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Quelques vérités à rétablir sur les MOOC - Libération, 6 janvier 2014

vendredi 10 janvier 2014, par Elisabeth Báthory

Une tribune de Cyril BEDEL, fondateur de www.edunao.com, en réponse à un communiqué du Collectif anti-MOOC de l’ENS (Solidaires Etudiant-e-s, Ferc-Sup CGT et Unef) : MOOC : une étape vers la privatisation des cours, publié dans Libération le 26 décembre 2013.

A lire sur le site de Libération.

Note de SLU : Edunao se présente comme "le premier site internet européen indépendant de diffusion gratuite du savoir académique de qualité", et son fondateur se flatte d’en avoir eu l’idée lors d’échanges avec Michel Serre. Pour un regard critique sur la pensée de celui-ci et notamment son livre Petite Poucette, voir ici.

Libération a publié le 26 décembre 2013 une singulière tribune d’opposants à l’enseignement universitaire sur Internet, les MOOC (en anglais : Massive open online course).

Pour mémoire, un MOOC est cours en ligne ouvert et gratuit, qui permet d’apprendre en ligne, sans discrimination, dans la droite ligne de l’enseignement libre et gratuit défendu par Jules Ferry en France. En ce qui concerne l’université, les MOOC sont, à ce stade, une expérimentation qui permet de réunir les savoir-faire des professeurs et des entreprises du numérique, en associant pleinement les étudiants à la démarche, c’est là qu’est la révolution pédagogique.

La tribune publiée dans Libération repose sur des informations incomplètes, voire mensongères :

- « Une révolution du système universitaire qui nous semble devoir être publiquement débattue ». L’université numérique est publiquement débattue depuis sa création par de nombreux universitaires ; un seul appel à publication récent a suscité 266 propositions d’articles universitaires des Etats-Unis, de Chine, du Canada, de Grande-Bretagne, etc. et la même démarche est engagée en France.

- « L’apparition des MOOC aux Etats-Unis dans les années 2010 relève de choix économiques de pure rentabilité. » Faux : le 1er cours de référence sous forme de MOOC est celui de Sebastian Thrun à l’automne 2011 ; c’était une pure expérimentation pédagogique pour un cours d’Intelligence artificielle, que ce professeur allemand enseigne régulièrement à l’université Stanford. Le cours ayant réuni 160 000 élèves de 190 pays, on peut se demander si c’est vraiment la réponse américaine à un problème américain ; de plus, on aimerait que les cours des grandes écoles françaises fournissent à tous autant d’information académique que celui-ci. Pour la parfaite information des auteurs de la tribune, la création des cours ouverts en ligne (MOOC) est revendiquée par George Siemens en 2008, un professeur de l’université canadienne Athabasca, connue pour son innovation pédagogique.

- « L’objectif affiché était de répondre à la crise des universités privées américaines ». Affiché par qui ? Cette affirmation est contredite par les centaines de déclarations publiques de professeurs et d’universités, sur l’expérimentation que représente cette forme d’enseignement en ligne (accessoirement il est prêté à l’article, cité en référence de la tribune de Libération, des propos qui n’y sont pas tenus). Les fondateurs de Coursera sont une Israélienne naturalisée américaine et un Chinois né en Grande Bretagne avant d’étudier en Asie, qui enseignent à Stanford, université privée ; ils sont avant tout des professeurs reconnus de cette université, engagés dans une aventure entrepreneuriale, complètement indépendants des autorités fédérales américaines ; en revanche, la Banque Mondiale a investi 5 millions de dollars dans Coursera pour soutenir l’éducation dans les pays émergents. Contrairement à ce qu’affirment sans preuve les auteurs de la tribune, les initiatives de MOOC dans le monde, y compris en France, ne sont pas là pour pallier des enjeux de financement de l’enseignement supérieur mais, très simplement, pour offrir aux professeurs et aux étudiants internautes une nouvelle expérience d’apprentissage.

- « Pour être hébergée sur une plateforme, une université doit payer des droits très élevés (50 000 dollars par cours sur la plateforme Coursera en 2012) ». Faux : l’hébergement est gratuit sur Coursera (cf contrat) et sur d’autres plateformes de MOOC. Et les cours de l’ENS sur Coursera cités dans la tribune n’ouvrent pas droit à des certificats payants : il n’y a donc pas de transaction économique. On peut se demander à cette occasion pourquoi les auteurs de cette tribune, qui acceptent l’édition universitaire privée de manuels et travaux de recherche, refusent le même modèle pour ces contenus de cours en ligne ?

- « Cela tend à renforcer la concentration des moyens dans les grands pôles universitaires aux dépens des « petits » établissements ». Faux : cela permet aux professeurs, quelle que soit leur université, de réunir les élèves que leurs cours intéressent, quels que soient leur origine, leurs moyens, leur niveau, etc. Le 1er MOOC en français est celui d’un enseignant-chercheur de Centrale Lille, sa production a coûté 130 €. Comme pour toute production audiovisuelle, le coût peut être évidemment plus élevé, selon ce que l’on choisit de montrer et le temps que l’on veut y consacrer.

- « On peut en outre craindre, comme l’envisage Bill Gates lui-même, un processus de sélection assez brutal ». Faux : citation tronquée de Bill Gates, qui dit explicitement que le numérique permet en particulier l’interactivité de l’étudiant pour apprendre et l’aide collective, et que sa fondation est la plus large contributrice de MOOC sur diverses plateformes ; il précise enfin que les MOOC débutent et vont sans doute extraordinairement s’améliorer (son intervention à la 40ème minute) ; d’autre part, la Fondation qu’il dirige soutient l’innovation dans l’éducation, y compris numérique, et le travail de recherche de George Siemens cité plus haut.

- « En réalité, Mooc et enseignements en classe ne sont pas complémentaires. » Faux : les MOOC universitaires évoluent. La Khan Academy est une ONG qui diffuse des cours fondamentaux sur Internet depuis plusieurs années ; le site réunit environ 6 millions d’élèves du primaire au lycée mais, surtout, est utilisé par… 30 000 écoles ! Les élèves ont fait sur son site Internet gratuit 1,6 milliard d’exercices en ligne… Alors, inutiles pour apprendre, les MOOC ?

En ce qui concerne les signataires de cette tribune, ils paraissent bien mystérieux en dépit de la mission qu’ils déclarent se donner :

- Qui constitue le Collectif anti-MOOC ? Qui le représente ?

- Qui s’exprime pour Ferc-sup CGT, qui ne dit rien des MOOC dans ses publications ?

- Idem pour l’UNEF

- Idem pour Solidaires Etudiants

- Qui sont les auteurs de cette tribune ? Que proposent-ils ?

En conclusion, au lieu de dérouler leurs banderoles fantaisistes, les auteurs de cette tribune seraient mieux inspirés de chercher à comprendre, sans a priori, ce que le numérique peut apporter aux professeurs et aux étudiants qu’ils prétendent défendre, et dont ils se réclament.

Les MOOC (voir par exemple edunao.com) constituent un élargissement inédit des techniques d’apprentissage dont les professionnels de l’éducation et la société civile peuvent se saisir, pour faire évoluer les pratiques actuelles de l’enseignement avec leur époque. Lutter contre les MOOC relève de la même pertinence que de vouloir lutter contre Internet, l’usage de l’e-mail ou des téléphones portables… Ils font déjà partie de notre quotidien, il nous appartient d’en faire un outil, et un atout.

par Cyril Bedel, fondateur de www.edunao.com