Accueil > Université (problèmes et débats) > Quel genre à l’université ? Dix propositions disciplinaires contre le (...)

Quel genre à l’université ? Dix propositions disciplinaires contre le harcèlement sexuel - Jérôme Valluy, blog de Médiapart, 5 février 2014

samedi 21 octobre 2017, par Laurence

Le phénomène social du harcèlement sexuel dans les relations professionnelles au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche est un problème aussi central que tabou de la profession professorale fortement exposée à ce risque là en raison des relations d’autorité et de proximité entre professeurs (notamment enseignants-chercheurs statutaires) et étudiantes, en particulier doctorantes, d’une part et entre professeurs et salariées « Biatss » [1] ou enseignantes, notamment précaires, d’autre part.

Le phénomène social du harcèlement sexuel dans les relations professionnelles au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche est un problème aussi central que tabou de la profession professorale fortement exposée à ce risque là en raison des relations d’autorité et de proximité entre professeurs (notamment enseignants-chercheurs statutaires) et étudiantes, en particulier doctorantes, d’une part et entre professeurs et salariées « Biatss » [1] ou enseignantes, notamment précaires, d’autre part. L’une des dimensions importantes du problème réside dans la peur des victimes d’exprimer ce qu’elles subissent ou ont subi, peur à mettre en relation avec un climat d’opinion hermétique (tout le monde se connaît, les rumeurs vont vite, chaque histoire laisse des traces…) qui confine parfois à des formes d’omerta corporatiste et découle aussi de conflits d’intérêts affectant souvent les conditions de jugement disciplinaire par les instances compétentes. Cela conduit tendanciellement à la non divulgation et à la non sanction des faits de harcèlement sexuel.

Mes informations sur le sujet proviennent principalement de ma connaissance du monde universitaire en tant qu’enseignant-chercheur depuis quinze ans (notamment comme Maître de Conférences des Universités en science politique depuis 1999), de mon expérience de juge titulaire dans la juridiction nationale d’appel des contentieux disciplinaires universitaires (CNESER statuant en matière disciplinaire, de juin 2011 à octobre 2013) et des affaires que j’ai eu à connaître, par la voie syndicale, en raison de demandes de conseils, juridiques ou autres, souvent en phases pré-contentieuses en provenance de divers syndicats d’établissements affiliés à l’union nationale FERC Sup CGT que je représente au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER). Bien qu’ayant mené des recherches scientifiques sur le thème de la persécution des femmes [2], je n’en ai pas réalisé de spécifique sur le thème du harcèlement sexuel dans l’enseignement supérieur et la recherche. Mon propos ici est donc un témoignage d’acteur, ancien juge, et une analyse éthiquement orientée, de représentant syndical élu au CNESER, non un acte de recherche.

Ce propos sera focalisé sur ce que les expériences personnelles précédemment décrites permettent de connaître un peu : la procédure disciplinaire. Une telle focalisation n’implique pas de sous-estimer l’importance d’autres enjeux et d’autres modes d’action, notamment l’importance des recherches en sciences humaines et sociales sur ce sujet d’une part et l’importance des campagnes publiques de sensibilisation sur ces enjeux d’autre part. J’aborderai le sujet sous un angle procédural mais sans traiter de la procédure pénale que je ne connais pas, ou très mal, sauf en ce qui concerne ses incidences sur la procédure disciplinaire. Les deux procédures peuvent se dérouler en parallèle sur les mêmes faits : le juge pénal ayant en charge de juger et sanctionner le citoyen au regard de règles générales mais n’intervenant pas sur la situation du professionnel en ce qui concerne sa carrière et son activité qui relèvent du juge disciplinaire.

J’aborde le sujet avec une conviction (discutable) issue de mon expérience de juge : le travail qui est hautement nécessaire pour préciser la définition du harcèlement sexuel ne suffira pas, à mon avis, à réduire la part de subjectivité individuelle de chaque juge dans l’appréciation des faits, en l’absence très souvent de preuves, en présence très souvent de témoignages contradictoires, voire de faits ambivalents. La croissance du volume de chaque dossier contentieux à l’ère numérique, dans ce type d’affaire, en raison du versement, à charge ou décharge, d’archives numériques (emails, sms, historiques téléphoniques, enregistrements audio et vidéo, etc…) par les parties en présence, améliore le niveau d’information du juge – s’il fait correctement son travail d’étude des dossiers – mais ne fait pas disparaître, dans l’interprétation des faits, cette part de subjectivité qui suffit très souvent à relativiser ou contrebalancer tout critère d’examen même précisément énoncé dans une définition juridique du harcèlement sexuel. Pour cette raison, je crois davantage aux progrès que l’on peut obtenir en faisant évoluer l’organisation d’ensemble du système institutionnel pour le rendre plus propice à la divulgation et à la sanction des faits de harcèlement sexuel.

Dans cette perspective, voici dix propositions relatives à la procédure universitaire des Sections Disciplinaires d’établissements (SDE) et du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche statuant en matière disciplinaire (Cneser-D). Elles reprennent pour partie mes propos lors de la journée consacrée à ce sujet à l’Université Paris Diderot (Paris 7) le 11 octobre 2013[3]. Elles ont été modifiées ultérieurement en tenant compte des débats lors de cette journée et de discussions par ailleurs notamment sur un des forums internes de l’union nationale FERC Sup CGT (300 abonnés), sur le forum national public de l’Association nationale des candidats aux métiers de la science politique [ancsmp] (3000 abonnés) et sur le forum national [Prep.Coord.Nat] (700 abonnés) servant à préparer les coordinations nationales des universités. Les analyses et propositions ont été ajustées au cours de ces échanges publics ou privés entre octobre et novembre 2013 et le texte finalisé en janvier 2014.

