une force suffisante, voire un rôle de pilote, face aux agences nationales (ANR et AERES) et face aux universités autonomes. Du même coup, ce que va confirmer l’intervention de B. Laurioux on a le sentiment que l’on applique au grand organisme une bonne partie de la logique des agences et de la loi LRU (distinctions projets thématiques nombreux/projets blancs peu nombreux ; baisse des crédits de fonctionnement récurrents ; articulation de poste de titulaires fonctionnaires et de postes précaires de différents ordres ; évaluation et réduction du nombre de laboratoires considérés comme stratégiques – un peu comme on ne veut qu’une dizaine de vraies universités de prestige en France)

L’intervention de B. Laurioux devait quant à elle présenter plus précisément le seul Institut des SHS (pour Migus il n’est pas clair s’il sera ou non national, pour Laurioux il doit l’être). Là aussi le rapport est rendu public à l’occasion de la réunion mais là aussi, après que la demande eut été exprimée avec vigueur dans la salle, il sera disponible sur le site comme document de travail. Laurioux ne cesse d’insister durant son intervention sur le fait qu’il entend travailler avec la communauté pour défendre les SHS dans la continuité de l’équipe précédente (il conserve le schéma initial de juillet dernier en trois champs tout en le déclarant négociable). Il tente toutefois de partir d’une définition des SHS pour convaincre ses interlocuteurs extérieurs au milieu des SHS de leur nécessaire centralité dans toute réforme de l’organisme en insistant sur leur objet commun (l’homme) et sur leur capacité à répondre aux enjeux du monde contemporain. Il insiste également sur l’évolution à prendre en compte des conditions de la recherche en SHS (travail en équipe, développement de réseaux, projet, grands équipements, travail interdisciplinaire systématisé). Dans cette situation, une coordination nationale pilotée par des scientifiques s’avère nécessaire. Il tente de répondre à une question primordiale : pourquoi un Institut national des SHS au CNRS en déclinant ses raisons : rôle central, référent national en ses temps d’autonomisation des structures locales, collaborations internationales, force de frappe des 200 chercheurs actifs, réseaux, potentialités interdisciplinaires aux côtés des autres Instituts, expertise, prospective et orientation stratégique élaborées dans le comité national. Le périmètre qui peut encore être discutée veut seulement que toutes les SHS en soient. La partition interne, l’articulation, les conseils à mettre en place, la précision des missions peuvent être encore l’objet de concertations. La définition des trois domaines ou pôles est accolée à celle d’« espaces d’intersection » (Langage et cognition avec SDV ; Hommes et milieux), à savoir les espaces interdisciplinaires et inter-Instituts. Il n’y a pas dans son esprit d’hétérogénéité des pôles, et encore moins d’autonomie de gestion de chacun des trois ensembles et de répartition égales entre les trois ensembles qui sont très disproportionnés. Il s’arrête sur la définition des trois mission de l’Institut à venir : opérateur de recherche (rôle traditionnel), agence de moyens (rôle à inventer largement), coordination nationale (sinon l’Institut ne sera pas « national »). Les laboratoires stratégiques (qui à terme semblent devoir être les seuls qui compteront voire qui resteront seront déterminés en fonction de leur excellence, de leur visibilité internationale et de leur fonction structurante dans le paysage de la recherche française. Pour Laurioux (et contrairement à ce qui semblait être contenu dans le discours de Migus) le poids d’un labo ne dépend pas seulement de l’investissement du CNRS en personnel. Il insiste aussi sur le fait que l’Institut doit être le porte-parole des SHS face à l’ANR et face aux partenaires internationaux potentiels. Quant à la fonction agence de moyens, elle devrait être pensée pour rendre possible le fait que l’Institut prenne le relai de programmes à court terme. Les atouts du futur Institut sont pour lui la largeur de son périmètre, le positionnement interdisciplinaire, la capacité à anticiper sur les questions émergentes, la capacité à animer des réseaux de recherche. L’équipe restreinte qui le pilotera devra s’appuyer sur un comité stratégique pour les grandes orientations (conseil comprenant des représentants de la tutelle, des partenaires etc.) et sur un conseil scientifique qui validerait le choix des programmes de recherche avec un rôle de veille et de prospection : la réflexion est largement ouverte sur la manière de désigner les membres du CS. Allant dans le même sens la brève intervention de Briand appelle à faire remonter le plus d’informations possibles sur les modes de gestion pour réfléchir sur la notion d’agence de moyens, en insistant sur ce qui peut être spécifique aux SHS. Tous deux entendent créer de l’irréversible avant la future nomination du directeur de l’Institut : Laurioux déclare explicitement que c’est la communauté des SHS et non la direction du CNRS qui peut construire l’Institut.

Une discussion vive s’engage où différents collègues font état de leur absence de confiance dans un processus qui leur demande d’élaborer eux-mêmes les critères selon lesquels la moitié d’entre eux passeront à la trappe. Par ailleurs nombreux sont ceux qui insistent sur la nécessité de maintenir la pluralité des tutelle, de réfléchir sur la différence qui demeure entre une EA et une UMR, sur l’impossibilité d’une telle réforme sans moyens clairement définis en poste et en budget.

Conclusion (de l’auteur de ce verbatim, représentant SLU) : on peut entendre l’appel (louable) à la participation de tous dans l’élaboration de la réforme actuelle et les précisions données sur les points encore négociables mais il n’en reste pas moins que la direction du CNRS n’a pas donné de gages de transparence et de crédibilité sur cette question. En outre, on a le sentiment que les SHS du CNRS se projettent ici dans une sorte de rivalité avec l’ANR, voire avec l’AERES, qui n’est pas nécessairement la bonne posture pour une réforme spécifique qui préserve et développe la spécificité du CNRS et, surtout, la nécessité de son lien renforcé avec les universités (qui ne sauraient relever d’une sorte de partage des unités dans un quelconque Yalta de la recherche publique). On a le sentiment que l’autonomie des universités "LRUisées" est perçue comme l’occasion de se débarrasser de certaines unités et de sélectionner drastiquement les futurs partenaires.
Par ailleurs, comme d’habitude, rien n’est dit des moyens sur lesquels on peut espérer compter pour la mise en place de cette réforme ni sur l’articulation des anciennes structures avec les nouvelles puisqu’elles demeureront toutes en place ce qui laisse présager de nombreuses confusions et des conflits de compétence. La définition centrale dans cette affaire de ce qu’est un laboratoire stratégique et surtout celle des procédures selon lesquelles il sera décidé de classer tel ou tel laboratoire dans la catégorie bénie des dieux restent parfaitement opaques.