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Etudiants : vos frais d’inscription vont augmenter ! Les invités de Mediapart

mercredi 29 janvier 2014, par Louise Michel

Inefficace pour financer les établissements et socialement dangereuse, tels sont les reproches adressés par les économistes David Flacher, Hugo Harari-Kermadec, Sabina Issehnane et Léonard Moulin à la hausse des frais d’inscription des étudiants. Celle que le gouvernement vient de décider pour les écoles des Mines et des Télécom n’est qu’un début, s’alarment-ils.

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Le gouvernement vient de décider une augmentation des frais d’inscription de 1 000 euros (pour les Européens) et de 3 000 euros (pour les non-Européens) dans les écoles d’ingénieurs publiques des Mines et des Télécom.

Disons-le d’emblée, cette décision, qui s’inscrit dans la continuité de la politique du précédent gouvernement, n’est ni anodine, ni anecdotique. Elle sera économiquement inefficace en plus d’être profondément idéologique et socialement dangereuse.

Economiquement inefficace au regard du besoin de financement des établissements : où que l’on aille sur la planète, les frais d’inscription rapportent peu en comparaison des coûts de l’enseignement supérieur et se sont toujours accompagnés d’un désengagement de l’Etat. Au Royaume-Uni, par exemple, la hausse de 3 000 à 9 000 livres du plafond des frais d’inscription décidée en 2010 s’est accompagnée... d’une baisse de 80% des dépenses publiques pour l’enseignement ! En France, un quadruplement des frais d’inscription, tel qu’envisagé dans un rapport de l’Insee, fin 2011, rapporterait moins d’un milliard d’euros alors que le budget de l’enseignement supérieur dépasse 24 milliards. Dans les grandes écoles affectées par cette hausse, cela ne représentera que l’équivalent d’un ou deux postes d’enseignant par école ! Les frais d’inscription ne sont pas et ne peuvent pas être une solution au financement des établissements, pas plus en France qu’ailleurs. Faut-il changer aussi profondément de modèle social pour si peu ?

La décision du gouvernement est de fait profondément idéologique : l’enseignement supérieur doit être marchandisé pour s’insérer dans la concurrence internationale. Deux arguments avancés pour cette hausse en témoignent. D’une part, la qualité du diplôme est assimilé à son prix (« Ce qui ne coûte rien ne vaut rien » avance une note produite par les écoles des Mines et des Télécom). D’autre part, les études sont considérées comme exclusivement centrées sur les débouchés salariaux des étudiants : ceux-ci sont pensés comme des investisseurs dans leur propre « capital humain », capital qu’il conviendra de rentabiliser au mieux. Exit le rapport désintéressé au savoir et le droit à l’éducation. Exit les principes de solidarité et de collaboration : vive la concurrence !

La décision d’augmenter les frais d’inscription est surtout socialement dangereuse. L’idéologie qui la sous-tend est aux antipodes de notre tradition républicaine et il semble incroyable de se passer de tout débat public sur un sujet aussi central. Serait-on prêts, pour faire un parallèle, à revoir notre système de sécurité sociale pour faire dépendre le prix de l’accès aux soins du revenu des individus ou de leurs parents ? Veut-on abandonner la péréquation nationale au profit d’une règle du chacun pour soi des établissements ? Laisser aux uns la manne représentée par les populations socialement favorisées en abandonnant les établissements moins élitistes à la misère ? Comme le soulignent Romuald Bodin et Sophie Orange dans un livre paru en septembre (L’Université n’est pas en crise), les universités ne se relèveraient pas d’un désengagement financier de l’Etat.

La décision d’augmenter les frais d’inscription transforme aussi en profondeur la relation entre les étudiants et les enseignants (qui deviennent clients et fournisseurs) dans la seule perspective d’acquérir des compétences utiles et valorisables. Cette approche nie les rapports sociaux au profit d’une approche individualiste, en même temps qu’elle enferme l’individu dans son rôle d’investisseur et le contraint à docilement s’insérer sur le marché du travail pour rembourser sa dette. Avec les frais d’inscription, exit le rôle émancipateur des études et la possibilité d’explorer des voies de carrières originales. C’est bien la quasi-gratuité de notre système qui laisse ouverte la possibilité aux moins favorisés comme aux classes moyennes de conjurer leur destin scolaire et social. Les frais de scolarité importants jouent le double rôle de barrière à l’entrée des établissements et de fardeau à la sortie sous la forme d’une dette qui s’abat spécifiquement sur ceux dont les parents ne peuvent payer.