POSITIONNEMENT DU PROBLEME SOCIAL ET PRESUPPOSES

Une dimension importante du problème est celui de la difficile expression des victimes, dans un contexte social où il semble qu’une grande partie des faits de harcèlement sexuel ne sont pas divulgués et n’aboutissent pas à des procédures contentieuses, pour de multiples raisons qui tiennent notamment aux inclinations corporatistes en faveur du silence dans ces situations et aussi au quasi-monopole de saisine des sections disciplinaires par le ou la président-e d’université, peu enclins, dans ces situations, à activer des procédures contentieuses contre leurs collègues. Sur cette dimension de l’expression des victimes, d’abord auprès de proches (amis, parents, collègues…) puis, avec souvent accompagnement des proches, auprès d’institutions (directions de service, organisations syndicales, présidence d’université, services de police…), ce qui me frappe en examinant les affaires particulières que j’ai eu à connaître est le temps de latence entre le commencement du harcèlement sexuel et le moment de la première divulgation auprès d’institutions (souvent plusieurs mois voire plusieurs années). Ce temps de latence ne peut s’expliquer que par un sentiment d’insécurité des victimes en relation avec la divulgation des faits. Pour résoudre ce problème, en amont de la procédure disciplinaire, je ne vois pas d’autre solution, que de créer des institutions qui, au contraire, donnent le sentiment aux victimes d’être légitimes à s’exprimer et à porter plainte tant au pénal qu’au disciplinaire. La création de services spécialisés, de préférence indépendants des établissements universitaires eux-mêmes, ainsi que l’assistance juridique et financière des plaignant-e-s dans l’engagement de procédures est de toute évidence nécessaire.

J’ai utilisé la forme indéterminée en genre « plaignant-e-s », parce que, s’agissant d’énoncer des prescriptions, leur formulation semble devoir s’inscrire dans un horizon d’universalité, c’est à dire valoir quelles que soient les situations particulières... même si elles visent à réformer une situation sociale dont on sait la ou les particularités. Il peut y avoir des cas d’hommes victimes de harcèlement sexuel, aussi bien en relation homosexuelle que hétérosexuelle, mais ces cas semblent statistiquement très marginaux. Dans la relation homosexuelle, la rareté tendancielle de celle-ci dans la société globale reliée à la rareté tendancielle des inclinations au harcèlement sexuel dans tout ensemble social (homosexuel ou hétérosexuel) semble permettre de considérer le harcèlement homosexuel comme statistiquement rarissime. Dans la relation hétérosexuelle, les cas de harcèlement d’hommes par des femmes – sans ignorer la possibilité d’autres formes de violences dont les femmes pourraient être plus fréquemment auteures – paraissent également rarissimes et les procès de viols d’hommes par des femmes sont d’autant plus médiatisés qu’ils étonnent la société en raison même de leur caractère exceptionnel. Si ces deux hypothèses de rareté peuvent être confirmées par des enquêtes sociologiques dans le secteur de l’enseignement supérieur et de recherche, alors il faut reconnaître que le problème social du harcèlement sexuel provient d’une population masculine, hétérosexuelle, en situation de domination sociale et professionnelle (hiérarchique ou quasi-hiérarchique, statutaire et symbolique, voire matérielle…), généralement par un homme plus âgé que la femmes harcelée, l’âge intervenant dans la relation homme-femme et dans le déroulement des carrières universitaires comme facteur de renforcement de la domination sociale et professionnelle.

Avant de présenter des propositions pour favoriser divulgation et sanction éventuelle, deux précautions liminaires s’imposent : passer, comme cela vient d’être fait, de l’évocation des « victimes » à celle des « plaignant-e-s » permet d’amorcer la réflexion sur les procédures contentieuses, en vue de favoriser divulgation et sanction éventuelle, sans pour autant ignorer la possibilité de plaintes abusives dont les finalités pourraient être autres que l’expression de la vérité. Les motifs légitimes de la lutte contre le harcèlement sexuel ne sauraient justifier d’éventuelles instrumentalisations des voies de recours contentieux à des fins autres que l’expression de la vérité et le prononcé de la justice. Autre précision préalable : les propositions ci-dessous ne visent pas à condamner par avance toutes les relations affectives, amoureuses ou sexuelles issues du cadre professionnel, par ce qui serait alors une sorte de rigorisme idéologique, profondément réactionnaire, contre toute forme de libération sexuelle. Elles ne visent pas non plus à faire peser sur ces relations affectives normales, pas plus que sur la population « masculine-hétérosexuelle-dominante/âgée » une suspicion générale qui reviendrait à des injonctions de comportement « politiquement correct » aussi délétère que perturbant pour la relation de travail. L’endogamie professionnelle dans le monde universitaire est un fait, qui n’est d’ailleurs peut-être pas plus marqué que dans d’autres milieux professionnels, mais elle ne constitue pas en soi un problème social.

Pour lire les 10 propositions

Jérôme Valluy est professeur à l’Université Panthéon-Sorbonne (Paris 1), chercheur à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC), représentant élu FERC Sup CGT au Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (CNESER).


[1Bibliothèque, Ingénieurs, Administratifs, Techniciens, Social, Santé