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"Les maîtres de moins en moins stages", par Antoine Prost, "Libération des historiens" (10 octobre)

dimanche 19 octobre 2008, par Laurence

Education. Avec la suppression des IUFM, la formation des enseignants
devient de plus en plus théorique.

Le film Entre les murs montre à des millions de Français des élèves qui
refusent de faire leur métier d’élève. Ce n’est pas une raison pour leur
donner des professeurs qui ignorent le leur. C’est pourtant ce que fait le
ministre de l’Education nationale en supprimant les IUFM (Instituts
universitaires de formation des maîtres), victimes d’un lynchage médiatique
à base d’ignorance.
La plupart de leurs détracteurs sont incapables de dire un peu précisément
ce qui s’y faisait. Or plus du tiers de leur temps était consacré à des
stages, l’un des moyens de formation professionnelle les plus efficaces.
Partout, même à l’ENA, et pas seulement dans les écoles de commerce ou
d’infirmières. La formation des instituteurs, adossée initialement à des
écoles annexes, reposait sur des stages aux différents niveaux, de la
maternelle au CM2, et celle des certifiés sur une année de stage, depuis
1951. Fini tout cela ! On va recruter les enseignants au niveau du master et
les mettre dans les classes à la rentrée suivante, à temps plein, avec un
collègue référent pour les conseiller éventuellement. Mais cet
"accompagnement" n’est pas un stage.

Vœu louable.La Charte signée par les deux ministres et les présidents
d’université en septembre ne mentionne aucun stage dans le cursus de master,
sauf pour les disciplines professionnelles. De toute façon, on ne manquera
pas d’ouvrir les concours aux titulaires d’autres masters que ceux de la
filière enseignement. Ils ignoreront tout du métier. Imaginez que, sans y
avoir été préparé, vous débarquiez un jour dans une classe pour apprendre à
lire à des élèves de CP ou pour enseigner l’allemand à des élèves de 6e ou
de 4e : qu’est-ce que vous feriez ?
On organise ainsi un désastre pour les maîtres comme pour les élèves.
L’existence dans les concours de recrutement d’épreuves destinées à évaluer
"la capacité à planifier et organiser un enseignement adapté aux niveaux de
classe
" ne rassure pas. A plusieurs reprises, depuis 1943, on a imaginé des
épreuves professionnelles, qui ont toujours été abandonnées après quelques
années.
Ce vœu louable n’aura pas de suite, faute de jurys convaincus et compétents.
De toute façon, les étudiants ne pourront s’y préparer : comment apprendre,
sans stage, à planifier un enseignement ? L’exercice ne pourra être que
théorique. On utilisera un ersatz de leçon d’agrégation pour évaluer la
compétence professionnelle.

"Parcours".Faut-il désespérer ? Par un renversement intéressant, alors que
le ministère refusait de confier la formation des maîtres aux universités,
dont il jugeait la formation trop théorique, ce sont aujourd’hui les
universités qui défendent une formation effectivement professionnelle.

Depuis qu’elles ont développé des écoles d’ingénieurs, des DESS, des
formations permanentes, les universités ont changé.
Dans une déclaration du 3 octobre, les présidents d’université affirment que
la formation repose sur le principe de l’alternance, et ils précisent :
"Tout parcours vers les métiers de l’éducation et de l’enseignement
s’accompagne de stages dans différentes structures.
" Ce réalisme risque
pourtant d’achopper sur la mauvaise volonté du ministère. Organiser des
stages suppose une logistique lourde et une collaboration étroite avec les
rectorats et les inspections académiques. Si le ministère refuse d’y
collaborer activement, les stages ne pourront avoir lieu. Et l’on enverra
dans les classes des professeur(e)s qui n’auront jamais vu d’élèves...

Antoine Prost est historien