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"Geneviève Fioraso : Le Medef et le gouvernement prêts au « copilotage » des formations", entretien avec G. Fioraso et P. Gattaz, Les Échos, 9 décembre 2013.

mercredi 11 décembre 2013, par Jara Cimrman

Le 9 décembre, Geneviève Fioraso a installé le comité Sup’Emploi. Il est présidé par deux chefs d’entreprises, Françoise Gri (Pierre et Vacances – Center Parcs) et Henri Lachmann (Schneider Electric). Cette instance "consultative" (on ne rit pas !) doit travailler sur les métiers de demain, l’apprentissage, les stages, etc.
Sa composition est un modèle du genre et l’entretien donné par la ministre avec Pierre Gattaz aux Échos le même jour une (presque) effarante reddition en rase campagne.

La composition du Comité Sup’emploi :
Henri Lachmann, vice-président admniistrateur référent de Schneider Electric SA
Françoise Gri, directrice générale du groupe Pierre et Vacances - Center Parcs, ex-PDG de Manpower Group France.
George Asseraf, inspecteur général de l’administration de l’Education nationale, directeur de l’ONISEP
Muriel Penicaud, directrice générale des ressources humaines chez Danone
Luc-François Salvador, président du groupe Sogeti France.
Christophe Lecante, président du conseil d’administration de l’IHEST (Institut des hautes études pour la science et la technologie)
Geneviève Bel, vice-présidente de la CGPME nationale, déléguée à l’entrepreneuriat féminin
Corinne Margot, directrice des ressources humaines et de la communication du groupe SOITEC
Jean-Louis Bancel, président du Crédit coopératif
Sophie Binet, conseillère principale d’éducation en lycée professionnel, membre du bureau confédéral de la CGT
Thierry Cadart, enseignant en mathématiques, secrétaire national de la CFDT chargé de la réforme de l’Etat
Gilles Roussel, président de l’université Paris-Est Marne-la-Vallée
Alain Bravo, ancien directeur de Supélec
Anne Aubert, vice-présidente Orientation, réussite et insertion professionnelle de l’université de la Rochelle
Emmanuel Zemmour, président de l’Unef
Claire Guichet, ancienne présidente de la FAGE
Olivier Faron, directeur du CNAM
Laurent Beauvais, président de la commission Enseignement supérieur et recherche de l’Association des Régions de France
Jean-Pierre Boisivon, professeur émérite à l’université Paris 2, délégué général de l’Institut de l’entreprise
Pascal Morand, ancien directeur de l’ESCP Europe
Laurent Bigorgne (directeur de l’institut Montaigne).

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Entretien dans Les Échos du 9 décembre 2013

Après avoir voulu faire entrer davantage l’entreprise à l’école, le gouvernement cherche à faire de même à l’université. Jean-Marc Ayrault et le ministre de l’Education, Vincent Peillon, avaient placé, le 18 octobre, l’ancien patron d’Air France-KLM, Jean-Cyril Spinetta, à la tête du Conseil national éducation-économie (CNEE). La ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso, installe ce matin le comité Sup’emploi. Il sera coprésidé par deux chefs d’entreprise, Françoise Gri et Henri Lachmann.

Vous voulez rapprocher l’enseignement supérieur de l’entreprise. L’idée est ancienne. Que va changer le comité Sup’emploi ?
Geneviève Fioraso : Le comité est d’abord une instance non paritaire, à la différence de ce qui existe déjà. Il sera d’ailleurs coprésidé par deux chefs d’entreprise, Françoise Gri, ex-présidente de Manpower France, et Henri Lachmann, ex-PDG de Schneider Electric. Ensuite, nous avons fait appel à des personnes issues de l’entreprise, de la formation, de la recherche, qui siégeront en tant que personnes qualifiées. L’objectif est de mieux anticiper l’évolution des emplois, pour la formation initiale et pour la formation tout au long de la vie. Ce qui veut dire trouver de meilleures réponses sur les métiers en tension et sur ceux qui correspondent à nos enjeux de recherche comme l’allongement de la durée de vie, la transition énergétique, la chimie verte.
Pierre Gattaz : L’initiative me paraît tout à fait intéressante. Mais le plus difficile, c’est l’exécution et l’action. Va-t-on y arriver ? Aujourd’hui, l’Education nationale et l’enseignement supérieur poussent très souvent des formations qui ne correspondent pas aux besoins des entreprises et aux métiers futurs. Il faut inverser cette tendance et concevoir les formations à partir de nos besoins, dans les filières du futur. Sinon, on va dans le mur. Mais il faut aussi orienter les formations vers nos besoins actuels. Car il nous manque des soudeurs, des chaudronniers, des décolleteurs… Il y a une sorte d’élitisme en France qui fait que, si on n’a pas un bac + 5, on n’est rien du tout.

