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Université : enseignants-chercheurs et étudiants dans la rue contre les coupes budgétaires - Adrien de Tricornot, Le Monde, 11 décembre 2014 (Màj le 12)
samedi 13 décembre 2014, par
L’argent ? Il est passé par ici, il repassera par là. Les coupes sont pleines, les vases communicants, tout pour noyer le poisson. Et on ne peut que penser à la question posée le 11 décembre : L’université est elle soluble dans la compétition si on augmente le liquide ?
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Parti du site des anciens Grands Moulins de Paris, le cortège de l’intersyndicale de l’enseignement supérieur et de la recherche, des collectifs, tels que Science en marche, et des organisations étudiantes a terminé sa course, jeudi 11 décembre, devant le Panthéon, érigeant un « mur des précaires ». S’il a reçu des renforts, et des marques d’encouragement en passant devant l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), Tolbiac, Censier, le Muséum national d’histoire naturelle, Jussieu et la Sorbonne, il n’a réuni que quelques centaines de personnes – 3 000 selon le syndicat étudiant UNEF (pour Union nationale des étudiants de France – gauche).
Le mouvement n’a donc pas fait le plein, mais il a pris date. L’annonce, le jour même, que la coupe de 70 millions d’euros dans le budget des universités allait être annulée a sans doute joué dans cette faible mobilisation. « Le fait qu’ils le disent au dernier moment, c’est bien joué de leur part. C’est un très bon pas, mais on reste vigilants », expliquait, dans le cortège, Anna Scellier, étudiante en ergothérapie et membre du bureau national de la FAGE (Fédération des associations nationales étudiantes) : « Mais on voudrait mettre une petite alerte : le gouvernement doit faire attention aux mesures qu’il prend. Il faut dialoguer avec les fédérations, car la priorité à la jeunesse qui avait été annoncée n’a pas débouché sur des mesures concrètes depuis deux ans et demi. »
Chez les participants – enseignants, chercheurs, étudiants, personnels techniques et administratifs –, le sentiment prédominait, avec amertume, que la priorité à la jeunesse promise par François Hollande pendant sa campagne est restée lettre morte. Et que la sanctuarisation des dépenses d’enseignement et de recherche, maintes fois répétée, pèse désormais bien peu face aux contraintes budgétaires. Beaucoup regrettaient « une logique comptable » et le manque de concertation du gouvernement avant le vote de l’amendement du 18 novembre au budget 2015, qui réduisait de 136 millions d’euros les crédits de la Mission interministérielle recherche enseignement supérieur (Mires), quand bien même son volet universitaire (70 millions d’euros) sera finalement récupéré.
Mais, même peu nombreux, les étudiants présents étaient bien décidés à se faire entendre. Derrière le camion de l’UNEF, deux jeunes filles s’époumonaient gaiement, avec un bon écho dans la foule les suivant : « Les CDD ? y en a marre ! » « La précarité, y en a marre ! L’austérité ? Y en a marre ! » Ici ou là, on ressortait aussi les classiques : « Hollande, si tu savais, ton budget, ton budget… », ou bien : « Trois pas en avant, trois pas en arrière… » Plus loin, un groupe répétait à tue-tête : « Pas de facs d’élite, pas de facs poubelle, à bas les facs concurrentielles ! » Et dans le froid de la rue parisienne, d’autres entonnaient un réchauffant « Si t’es contre l’austérité tape dans tes mains »…
« Beaucoup de jeunes docteurs n’ont pas de job et ne vont pas en avoir »
Moins démonstratifs mais visiblement inquiets, des enseignants-chercheurs étaient venus avec leurs équipes, regrettant la précarité d’une partie de leurs collègues et les incertitudes concernant l’avenir de leurs élèves : « Beaucoup de jeunes docteurs n’ont pas de jobs et ne vont pas en avoir, et ils vont aller à l’étranger. Quand on forme des jeunes et qu’on se dit qu’ils n’auront pas de débouchés derrière, c’est terrible », expliquait Anne-Hélène Monsoro-Burq, directrice de laboratoire à l’institut Curie à Paris-Orsay. « La recherche sur des appels à projets de trois ans ne permet pas d’explorer de nouveaux sujets dans la durée. Et quand une partie de l’équipe reste trois ans, il faut passer un an et demi à la former et ensuite on ne peut pas continuer très longtemps avec elle », expliquait-elle. Ce manque de continuité était aussi mis en avant par de nombreux autres chercheurs : le système des appels à projet conduirait selon eux à saucissonner la recherche, à la faire zigzaguer au gré des modes du moment et à l’empêcher de travailler à long terme.