Peut-être devrions nous davantage réfléchir à partir des expériences étrangères avant de nous engager dans cette voie ? Se demander pourquoi, en Allemagne, après 5 années d’expérimentation, les länder sont tous revenus sur la hausse des frais d’inscription ? Se demander si la bulle des prêts étudiants aux Etats-Unis (1 000 milliards de dollars), de plus en plus insolvables, n’annonce pas une nouvelle crise des subprimes, avec l’enrichissement de quelques-uns et son lot de destructions sociales. Se questionner sur la dérive du système britannique dans lequel l’Etat décide de revendre les prêts étudiants sur les marchés financiers et s’apprête à privatiser un grand nombre d’écoles pour les transformer, selon The Independant du 2 juillet 2013, en entreprises à but lucratif. S’interroger sur la révélation du même journal, le 29 novembre 2012, de l’existence d’un site proposant aux étudiantes un « sponsor » prenant en charge leurs frais d’inscription en échange de rapports sexuels réguliers ?

Peut-être devrions-nous aussi avoir un regard lucide sur l’augmentation rapide des frais d’inscription qui se cache derrière la décision du gouvernement ? Elle est prévisible pour qui analyse les expériences en France (notamment de Sciences Po et de Dauphine) et à l’étranger. Elle est même évidente pour qui sait lire entre les lignes : dès lors qu’on en vient à écrire – comme le fait l’Institut Mines-Télécom – que le prix de la formation est un signal de sa qualité, comment envisager que le fleuron de notre enseignement supérieur public ne pousse la logique jusqu’à aligner ses « prix » sur ceux des établissements les plus prestigieux : Harvard (39 000 dollars soit 28 500 euros par an), le MIT (42 000 dollars soit 30 000 euros), HEC (12 000 euros), Sciences Po (14 000 euros).

Mais le plus inquiétant est probablement dans la perspective de généralisation ouverte par ces « expériences » successives à l’ensemble des universités avec les impacts que l’on imagine en termes d’accroissement des inégalités et de la polarisation du système d’enseignement supérieur. Un indice de cette future généralisation réside dans l’étranglement volontaire des universités par l’Etat : le déficit cumulé des universités (de l’ordre de quelques centaines de millions d’euros) ne représente que 0,5% du budget de l’enseignement supérieur et 50 fois moins que ce que l’Etat est prêt à dépenser quasiment sans contrôle dans le Crédit impôt recherche (6 milliards d’euros) – dont les résultats sont pourtant contestés ! Pourquoi cet étranglement pour une somme aussi dérisoire, si l’Etat ne souhaitait pas pousser les universités à conclure à la nécessaire participation des familles à leur financement ? Pourquoi la Conférence des Présidents d’Universités a-t-elle commandé, en 2011, un rapport sur l’impact qu’aurait une augmentation des frais d’inscription ?

Il était évidemment plus facile pour l’Etat de commencer par les établissements les plus nantis et exempts de réelle collégialité dans les décisions. Mais la tactique est toujours la même et les universités suivront : saucissonner la réforme, introduire à titre expérimental les frais d’inscription dans certains établissements ou secteur de l’enseignement supérieur pour ensuite progressivement généraliser la démarche. Cette politique du « fait accompli » devrait inquiéter les étudiants et les amener à réagir dès maintenant, sur la décision qui vient d’être prise pour certaines grandes écoles. Non pour défendre quelques privilégiés, mais pour s’opposer à une entreprise progressive, mais de grande ampleur, qui, étape après étape, finira par toucher tous les étudiants et transformer notre modèle social et notre rapport à la connaissance.

David Flacher, économiste à l’Université Paris 13, directeur de laboratoire (CEPN – CNRS)
Hugo Harari-Kermadec, économiste à l’ENS Cachan,
Sabina Issehnane, économiste à l’Université de Rennes 2
Léonard Moulin, doctorant à l’Université Paris 13.