Mi-octobre, le Medef a réclamé au gouvernement le copilotage des formations. Y êtes-vous favorable ?
G. F. : Mais bien sûr ! Cela est déjà intégré dans la gouvernance des universités, où on a, depuis la loi sur l’enseignement supérieur de juillet dernier, davantage d’acteurs économiques. De même, grâce aux regroupements d’universités que nous encourageons, des stratégies de site vont être définies. Or ces stratégies sont faites pour être élaborées avec les acteurs économiques ! Il faut décloisonner et enlever les a priori. Chacun a des a priori sur l’autre. Mais je constate que, sur le terrain, un certain nombre de barrières sont tombées. Beaucoup d’universités ont des partenariats avec les entreprises. Il faut maintenant faire tomber les derniers bastions.
P. G. : On a progressé, c’est vrai, que ce soit avec la loi Pécresse [la loi sur l’autonomie des universités, NDLR] ou avec ce que vous avez pu apporter. Mais les formations dispensées à l’université sont encore trop souvent orientées pour la toute petite minorité d’étudiants qui se destinent à l’enseignement, et pas pour ceux qui vont aller travailler en entreprise. Ce rapprochement avec les chefs d’entreprise est fondamental, parce que les besoins en formation, c’est de l’emploi. Je ne dis pas que tous les efforts sont à faire dans votre camp, les entreprises aussi doivent en faire. En tout cas, il y a urgence.
G. F. : On a le même intérêt !
P. G. : Oui, mais vous, vous avez d’énormes corporatismes…

Au fond, vous ne croyez pas tellement à l’efficacité de cette nouvelle commission…
P. G. : Je salue cette initiative. Mais il y a eu beaucoup de rapports déjà. L’objectif doit être le plan d’actions.
G. F. : Non, mais allez sur le terrain ! ça a énormément bougé ! Il ne faut pas écouter les postures des uns et des autres. Les universités ont désormais des « fab labs » [des laboratoires de fabrication, NDLR], des ateliers de créativité…
P. G. : Mais il y a encore un pas à faire entre le système français, qui fonctionne sur des subventions, et une université comme Oxford…
G. F. : On est au 3e rang mondial pour l’accueil des étudiants étrangers. La première raison avancée, c’est la qualité de notre formation. La qualité de formation à l’université est tout à fait méconnue. L’image qu’on a, que vous avez et que peuvent avoir les familles et les lycéens de l’université ne correspond pas à la réalité. On est au 6e rang mondial pour la qualité de nos publications scientifiques. Mais on est entre les 20e et 25e rangs pour l’innovation, car on a du mal à transformer l’invention du laboratoire en innovation dans l’entreprise qui crée de l’emploi. Voilà pourquoi il faut rapprocher les deux mondes. Mais je vois aussi beaucoup de projets de partenariats, que je pousse au maximum. Je ne vois pas un monde séparé, avec des cloisons, comme vous le voyez…
P. G. : Ce que vous dites va dans le bon sens. Mais il faut aller beaucoup plus loin et plus vite. Il faut absolument que les entreprises ou les branches s’intègrent davantage dans les universités pour définir les métiers de demain. Or on sait que les régions - pour ce qui relève du champ de Vincent Peillon [ministre de l’Education, NDLR] - sont encore très réservées sur notre intervention pour définir des qualifications, des diplômes et des calendriers adéquats.

Que pensez-vous du projet du gouvernement qui vise à instaurer des quotas de stagiaires dans les entreprises ?
P. G. : On est très inquiets sur ce projet. Car vous avez deux façons de régler les problèmes de l’emploi dans le pays. Soit vous nous faites confiance et vous désasphyxiez les entreprises pour qu’elles soient plus compétitives en considérant qu’elles sont nos forces vives. Soit vous dites on a un problème de stagiaires, et vous mettez en place des quotas, des pénalités… et vous ajoutez 50 pages au Code du travail.
G. F. : Mais les jeunes, ce sont aussi nos forces vives ! Et il ne faut pas non plus les exposer à des abus. Certains instituts de sondage ou agences de communication ont plus de 30 % de stagiaires ! Vous êtes bien d’accord pour dire que ce n’est pas normal ?
P. G. : Cela peut être vrai dans certains cas, mais après, le risque, c’est qu’on demande à tout le monde, y compris aux petites entreprises qui ne vont déjà pas bien, d’avoir leur quota de stagiaires, qu’elles le veuillent ou non…
G. F. : Non. L’idée, c’est d’éviter les abus…

Qu’est-ce qui serait acceptable pour vous ?
P. G. : Il y a un moment où il faut arrêter les projets et les propositions de loi qui apportent beaucoup de nervosité. L’intégration des jeunes le plus tôt possible par des stages, de l’alternance, de l’apprentissage, pour moi, c’est la meilleure formation. Et il faut y penser pour nos élites. Il faut prévoir, pour nos étudiants issus de l’ENA, de Sciences po ou de l’Ecole nationale de la magistrature, un stage obligatoire en entreprise en fin d’études. Dans une PME ou une entreprise de taille intermédiaire, en France ou à l’étranger. C’est fondamental.

Marie Bellan, Marie-Christine Corbier, Les Echos
Pour lire cet entretien sur le site des Échos.