Or, « si un projet de recherche n’obtient pas un financement spécifique, ce qui est un processus très compétitif où il y a peu d’élus, il ne lui reste que le budget de fonctionnement ordinaire, c’est-à-dire l’argent pour payer les salaires et les frais courants comme les photocopies. Beaucoup se retrouvent donc le bec dans l’eau, et ne peuvent pas faire de la recherche dans de bonnes conditions, faute de moyens », ajoutait Bruce Schillito, enseignant-chercheur en biologie marine à l’université Pierre-et-Marie-Curie.
Nombre d’universitaires disaient aussi leur préoccupation quant au manque d’enseignants titulaires, remplacés par des précaires. Julien Randon-Furling, maître de conférences en mathématiques à l’université Paris-I évoquait ainsi « un énorme problème de recrutement en mathématiques : nous n’avons pas assez de postes et nous sommes obligés de faire appel à des vacataires. Or les mathématiciens ont beaucoup d’autres possibilités professionnelles, par exemple en banque ou en finance. Le vivier s’épuise ». Il évoquait parallèlement l’état « assez déplorable » des locaux universitaires. Avec ce sentiment largement partagé que les responsables politiques et économiques, plutôt issus des grandes écoles, méconnaissent la réalité de la recherche.
Les responsables syndicaux restaient quant à eux dubitatifs sur le rétablissement annoncé de 70 millions d’euros de crédits pris sur le budget 2015 des universités : « Je ne crois que ce que je vois », affirmait Claudine Kahane, professeure d’astrophysique et secrétaire générale du Snesup-FSU (Syndicat national de l’enseignement supérieur-Fédération syndicale unitaire), en rappelant l’expérience de précédents gels de crédit. « Une ligne budgétaire inscrite aujourd’hui peut aussi bien disparaître dans six mois », ajoutait Laurent Diez, secrétaire général du SNPTES (Syndicat national du personnel technique de l’enseignement supérieur). « Ces annonces successives montrent la nécessité d’une véritable politique à long terme de l’enseignement et de la recherche dans une perspective de vingt ans, sinon on va prendre du retard, et la France perdra son statut de puissance économique forte », redoutait Mme Kahane. « L’augmentation du nombre d’étudiants en sciences “dures” [telles la physique, ou les mathématiques] est une bonne nouvelle, mais nous ne pouvons pas les accueillir dans de bonnes conditions. On a besoin de gens bien formés dans ces domaines, mais c’est très difficile », poursuivait-elle.
Lutte contre la précarité étudiante
Même si le cortège n’était pas très fourni, les responsables s’attachaient à souligner les racines profondes de leur mouvement. « L’ambiance n’est pas à la résignation », assurait le président de la FAGE, Alexandre Leroy : « En décembre, on a dû s’opposer à des contingentements d’étudiants dans les universités de Strasbourg, Brest ou Reims. Le service public doit accueillir tout le monde et faire un effort sur l’orientation : au moment des inscriptions postbac, on pourrait donner aux candidats le taux d’insertion professionnelle par filière. Parce qu’elles ont des difficultés financières, les universités sont poussées à restreindre les places, ce qui reporte les étudiants vers les autres établissements… » Il prônait donc davantage de concertation à l’avenir, pour assurer une meilleure gestion des locaux universitaires, un enseignement moins vertical – plus centré sur l’étudiant –, ou des évolutions pédagogiques et sur la formation des enseignants afin de garantir le service public, améliorer la réussite des étudiants et réduire la reproduction sociale. « Mais je suis déçu qu’on doive en passer par la mobilisation, il y a un vrai problème de dialogue social. »
Critiquant « un double langage depuis la rentrée », William Martinet, président de l’UNEF, envisageait de son côté une reprise de la mobilisation en janvier, faute d’avancées. « Au début du quinquennat, on a obtenu 200 millions d’euros pour les bourses. Il y a eu des actes. Mais aucun n’a abouti », se heurtant aux contraintes budgétaires, dénonçait-il, évoquant les chantiers de la lutte contre la précarité étudiante et de la réussite dans le premier cycle universitaire. Et, selon lui, 150 millions d’euros manquent encore à l’appel en janvier pour assurer le simple bon fonctionnement des universités. « Etudiants, lycéens, chercheurs et enseignants, c’est tous ensemble qu’il faut lutter, c’est tous ensemble qu’on va gagner ! », scandaient les manifestants arrivés sur la place du Panthéon. Le défi reste à relever.